Le rapport Colonna sur les allégations contre l’UNRWA est clair : «Israël n’a fourni aucune preuve…»

24/04/2024 mis à jour: 04:44
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Catherine Colonna, ancienne cheffe de la diplomatie française, a remis son rapport sur la neutralité de l’Unrwa

Les autorités israéliennes «n’ont apporté aucune preuve» sur les liens supposés avec la résistance de 12 travailleurs (sur 13 000 employés) de l’Unrwa, l’agence humanitaire onusienne qui aide à la survie de plus de deux millions de Palestiniens à Ghaza et en Cisjordanie. 

C’est ce qu’a révélé le rapport de l’enquête indépendante ordonnée par le secrétaire général de l’Onu et dirigée par l’ancienne cheffe de la diplomatie française Catherine Colonna. Le rapport de 54 pages a affirmé que l’Unrwa «fournissait à Israël, régulièrement, les listes de ses employés à des fins de vérification (…) et à aucun moment le gouvernement israélien n’a informé l’agence d’une quelconque préoccupation liée» à ses travailleurs, et ce, «depuis 2011». 

Dans le rapport, il est reconnu que l’agence onusienne a des «problèmes de neutralité» à Ghaza, mais «Israël doit encore fournir la preuve» que certains des membres de l’agence sont liés à des «organisations terroristes», ajoutant : «Il reste que l’Unrwa est irremplaçable et indispensable aux Palestiniens (…). Elle demeure cruciale pour apporter une aide humanitaire vitale et des services sociaux essentiels, notamment en matière de santé et d’éducation, aux réfugiés palestiniens à Ghaza, en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Cisjordanie (…). Mais en dépit de ce cadre solide, des problèmes liés à la neutralité persistent.» 

Il s’agit, a précisé le rapport, «de cas d’employés du personnel exprimant publiquement leurs opinions politiques, de livres scolaires au contenu problématique venant du pays hôte et utilisés dans certaines écoles de l’Unrwa, de syndicalistes politisés proférant des menaces contre l’encadrement de l’Unrwa et perturbant des opérations humanitaires (…). Sur la base d’une liste de mars 2024 contenant des numéros d’identité de Palestiniens, Israël a affirmé publiquement qu’un nombre significatif d’employés de l’Unrwa sont membres d’organisations terroristes. Cependant, Israël doit encore en apporter la preuve». 

Les allégations de l’entité sioniste contre les 12 travailleurs de l’agence avaient poussé les principaux alliés d’Israël et les plus importants donateurs de l’Unrwa à couper les aides financières à l’agence, et ce, au lendemain des mesures conservatoires de la Cour de justice internationale (CIJ) le 27 janvier dernier, obligeant Israël à «empêcher les crimes éventuels de génocide à Ghaza et à en stopper ceux en cours». Les Etats-Unis, principal allié d’Israël, ont été le premier pays à annoncer l’arrêt brutal des fonds destinés à l’Unrwa, et ce, jusqu’en 2025, suivi en moins de 48 heures par d’autres pays alliés d’Israël, à savoir l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, l’Italie, la Finlande et l’Australie. 
 

Arrêt brutal des aides financières à l’agence 

En quelques jours seulement, la liste s’est élargie pour comprendre 18 pays. Un coup très dur pour l’agence, un témoin gênant des génocides, des déportations et des crimes de guerre commis par l’armée d’occupation à Ghaza. Son budget a été sensiblement réduit malgré les énormes besoins de 2,3 millions de personnes à Ghaza, dont la plupart ont été contraintes de quitter leur domicile et peinent à trouver de l’eau, de la nourriture, un abri ou des soins médicaux. 

