La France est une grande nation démocratique où la qualité de vie est une des plus élevées au monde. L’Etat français ne peut être suspecté de racisme, j’en suis convaincu. Toutefois, la France est gangrénée de l’intérieur par un poison insidieux, d’une violence inouïe qui la fracture et la paralyse dans son développement.
Ce poison, c’est le fléau de la discrimination et plus particulièrement de la discrimination liée aux origines : le poison racisme. Discrimination et racisme sont étroitement imbriqués tel un continuum comme le confirme le Défenseur des droits (1), faisant dire à certains sociologues que la discrimination est un racisme en acte. C’est une réalité sociale qu’on ne peut plus négliger et qui fracture la France depuis plus de 60 années.
Le Défenseur des droits représente l’institution de l’Etat français en charge des luttes contre les discriminations. Il a raison de mettre en exergue l’effet dévastateur du poison racisme où l’on juge l’autre, l’étranger, non pas pour ce qu’il fait mais pour ce qu’il est ou supposé être avec une stigmatisation et des stéréotypes (couleur de peau, traits du visage, texture des cheveux, patronyme, prénom, accent, religion, lieu de résidence). Cet article s’interroge sur le modèle d’assimilation français et pose la question suivante : pourquoi le poison racisme ne fait que progresser ?
Quelles en sont les véritables causes y compris historiques et quelles préconisations pouvons-nous esquisser ?
Cette problématique renvoie à la dialectique de la société française, où une confrontation, invisible mais puissante s’opère, entre un « nous » et un « eux » qui se matérialise par une différence de traitement discriminant, souvent excluant et infériorisant. La fracture de la société française se matérialise à ce niveau en considérant ces autres, souvent citoyens français d’origines étrangères (principalement arabes, musulmans, noirs), comme des Français pas tout à fait comme les autres. Ces autres, un peu inférieurs, suspectés de ne pas partager les mêmes valeurs comme la laïcité ou l’égalité homme-femme, remettent en cause le pacte républicain poussant à les considérer comme les intrus ou les adversaires de la république.
La montée de l’extrême droite nationale et la droitisation de la société française, y compris dans les classes populaires, prône désormais ouvertement la préférence nationale avec le rapatriement ou l’expulsion forcée de ces citoyens toujours immigrés dans le regard de l’autre. Cette radicalisation fragilise ouvertement le pacte républicain qui a fait la grandeur de la France comme terre d’accueil de vagues d’immigrés successives. Il ne faut pas se tromper sur l’analyse, le poison racisme a toujours existé, au début du 20e siècle avec les immigrés italiens, juifs, arméniens, polonais, espagnols mais aussi maghrébins, avec les Algériens en première ligne qui fuyaient la misère de leurs pays où ils étaient devenus étrangers sur leurs propres terres parce qu’ils avaient été dépossédés et clochardisés par la puissance coloniale française. Le modèle français d’intégration a su assimiler les premières vagues d’immigrants d’origines européennes, le poison racisme s’étant rapidement estompé à leur égard contrairement aux maghrébins et en particulier les Algériens. Nous allons tenter d’en comprendre les effets, les causes et les perspectives.
LE POISON FRANÇAIS : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Les conséquences du poison racisme se jouent à différents niveaux. Au-delà de leurs coûts économiques et sociaux, elles entament le rapport de confiance des personnes discriminées aux institutions et questionnent leur place dans la société comme le confirme le Défenseur des droits(1). Un poison qui fragilise la cohésion sociale. Si vous ne donnez pas les mêmes droits dans les faits à un citoyen, il se sent exclu et légitime de ne plus être tenu par les mêmes devoirs. C’est en cela que la république a failli. La dignité des victimes du poison est altérée et tous les comportements y compris déviants sont désormais permis, s’octroyant le droit de bafouer les lois de la république parce qu’elle n’a pas su les considérer comme des citoyens à part entière. Ces victimes du poison s’exonèrent des devoirs de civisme et le revendiquent fièrement comme réponse violente à la société qui n’a pas su les considérer comme de véritables citoyens.
Cette lecture ne légitime aucunement les dégradations opérées lors des émeutes, au contraire elle tente de les expliquer comme conséquence d’une mal-vie pour qu’elles ne se reproduisent plus. La France se retrouve piégée par son poison car le pacte républicain est rompu avec des valeurs partagées disloquées en particulier en termes d’égalité de traitement face à l’emploi, le logement, le loisir mais aussi la mémoire, nous y reviendrons. En d’autres termes, le poison racisme fait exploser les stratégies d’évitement des lois de la république de certaines victimes y compris dans la violence et la délinquance, une forme d’auto-exclusion de la société comme réponse de protestation. La question des responsabilités se pose et semble ne pas trouver de réponse pertinente.
«Les discriminations fragilisent ainsi les formes d’adhésion des groupes discriminés à la République et nourrissent une certaine défiance vis-à-vis des institutions».Page 38 (1).
«Les personnes d’origine maghrébine, immigrées ou descendantes d’immigrés du Maghreb, sont également plus souvent exposées au risque de chômage que les personnes sans ascendance migratoire ayant les mêmes caractéristiques». Page 51 (1).
