Médicaments très prescrits dans les pays occidentaux (et encore plus depuis la crise du Covid-19), les antidépresseurs pourraient rendre significativement moins sensibles au plaisir, en plus de réduire les émotions négatives.
Peut-on toujours se fier aux antidépresseurs visant la sérotonine (ISRS) ? Alors qu’une étude d’août 2022 révélait qu’ils n’étaient efficaces que chez peu de personnes – et qu’ils ne feraient pas mieux qu’un placebo dans 85% des cas – une nouvelle recherche publiée le 23 janvier dans la revue Neuropsychopharmacology a montré que les antidépresseurs pouvaient causer un «émoussement émotionnel» chez les patients, soit une diminution de leur sensibilité face aux événements négatifs mais aussi positifs. Un effet secondaire souvent signalé par les patients après la prise d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS). «D’une certaine manière, cela peut être en partie la façon dont ils fonctionnent, affirme le Pr Barbara Sahakian, auteure principale de l’étude. Ils enlèvent une partie de la douleur émotionnelle que ressentent les personnes qui souffrent d’une dépression, mais malheureusement, il semble qu’ils enlèvent également une partie du plaisir.»
Les chercheurs ont recruté une équipe de 66 volontaires sains : 32 ont reçu de l’escitalopram et les 34 autres ont reçu un placebo. Après avoir pris le traitement pendant au moins 21 jours, les participants ont rempli un questionnaire d’auto-évaluation et ont surtout subi une série de tests cognitifs évaluant l’apprentissage, l’inhibition, la mémoire ou encore la prise de décision.
Pas d’impact sur la cognition
Dans la majorité des tests concernant la cognition dite «froide» – soit l’attention ou la mémoire, le médicament n’a fait aucune différence. Aucun changement non plus sur la cognition «à chaud», celle impliquant nos émotions. «Le médicament ne fait rien de négatif sur la cognition et de ce point de vue, c’est très bien», rassure la Pre Sahakian.
Néanmoins, une moindre sensibilité à l’apprentissage par renforcement (soit la façon dont nous apprenons à partir de commentaires qui nous sont faits sur nos actions) a été constatée. Concrètement, les chercheurs ont donné le choix entre deux options, A ou B. Choisir A entraînerait une récompense quatre fois sur cinq, alors que choisir B n’est récompensé qu’une fois sur cinq. Au bout de plusieurs tours, les volontaires apprennent à comprendre quel est le bon choix : au bout d’un moment, les choix sont inversés et les participants devaient alors apprendre la nouvelle règle. Constat : les patients sous ISRS étaient en moyenne plus lents à réagir à ces changements et étaient moins susceptibles d’utiliser les commentaires positifs ou négatifs pour guider leur apprentissage. Les volontaires prenant l’antidépresseur signalaient également qu’ils avaient plus de difficultés à atteindre l’orgasme lors de relations sexuelles : autre effet secondaire souvent rapporté
Une aide pour les patients qui hésitent
Une information qui pourrait aider les patients à faire des choix plus éclairés, mais qui n’enlève en rien leur efficacité aux antidépresseurs. «Il ne fait aucun doute que les antidépresseurs sont bénéfiques» pour de nombreux patients, a confirmé Barbara Sahakian.
L’étude fait état de 60% des volontaires sains qui seraient devenus moins sensibles aux réactions positives et négatives après avoir suivi le traitement. Un chiffre qui «pourrait être une surestimation», selon Catherine Hamer de l’Université d’Oxford, ajoutant qu’il ne faut pas se priver d’antidépresseurs si on en a besoin. «Mon inquiétude est que les gens voient cela et pensent que le message est de ne pas prendre de médicaments. C’est exactement le genre de travail dont nous avons besoin, mais cela n’affecte pas tout le monde – chacun est unique et les traitements restent thérapeutiques», a-t-elle conclu au Guardian.