«La situation humanitaire à Ghaza, déjà catastrophique, s’est dégradée davantage, les gens meurent, ils meurent de faim, c’est là la cruelle vérité à laquelle nous sommes confrontés», souligne Amar Bendjama, représentant de l’Algérie au Conseil de sécurité de l’Onu.
En dépit des appels de la communauté internationale pour l’arrêt de la guerre génocidaire menée contre la population de Ghaza et les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ), exigeant de l’Etat hébreu l’arrêt de l’offensive militaire contre Rafah, les opérations de bombardement par terre, air et mer n’ont pas cessé, tuant plus de 37 700 Palestiniens et blessant des dizaines de milliers d'autres et autant de personnes portées disparues, et une destruction systématique de la majeure partie des infrastructures de base, en neuf mois moins une semaine.
Les rapports des agences et des experts onusiens se rejoignent tous pour décrire une situation humanitaire chaotique, où la famine avance à grands pas, en raison de la fermeture de tous les points d’accès de l’aide humanitaire, isolant davantage la population civile, sommée de choisir entre le cercueil, la famine ou la déportation forcée.
Une situation terrifiante au menu de la session mensuelle du Conseil de sécurité de l’Onu, consacrée hier à la situation au Moyen-Orient, dont la question palestinienne, durant laquelle le représentant permanent de l’Algérie, Amar Bendjama, a exigé «des sanctions contre Israël pour non-respect des résolutions du Conseil de sécurité».
«Nous exigeons que des sanctions soient prises contre la puissance occupante pour cause de non-respect des résolutions du Conseil de sécurité y compris la résolution 23-34, relative aux colonies», lance le diplomate algérien qui parle d’une situation humanitaire «déjà catastrophique» à Ghaza qui, selon lui, «s’est dégradée davantage». «Les gens meurent, ils meurent de faim, c’est là la cruelle vérité à laquelle nous sommes confrontés», fustige Bendjama avant d’ajouter : «Le coupable doit rendre des comptes.»
Et de dénoncer la politique «des deux poids deux mesures» appliquée lorsqu’il s’agit de la situation à Ghaza. «Si les violations commises depuis neuf mois à Ghaza avaient eu lieu ailleurs, des sanctions auraient déjà été décidées», s’indigne l’ambassadeur, avant de rappeler le contenu du récent rapport onusien de la Commission d’enquête indépendante sur les territoires palestiniens «qui a clairement fait état de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, perpétrés par l’occupation».
Pour le représentant de l’Algérie, l’objectif d’Israël à Ghaza «est clair : une deuxième Nakba. La puissance occupante a pour objectif de détruire Ghaza et de déplacer sa population(…) Au titre du droit international humanitaire, ces forces ont l’obligation de protéger les civils palestiniens. Nous exigeons que des comptes soient rendus par les auteurs de ces actes de terreur».
Le diplomate estime que «les colons sont responsables d’actes de provocation contre les lieux de culte musulmans, dont principalement la mosquée Al Aqsa, en provoquant des tensions qui risquent de mener vers une nouvelle escalade». Il termine en rappelant que «toute la zone entourant la mosquée Al Aqsa est un lieu de culte exclusivement réservé aux musulmans».
Faim extrême
Ce constat chaotique de la situation humanitaire est décrit dans le dernier rapport d’évaluation de la sécurité alimentaire à Ghaza, publié hier par le Programme alimentaire mondial (PAM), qui avance un taux de 96% de Ghazaouis qui vivent sous la menace «des niveaux de faim extrêmes» alors que près d’un demi-million de personnes «se trouvent dans des conditions catastrophiques».
Les chiffres dévoilés par «Integrated Food Security Phase classification ou IPC», montrent qu’environ 2,13 millions de Palestiniens à Ghaza, sont confrontés à «des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë classée en phase 3 ou supérieure de l’IPC (situation de crise ou pire) entre le 1er mai et le 15 juin, dont près de 343 000 personnes qui ont connu une insécurité alimentaire catastrophique (phase 5 de l’IPC)».
Selon le PAM, ce rapport de classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire (IPC) sur Ghaza dresse un tableau sombre de la faim persistante, révélant que «96% de la population est confrontée à une insécurité alimentaire aiguë au niveau de crise ou plus avec près d’un demi-million de personnes dans des conditions catastrophiques», lit-on dans le communiqué rendu public par l’agence onusienne, qui averti sur «un risque élevé de famine persistante dans l’ensemble de la bande de Ghaza tant que le conflit se poursuit et que l’accès humanitaire est restreint».
Pour le PAM, l’ensemble du territoire de Ghaza «est classé en situation d’urgence», avec «plus de 495 000 personnes, soit 22% de la population de Ghaza, sont toujours confrontées à des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire aiguë». Ce qui signifie pour les experts qu’un Palestinien de Ghaza sur cinq souffre du niveau le plus élevé de malnutrition, ou plus d’un ménage sur cinq passe des journées entières sans manger.