Les dirigeants de l’Unrwa vont subir une campagne sans précédent menée par Israël qui, par la voix de son chef de la diplomatie, affirme que l’agence «ne fera plus partie de l’après-Ghaza», confirmant ainsi la volonté de l’entité sioniste d’exclure l’agence des mécanismes humanitaires onusiens. Pendant ce temps, les camions de l’Unrwa sont bloqués aux différents points de passage contrôlés par l’armée israélienne, d’autres ont fait l’objet de tirs d’obus par l’armée sioniste alors que la famine a commencé à tuer des enfants au nord de Ghaza. Une situation humanitaire désastreuse qui a poussé quelques semaines après plusieurs donateurs à revenir sur leurs décisions et d’autres à augmenter leurs aides destinées à l’Unrwa. 

Les conclusions de l’enquête dirigée par l’ancienne ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, est une sorte d’évaluation de la neutralité de l’Unrwa, réalisée avec l’aide de trois instituts de recherche nordiques de renommée : l’Institut suédois des droits de l’homme et du droit humanitaire Raoul Wallenberg, l’Institut norvégien Chr Michelsen et l’Institut danois des droits de l’homme, lesquels ont effectué, en parallèle à l’enquête, une évaluation plus détaillée, transmise au secrétaire général de l’Onu, qui affirme : «Les autorités israéliennes n’ont jusqu’à présent fourni aucune preuve à l’appui ni répondu aux lettres de l’Unrwa en mars, puis à nouveau en avril, demandant les noms et les preuves à l’appui qui permettraient à l’Unrwa d’ouvrir une enquête.» 

Dans le rapport Colonna, il est clairement démontré aussi qu’Israël «n’a pas pu présenter de preuves sur l’implication» du personnel de l’Unrwa dans l’attaque du 7 octobre. Le rapport a, par ailleurs, révélé que «l’Unrwa a mis en place un nombre important de mécanismes et de procédures pour garantir le respect des principes humanitaires, en mettant l’accent sur le principe de neutralité, et qu’elle possède une approche de la neutralité plus développée que d’autres entités similaires des Nations unies ou des ONG». 

Sur les manuels scolaires de l’ Autorité palestinienne (AP), utilisés dans les écoles de l’Unrwa et dont le contenu est, selon Israël, antisémite, le rapport a expliqué que les évaluations des institutions nordiques n’ont trouvé que très peu de preuves concernant ces allégations. «Trois évaluations internationales des manuels de l’Autorité palestinienne, réalisées ces dernières années, ont dressé un tableau nuancé. Deux d’entre elles ont identifié la présence de préjugés et de contenu antagoniste, mais n’ont pas fourni de preuve de contenu antisémite. 

La troisième évaluation, réalisée par l’Institut Georg Eckert, basé en Allemagne, a étudié 156 manuels scolaires de l’AP et a identifié deux exemples qui présentaient des motifs antisémites, mais a noté que l’un d’eux avait déjà été supprimé, l’autre a été modifié. Israël a déclaré publiquement, au mois de mars, qu’un nombre important d’employés de l’Unrwa étaient membres d’organisations terroristes (…). 

Cependant, il n’a pas encore fourni de preuves pour l’appuyer», lit-on dans le rapport, qui a mis en avant «l’importance» de l’agence dans le dispositif humanitaire destiné aux réfugiés palestiniens. «L’Unrwa est indispensable» aux Palestiniens de toute la région et en «l’absence de solution politique entre Israël et les Palestiniens» elle «reste un acteur essentiel dans la fourniture d’une aide humanitaire vitale (…) en tant que tel, l’Unrwa est irremplaçable et indispensable au développement humain et économique des Palestiniens». 

Le rapport a également révélé que l’Unrwa «s’est constamment efforcée d’assurer la neutralité de l’éducation», parce qu’elle dispense «un enseignement élémentaire et préparatoire à 500 000 élèves dans 706 écoles avec 20 000 enseignants, y compris à Ghaza, où actuellement tous les enfants ne sont pas scolarisés suite aux attaques qui ont détruit le système éducatif de l’enclave». 
 

