Djillali Khellas, un auteur algérien qu’on ne présente plus, après la trilogie successive intitulée Zaman El Ghirbane (Le temps des corbeaux), Leilat El Katala (La nuit des assassins) et Horath El Bahr (Les laboureurs de la mer), publie un nouveau roman Aradjoul aladi yaktoub ala rahatihi (L’Homme qui écrivait sur sa main) paru chez Casbah éditions. Entretien
Entretien réalisé par K. Smail
- Ce roman Al rajoul Aladi Yaktoubou Aâla rahatihi (l’homme qui écrivait sur sa main) est différent des précédents…
Al rajoul Aladi Yaktoubou aâla rahatihi ( l’homme qui écrivait sur sa main), c’est le roman que j’ai le plus maîtrisé. C’est mon meilleur roman, et ce, en travaillant le style, la forme et la trame. Vous pouvez remarquer le style incisif, les mots ciselés des phrases parfois longues. Mais constellées d’allégories, d’envol poétique métaphorique. Sur la guerre et ses conséquences…
- Justement, sur la post-guerre civile, la décennie sombre, noire des années 1990, en Algérie…
J’ai écrit sur les années 1990. Une période noire de l’histoire de l’Algérie indépendante, et j’ai décrit les conséquences de la guerre civile. En axant le thème notamment sur les laissés-pour- compte, les dépressifs, rejetés par la société et les handicapés malheureux que tout le monde oublie. Y compris parfois, par leurs parents. Tandis que l’Etat continuait à plébisciter la charte sur la Concorde civile donnant aux anciens terroristes un statut spécial et leur accordant des pensions parfois astronomiques.
- Dans ce roman, la violence engendre la violence. Un cercle infernal… Dent pour dent…
La violence génère la violence. Comme la victime, l’anti-héros, ayant fait une dépression nerveuse très grave, se rebiffe, et tente de se venger de ses agresseurs qui sont bien en vie, tout en exhibant ostentatoirement leurs richesses. De son côté, le père de la victime se rallie à l’armée et participe au dernier ratissage dans les montagnes (le maquis) infestées par les résidus du terrorisme. C’est pendant l’une des opérations militaires qu’il localisera l’un des assaillants, des agresseurs de son fils dépressif. Et il le tue avec l’aide de certains militaires dans la forêt de Chréa, non loin de Blida.
- Le terrorisme était insidieux, un ennemi invisible…
Le terrorisme est invisible, mais ses conséquences sont désastreuses. Car la société algérienne est victime maintenant, affectée de son intégrisme parfois dangereux. L’esprit de certaines gens est imprégné de comportement terroriste. Ce qui menace la tranquillité sociale.
- Avec des traumatismes…
D’un autre côté, les traumatismes de la guerre civile des années 1990 continuent à ébranler la société algérienne malgré la paix qu’on croit stabilisante. Mais au fond, elle est fragile… Le terrorisme est une guerre fratricide, qui est dangereuse pour l’équilibre d’un société. J’ai surtout montré dans mon roman Al rajoul Aladi Yaktoubou aâla rahatihi (l’homme qui écrivait sur sa main) l’effroyable tension des années 1990 tout en avertissant l’Etat et le peuple pour que cela ne se reproduise plus à l’avenir.
- L’antihéros de votre roman est un écrivain tourmenté, une frêle cible…
L’écriture psychologique de l’écrivain ? L’antihéros du roman a été marqué par la violence du terrorisme. Touché dans son amour propre, il a souffert pendant de longues années «d’impuissance d’écriture». Le syndrome de la page blanche due à sa maladie provoquée par un attentat terroriste raté. Les balles n’ont fait que le blesser légèrement mais leurs séquelles se sont incrustées profondément dans son cerveau et ont déchiré ses nerfs. - Et la reprise ? Le retour aux bons mots, aux belles lettres de cet écrivain…
Il a fallu des années de souffrance pour que la victime reprenne ses activités normales. En retournant à l’écriture pour témoigner e l’effroyable terrorisme des années 1990. - L’acte d’écrire est-il forcé, difficile, ou bien cela coule comme du beurre chez-vous ?
L’acte d’écrire, aujourd’hui, est toujours un plaisir. Pour l’ex-victime (du terrorisme), car le plus important pour elle, c’est de continuer à témoigner pour les générations à venir. - Quels sont les écrivains qui vous ont poussé à écrire, qui vous ont influencé ?