Dans cette phase, lit-on dans le rapport, les familles «sont confrontées à un manque extrême de nourriture, à la faim et à l’épuisement des capacités de survie». Le PAM indique, par ailleurs, que 745 000 personnes, soit 33% de la population de Ghaza, sont classées en situation d’urgence. «L’espace humanitaire à Ghaza continue de se rétrécir et la capacité d’acheminer en toute sécurité l’aide aux populations s’amenuise.
La trajectoire récente est négative et très instable», souligne le communiqué du PAM, qui fait état d’une «légère amélioration par rapport à l’évaluation précédente de mars, qui mettait en garde contre une famine potentielle dans les gouvernorats du nord de Ghaza d’ici la fin mai». Il explique que cette «amélioration montre la différence qu’un meilleur accès peut faire.
L’augmentation des livraisons de nourriture dans le nord et les services de nutrition ont contribué à réduire les niveaux de faim les plus graves, laissant une situation toujours désespérée». Le dernier rapport publié vers la mi-mars estimait que de 1,1 million de Ghazaouis étaient confrontés à «une situation de faim catastrophique», proche de la famine, «le nombre le plus élevé jamais enregistré» par l’ONU.
Dans les gouvernorats de Ghaza-Nord, cette évaluation a montré que «l’ensemble de la population restera probablement totalement exposée et très vulnérable aux conflits et à l’insécurité. Par conséquent, l’aide humanitaire devrait rester proche des niveaux observés en mars et avril».
«Situation préoccupante à Rafah»
Pour l’Onu, dans les gouvernorats de Deir Al Balah, Khan Younès et Rafah, «au moins un des passages frontaliers devrait rester ouvert, même si les agences doivent faire face à des contraintes sécuritaires et administratives pour acheminer l’aide. Les opérations militaires à Rafah et dans certaines parties de Deir Al Balah et de Khan Younès entraîneront probablement des déplacements supplémentaires vers la ''zone humanitaire'' désignée par Israël». Cependant, le PAM se dit «très préoccupé» par le fait que «la capacité très réduite des organisations humanitaires à fournir une aide essentielle dans le Sud met en péril les progrès accomplis».
A présent, affirme le PAM, il est à craindre que «le sud de Ghaza connaisse bientôt les mêmes niveaux catastrophiques de faim que ceux enregistrés dans les zones septentrionales». Selon lui, «pour inverser la tendance et prévenir la famine», il faut fournir «une aide humanitaire adéquate et durable», c’est-à-dire, «une plus grande disponibilité d’aliments frais et une meilleure diversité nutritionnelle, de l’eau propre et des installations sanitaires, l’accès aux soins de santé et la reconstruction de cliniques et d’hôpitaux», avant de plaider pour une «réponse large et multisectorielle en toute urgence».
Pour sa part, la responsable des affaires humanitaires au sein du bureau de coordination de l’aide des Nations unies (Ocha), Yasmina Guerda, décrit «une situation préoccupante à Rafah où les déplacements massifs depuis le début de l’offensive israélienne le 7 mai ont empêché les habitants d’accéder aux centres de dépistage de la malnutrition (…) des milliers d’enfants qui étaient suivis ou dépistés et dont nous avons soudainement perdu la trace».
Pour elle, l’accès «dramatiquement insuffisant de l’aide dans l’enclave, où l’acheminement de l’aide humanitaire reste un casse-tête en raison des combats en cours, du vide en matière d’ordre public et de sécurité ainsi que des attaques régulières contre les installations de stockage de l’aide, des difficultés administratives et des heures d’attente aux postes de contrôle, ne font qu’aggraver l’horreur de la situation».
Elle met en garde aussi contre le «manque de carburant qui entrave non seulement l’acheminement de l’aide, mais aussi les efforts de protection, notamment la capacité des humanitaires à atteindre les enfants non accompagnés qui se déplacent» avant de témoigner sur «les expériences pénibles» de familles qu’elle a vues durant son séjour de trois mois à Ghaza.
«Nous ne devrions vraiment pas parler des conditions de vie dans la bande de Ghaza, car aucun habitant de Ghaza n’a de conditions de vie», a-t-elle déclaré aux journalistes à Genève. «Ce qu’ils ont, si vous regardez bien, ce sont des conditions de survie. Et à peine. Ils ne tiennent qu’à un fil.»
Elle décrit «les terribles conséquences du bombardement du camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de Ghaza, au début du mois, dans le cadre d’une opération militaire israélienne visant à libérer des otages détenus par le Hamas, qui a fait quelque 270 morts et 700 blessés», évoquant les centaines de personnes «mutilées à vie» à la suite de ce bombardement de deux heures, dont des enfants qui ont perdu des membres et qu’elle a rencontrés le lendemain à l’hôpital voisin, dont «beaucoup m’ont rappelé mes deux propres petits bambins».
Des témoignages hallucinants qui lèvent le voile sur l’horreur imposée par l’entité sioniste à la population de Ghaza dans une guerre qui ne respecte ni l’éthique, ni la morale, ni les règles et le droit international.