L’Unrwa, un témoin gênant du génocide

En conclusion, le rapport a suggéré plusieurs recommandations afin d’ «améliorer les garanties de neutralité» pour plus de 32 000 employés de l’Unrwa à travers, entre autres, «l’élargissement de la capacité du service de contrôle interne, plus de formation de personnes et plus de soutien de la part des pays donateurs» mais aussi la mise en place d’une «unité d’enquête de neutralité centralisée», le déploiement d’«un code d’éthique mis à jour», la formation «associée à tout le personnel», «l’identification et la mise en œuvre de moyens supplémentaires pour sélectionner» les candidats de l’Unrwa, «à un stade précoce du processus de recrutement», l’exploration de «la possibilité d’une surveillance par une tierce partie des projets sensibles» et l’établissement d’«un cadre avec les bailleurs de fonds intéressés». 

La réaction d’Israël à ce rapport ne s’est pas fait attendre. Lundi soir, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Oren Marmorstein, a réaffirmé les accusations d’appartenance à la résistance palestinienne contre «2135 travailleurs» de l’Unrwa et déclaré que «le rapport est insuffisant» et, selon lui, «constitue un effort visant à éviter le problème et à ne pas le résoudre». 

Lors de sa conférence de presse, animée juste après la remise du rapport au secrétaire général de l’Onu  (ordonnateur de l’enquête), Catherine Colonna a déclaré que «l’ensemble des règles ainsi que les mécanismes et procédures en place à l’Unrwa sont les plus élaborés au sein du système des Nations unies», précisément parce qu’«il est très difficile de travailler dans un environnement aussi complexe et sensible», précisant que «ce qui doit être amélioré le sera. Je suis convaincue que la mise en œuvre de ces mesures aidera l’Unrwa à remplir son mandat». 

Interrogée sur la réaction d’Israël au rapport, l’ancienne cheffe de la diplomatie française a répondu qu’elle a eu «de bonnes relations avec Israël lors de l’enquête», mais qu’elle n’était «pas surprise par la réponse israélienne» et a ajouté qu’elle «avait appelé Israël en disant : S’il vous plaît, prenez en compte tout ce que nous recommandons, et si c’est mis en œuvre, cela apportera du bien».  

Il est important de rappeler qu’une autre enquête, ouverte le 26 janvier dernier par le Bureau des services de contrôle interne de l’Onu à la suite des allégations d’Israël, n’est toujours pas achevée. Elle a précédé celle dirigée par Catherine Colonna d’une dizaine de jours. Antonio Guterres avait nommé, le 5 février 2024, un groupe d’examen indépendant chargé d’évaluer la neutralité de l’agence et de répondre aux allégations de violations graves lorsqu’elles sont formulées. 

Dès le 14 février, le groupe a entamé son enquête et soumis, au secrétaire général de l’Onu, un rapport intérimaire fin mars 2024, en attendant les conclusions finales, prévues la fin du mois d’avril.

Au cours de l’examen des mécanismes existants de l’agence, qui a duré neuf semaines, «le groupe a mené plus de 200 entretiens, rencontré les autorités israéliennes et palestiniennes et contacté directement 47 pays et organisations, présentant un ensemble de 50 recommandations sur des questions allant de l’éducation aux nouveaux processus de sélection lors du recrutement du personnel», lit-on dans le rapport.

 Ce dernier a estimé que «les allégations d’Israël contre l’Unrwa ont déclenché la suspension du financement d’un montant d’environ 450 millions de dollars. L’impact direct des allégations israéliennes a rapidement entravé la capacité de l’Unrwa à poursuivre son travail. Fonctionnant uniquement grâce à des dons volontaires, l’Unrwa a vu d’importants bailleurs de fonds, dont les Etats-Unis, annuler ou suspendre leurs aides». 

Il a recommandé «d’augmenter la fréquence et de renforcer la transparence des communications de l’Unrwa avec les donateurs sur sa situation financière et sur les allégations et violations de neutralité».
 

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