Le racket : Le lucratif train de la peur qui parcourt l’Amérique latine

13/03/2024 mis à jour: 03:02
AFP
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Une commerçante montre un impact de balle dans son véhicule tiré par des membres de gangs lui intimant de payer pour sa protection, dans le quartier de Lurigancho, à Lima

Du Pérou à la Colombie, en passant par l’Equateur, le Salvador, le Honduras, le Guatemala ou le Mexique, les demandes de racket sont monnaie courante dans de nombreux pays d’Amérique latine.

 

Eduardo a commencé à se faire racketter avant même d’avoir ouvert son commerce. Il a ignoré les menaces, mais le ton a pris un tour plus sinistre, lorsqu’une nuit, un individu à moto a ouvert le feu sur les locaux qu’il était en train d’aménager dans l’est de Lima. 

Selon des sources de renseignement consultées par l’AFP, les millions de dollars que génère le racket n’est dépassé que par le trafic de drogue et la traite d’êtres humains, et pourrait se révéler plus rentable que l’exploitation minière illégale. 

Eduardo, qui préfère taire son nom par peur de représailles, a eu connaissance de l’attaque de son établissement, un sauna, par une vidéo envoyée sur son téléphone. «Je crains pour ma vie et celle de ma famille», assure le quadragénaire. 

Le gang qui opère dans son quartier lui a réclamé des frais d’enregistrement de 13 300 dollars et un paiement mensuel de 1300 dollars. «Je me déplace presque en cachette parce que j’imagine qu’ils ont déjà tout étudié et qu’ils savent où j’habite, où je prends mon petit-déjeuner, où je déjeune», raconte-t-il. Petits ou gros commerçants, transporteurs, zones résidentielles ou villes entières, rares sont les endroits où les organisations criminelles sont absentes.  

Des bandes, telles que le Clan del Golfo en Colombie, les Tiguerones en Equateur ou le Tren de Aragua au Venezuela, mais présent également en Colombie, au Chili et au Pérou, agissent comme «de véritables entreprises criminelles à la recherche de marchés et de partenaires dans d’autres pays», explique à l’AFP le procureur péruvien chargé de la lutte contre la criminalité, Jorge Chavez. 

Malgré leur pouvoir d’intimidation, les plaintes ont explosé dans de nombreux pays. En 2023, le Pérou en a enregistré 19 400, soit une hausse de près de 500% en deux ans. Idem en Equateur. Au Mexique, une demande de racket est signalée toutes les heures, selon le réseau d’entrepreneurs Coparmex. 

A chaque fois, les messages sont similaires selon Andrés Choy, président de l’Association péruvienne de petits commerçants, qui regroupe 22 000 membres, dont 13 000 ont été victimes d’extorsion en 2023 : «Nous savons qui vous êtes, nous savons à quelle heure votre commerce ouvre (...) quand vous allez au marché, où votre fils va à l’école.» L’avertissement suivant peut être une photo de votre proche, après quoi, certains ferment boutique ou envoient leurs enfants à l’étranger. 

 En janvier, à Lima, un explosif et des coups de feu ont été tirés sur la façade de la quincaillerie que tient Anita. «Les menaces ont changé ma vie. Je dois me cacher avec mes enfants», déplore cette veuve de 43 ans, mère de deux filles.
 

«Etat parallèle» 

Les gangs ont pratiquement créé un Etat parallèle : ils contrôlent des territoires au sein desquels ils mettent en place un système d’impôts, explique le colonel équatorien Roberto Santamaria, chef de la police de Nueva Prosperina, l’un des quartiers les plus violents du port de Guayaquil. 
 

Après avoir fait régner la terreur avec leurs menaces, ils s’assurent de récolter l’argent, souvent en utilisant des mineurs qui ne peuvent être poursuivis. Une autre faction est souvent chargée des représailles à l’encontre de ceux qui n’obtempèrent pas. Le colonel Santamaria calcule : un simple quartier de 2000 maisons rapporte un butin de 120 000 dollars par mois, à raison de deux dollars par jour par foyer.  

Dans la ville colombienne de Buenaventura, principal port du Pacifique avec 311 000 habitants, «tout le monde doit payer, que ce soit pour ouvrir un commerce, construire ou améliorer un bâtiment», affirme Elizabeth Dickinson, analyste de l’International Crisis Group (ICG) dans le pays.
 

Du call center à l’IA 

Au Pérou, à l’instar d’autres pays, les méthodes des gangs ont évolué. Au début, ils demandaient de l’argent en échange d’une protection, puis sont apparus des petits prêts avec des taux d’intérêt mensuels de jusqu’à 20%. «Lorsque le client ne peut pas payer, l’extorsion commence : si tu ne paies pas, nous allons brûler ton kiosque, attraper ta famille, ta sœur ou tes enfants pour les blesser ou les tuer», explique le procureur Chavez. 
 

Depuis peu, des centres d’appel proposent des crédits par le biais d’une application. Les victimes reçoivent l’argent après avoir communiqué des informations personnelles, ensuite utilisées pour les faire chanter. 
Les criminels se servent désormais aussi de l’intelligence artificielle pour créer des photos compromettantes. Pour éviter qu’elles ne deviennent virales, les victimes doivent payer.

Bien que la population vive dans la peur, l’économie dans la région continue de tourner. Ni Eduardo ni Anita n’ont voulu dire s’ils avaient fini par payer, mais le premier a ouvert son sauna et la quincaillerie d’Anita est toujours en activité.

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