La France victime de son poison racisme
A l’heure où le pays s’enflamme, deux camps s’affrontent désormais au grand jour. Symbole de la fracture de la société française, le premier composé de français de tous bords, s’interroge sur la récurrence des soulèvements en banlieue. Le dernier, en 2005, avait coûté plusieurs milliards d’euros et un état d’urgence de plusieurs mois avait suscité la risée du monde. Il se pose par ailleurs la question de l’étrange incapacité de notre société à faire respecter le pacte républicain avec ces Français souvent d’origines maghrébines et en particulier algérienne. En face, principalement les populations d’origines maghrébines où l’appartenance religieuse est forte, considère que le poison racisme français les frappe de plein fouet encore et toujours, y compris en assassinant un des leurs parce qu’arabe, musulman, algérien et finalement français pas tout à fait comme les autres. Une question se pose, la France est-elle devenue un pays foncièrement raciste ? Ou alors les actes racistes sont-ils des actes isolés ? Ne seraient-ils pas que l’expression de quelques bavures, une réalité sociale mineure qui n’impacte pas le vivre ensemble. Ma réponse est explicite, la France n’est pas dirigée par un Etat raciste mais elle est gangrénée par le poison racisme.
En écrivant l’ouvrage «Le poison français » en 2017 (2) et en interpellant le Président Macron de l’urgence d’agir, j’avais pris position en affirmant que ce racisme anti-musulman était un poison pour la France. A nouveau, je réitère mes positions et affirme que c’est un fléau omniprésent qu’il faut combattre d’une manière puissante dans un souci d’apaisement. Il faut prendre la mesure et agir concrètement en urgence pour inverser la tendance haussière. Le Président Macron m’avait répondu dans un esprit cordial mais avait éludé le fond de la problématique en occultant ce poison racisme face à une islamophobie galopante.
Pire, en l’alimentant en légiférant en 2021 sur le séparatisme religieux, loi stigmatisant un peu plus les musulmans. Il l’accentue encore plus en consolidant l’idée que les antisionistes, ceux qui luttent contre la politique coloniale d’Israël dont sont principalement issus les musulmans et les algériens en particulier du fait de leurs histoires coloniales sont désormais suspectés d’être les nouveaux porteurs de l’antisémitisme français (3). Une nouvelle chape de plomb s’abat sur ces français d’origines musulmanes et algériennes. La question persiste. Ce poison français à l’égard des musulmans et en particulier des algériens, est-il une construction intellectuelle aux objectifs obscurs ou est-il une réalité qui ne peut plus être niée. Les rapports du Défenseur des droits (1), institution légitime de l’Etat, sont accablants et confirment l’ampleur du poison racisme en France comme fléau de masse et en progression.
LE DENI FRANÇAIS FACE AU POISON RACISME
«Ces discriminations, souvent peu visibles, entravent de façon durable et concrèteles parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs droits les plus fondamentaux. Selon le défenseur des droits, Les discriminations fondées sur l’origine concernent en effet une part importante de la population en France.
Si l’on ajoute l’ensemble des personnes dont les deux parents sont français et qui sont victimes de discrimination parce qu’ils sont assignés à une origine étrangère, on commence à saisir les contours d’un phénomène discriminatoire de masse, pourtant largement sous-estimé ». (1). Dans les médias et les discours institutionnels, le sujet des discriminations raciales se trouve dissout dans l’approche des inégalités sociales ou territoriales où sous le prisme du fait divers ou de la diversité, empêchant sa reconnaissance au profit d’autres analyses comme le reconnaît le Défenseur des droits. Le cadre de l’action publique en la matière est également marqué par une grande confusion des concepts : lutte contre les discriminations, promotion de la diversité, inclusion, politique d’égalité, laïcité, racisme ou encore intégration.
Cela tend à mettre en concurrence les registres d’intervention, à minorer les situations de discriminations et à favoriser l’inaction des pouvoirs publics en la matière. La question de l’identité semble avoir supplanté celle de l’égalité comme le confirme là encore le Défenseur des droits (1). Une autre question s’impose, qui sont les principales victimes du poison français et pourquoi ?
LES PRINCIPALES VICTIMES DU POISON FRANÇAIS, LES MUSULMANS ET LES ALGÉRIENS
«Les polémiques récentes et toujours renouvelées autour du principe de laïcité, interprété parfois de manière extensive, ont continué à renforcer la stigmatisation des personnes de confession musulmane ou simplement perçues comme telles ».Page 48. (1) « Le marqueur religieux tend à redoubler le marqueur racial : les personnes perçues comme arabes déclarent majoritairement être également considérées comme étant de confession musulmane (88% des femmes et 94% des hommes)». Page 31(1)
Depuis plus de trente ans, les citoyens français de confession musulmane sont quasi absents du paysage politique comme s’ils le désertaient parce que ne se sentant pas concernés. Ce milieu politique semble totalement décalé des réalités parce que peu vivent ou ont vécu de l’intérieur le quotidien de cette population. La désillusion est profonde vis-à-vis de cette classe politique qui sous couvert de l’intérêt général passe souvent son temps à « casser » du musulman dans les médias ou ailleurs. Il faut désormais avoir le courage de les nommer pour enfin ne plus les stigmatiser d’une manière insidieuse et poser sérieusement le devenir de cette communauté dans la société française.