Dans ma jeunesse, j’ai été très influencé par Kateb Yacine, William Faulkner et Naguib Mahfouz. J’ai appris avec Kateb Yacine le style métaphorique. Tandis que les romans de Faulkner m’ont séduit par leurs formes, très nouvelles à l’époque. Nadjib Mahfouz a été surtout, pour moi, un témoin des vicissitudes de la société sous-développée dans le tiers-monde. Après les années 1980, je me suis attelé à personnaliser mon style et les formes de mes romans. Une odeur de chien, un roman que j’ai publié en 1985 a été un roman pionnier pour la littérature romanesque écrite en arabe. Tandis que Les Mouettes du crépuscule a été surtout un roman axé sur une recherche nouvelle dans la forme.
- Vous êtes à l’aise aussi bien dans la langue arabe que française…
J’ai toujours aimé connaître plusieurs langues. Ecrire en arabe et en français me fascine toujours. Quand j’écris en arabe, ma culture francophone me donne un énorme élan poétique pour ciseler mes mots. Tandis que ma culture arabophone enrichit mon style quand j’écris en langue française.
- Avez-vous une manie, un rituel, une «routine» à la Proust et sa fameuse madeleine.. ?
Je me lève à 4h du matin. D’abord, pour le silence de l’aube naissante. A cette heure-ci, ma famille est endormie. Dehors, le bruit des passants et des véhicules est nul. Tandis que mon esprit est frais, l’écriture coule d’elle-même avec les premières lueurs de l’aurore amenant le chant des oiseaux. Un instant exquis et revigorant, entre 4h et 7h du matin. J’aurai écrit trois, quatre pages A4 bien corrigées.
Djillali Khellas/
Aradjoul Aladi Yaktoub Ala rahatihi (L’Homme qui écrivait sur sa main )/
Casbah éditions
446 pages
Prix : 1000 DA
https://casbah-editions.com/
https://fr-fr.facebook.com/casbaheditions/
Photo de la couverture : tableau « Tourmente »
De Tahar Ouamane
EXTRAIT ;
Chapitre «Embuscade meurtrière»
Sur la route, en élément de pointe, se trouve une section mixte de l’ANP et de patriotes aux ordres du sergent chef Hamid Goumri et de Mohamed Lakehal. Cet élément est suivi à courte distance par la section de commandement, comprenant le commandant Mohammed Maraoui, le capitaine Salim Maoui, le médecin-capitaine Rachid Sebhi et ses infirmiers ainsi que le sergent Farid Aïouaz, porteur du poste radio. La deuxième section de l’ANP, aux ordres du sergent chef Kader Martala, est en troisième position.
C’est vers cette section que vont tous les espoirs en cas d’accrochage, car sa mitrailleuse de 7.6 et son mortier de 60 sont les seules armes puissantes de la compagnie. La section du sous-lieu tenant Karim Becha fouille la lisière de la forêt de Chréa, tandis que celle du lieutenant Yacine Djebiri en explore le centre des fourrés. Chacune d’elles possède comme armes de groupe : trois mitrailleuses. Il a été convenu au départ qu’une liaison sonore serait assurée par radio entre le capitaine et les sections.
Une telle liaison vient d’être faite vers les dix heures, à l’ouest du douar de Beni-Selmane, quand immédiatement, se déclenche sur la route un feu d’enfer, les hommes de la section Hamid Goumri et Mohamed Lakehal, pris sous un véritable déluge de balles, s’aplatissent au sol. Les rebelles islamistes ont tendu leur embuscade de telle manière que les soldats de l’ANP encerclés de toute part et tirés à bout portant, ne peuvent neutraliser leurs adversaires. Le patriote Abdelkader Karimi (ancien moudjahid), marchant en éclaireur de tête, est tué, son arme enlevée.
Le soldat Hakim Keroui, second éclaireur, est abattu. Un terroriste voulant prendre son arme est mitraillé par le caporal de l’ANP Djamel Seloui. Il tombe criblé de balles. Kamel Gaurdi, tireur au fusil mitrailleur, a réussi à plonger dans un fossé qui borde la piste. Il a mis son arme en batterie et il tire fiévreusement, tandis qu’autour de lui ses camarades tombent les uns après les autres. Exhalant un cri de rage et de douleur, le sergent chef Hamid Goumri s’est affaissé la face contre la terre. Ses hommes tirent des raffales meurtrières et abattent une dizaine de rebelles.
Malheureusement cinq soldats de l’A.N.P s’écroulent aux cotés de leur sergent chef. Le caporal Mohamed Mèroui a tenté de mettre le mortier de 60 en batterie, mais blessé ainsi que deux servants, ils doivent bientôt se replier. Les rebelles du G.i.A (1) partent plusieurs fois à l’assaut de l’engin abandonné sur place, mais repoussés par les armes individuelles des soldats de l’ANP, ils ne pourront s’en emparer. (1) groupe islamique armé.