On a tout fait pour ne pas la nommer sous couvert de l’absence de communautarisme. Par cette politique de l’autruche, on écarte les problématiques présentes car dans les faits cette population induit un communautarisme de destin avec un poison racisme des plus aiguisé à son encontre. On leur demande surtout de ne pas se représenter en tant que membre d’une communauté ethnique tout en les renvoyant d’une manière insidieuse à leurs communautés d’origine (arabe et musulmane).
La contradiction principale s’inscrit dans cette équation impossible à vivre. Le système ambiant les enferme souvent dans une forme de déterminisme ou la reproduction sociale est quasi générale, y compris chez les plus diplômés, toujours avec ce regard d’être des Français pas tout à fait comme les autres, un peu beaucoup et toujours étrangers dans le regard des autres.
Le système a grand mal à nommer ce type de population comme si c’étaient des hommes sans nom, comme au temps de la colonisation avec une élite maghrébine souvent instrumentalisée qui n’a pas su transmettre des repères percutants, centrée sur un carriérisme personnel oubliant le déterminisme des masses qui était frappé par le poison et l’exclusion. On parle de jeunes, de gens des cités et dans le meilleur des cas de beurs, faisant dire à certains « nous ne sommes plus du beurre à tartiner ». Ces musulmans sont en grande partie d’origine algérienne, il y aurait en France 4 millions de franco-algériens selon Sévérine Labat (4) et 6 millions selon le Président algérien Abdelmadjid Tebboune.
Quelle que soit la source retenue, cette population est très nombreuse et représente près de 10% de la population française totale et plus de 50% de la population totale musulmane en France.
Le poison racisme à l’égard des musulmans, où les Algériens sont majoritaires, peut s’expliquer en partie par une raison historique, celle de la colonisation française en Algérie. Cette colonisation française, fondée principalement sur le racisme en refusant l’égalité des droits aux indigènes algériens sur le fondement de l’incompatibilité de la croyance musulmane à la citoyenneté française. La question qui perdure, le poison du racisme colonial n-a-il pas perduré dans nos sociétés actuelles en considérant toujours ces enfants de colonisés comme étant inférieurs, incompatibles avec la société française car musulmans et finalement jamais comme des Français à part entière.
Les algériens en France, la triple peine : colonisé, islamiste et antisémite
Aujourd’hui, la majorité des musulmans de France, dont les Algériens constituent la majorité, subit une triple peine. La première est d’être toujours considérés comme étrangers et un peu inférieurs dans le regard de l’autre car enfants de la colonisation, toujours un peu indigènes de la république. Ensuite, le fait d’être musulman aujourd’hui dans la cité française se confronte à l’image séculaire de cette religion qui est maltraitée depuis au moins mille ans, comme dernière religion du livre révélé. Enfin, ces musulmans, surtout les Algériens, sont souvent les supposés porteurs du nouvel antisémitisme français faisant de ce cette population la cible privilégiée du poison français. Alors que l’on aurait pu croire que le système les aurait protégés un peu plus du fait d’un racisme démultiplié à leur encontre.
Pour les autres pays du Maghreb, sur cette question du nouvel anti sémitisme, la tendance serait moins lourde. Le Maroc ayant normalisé ses relations avec Israël et la Tunisie négocie, d’une manière secrète depuis longtemps, une éventuelle normalisation avec Israël. Pour ces deux pays, une communauté juive est toujours présente. L’Algérie, dernier pays du front de la fermeté contre Israël, serait dans le viseur de beaucoup de lobbyistes en France. L’ultime question qui s’impose : quelles sont les causes profondes du poison ?
(A Suivre)
Par Pr SEDDIK LARKECHE
Bibliographie
1. Le Défenseur des droits, Rapport Discrimination et origines, l’urgence d’agir, 2020.
2. Larkeche S, Le poison français, lettre au Président de la république, Ena, 2017.
3. Larkeche S, Réponses d’un franco-algérien au Président Macron et à Benjamin Stora, Ena, 2021.
4. ;Labat S, La France réinventée : les nouveaux binationaux franco-algériens, Publisud, 2010.
5. Tillion G, la Traversée du mal, Arlea,1997.
6. Le Cour Grandmaison.O, Sur le rapport de Benjamin Stora, le conseiller contre l’historien, Mediapart,28.01.2021.
7. Driencourt X, Interview, Le Figaro, 8 janvier 2023.
8. Driencourt X, Interview, Atlantico, 12 juin 2023.
9. Boyer, V, Rapport sur la répression d’Algériens le 17 octobre 1961, Senat, 1 dédembre 2021.
10. Kitouni H, interview BerbereTv, 16 juin 2023.
11. Larkeche S, Il était une fois en France, Ena, 2000