Le plafonnement de la marge bénéficiaire risque d’être sans effet

03/01/2022 mis à jour: 05:22
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Une mesure et des questions / PHOTO : D. R.

Maintenant que la décision est prise, il reste à savoir comment feront les services concernés pour la mettre en œuvre et pour vérifier les marges bénéficiaires appliquées par les commerçants.

Face aux augmentations des prix des produits de large consommation constatées ces derniers mois sur le marché et qui ont poussé l’inflation vers le haut, les pouvoirs publics tentent de freiner le phénomène en adoptant certaines mesures.

Après la criminalisation de la spéculation sur les produits de base, le ministère de l’Agriculture et celui du Commerce se penchent actuellement sur le plafonnement des marges bénéficiaires des commerçants à 20%. «Les commerçants sont tenus de respecter une marge bénéficiaire inférieure ou égale à 20%», a précisé, fin 2021, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Abdelhafid Henni. «Les secteurs de l’agriculture et du commerce veilleront à ce que ce taux ne soit pas dépassé.» C’est l’une des missions qu’auront donc à mener ces deux secteurs en ce début d’année 2022, qui commence justement avec cet appel des boulangers à revoir à la hausse le prix de la baguette de pain.

Maintenant que la décision est prise, il reste à savoir comment feront les services concernés pour la mettre en œuvre et pour vérifier les marges bénéficiaires appliquées par les commerçants. C’est là tout le travail à faire.

Ce qu’estime d’ailleurs Hassan Menaouar, président de l’association de protection du consommateur El Aman. «Les décisions ne sont pas bien réfléchies. Il faudrait d’abord faire des études en amont et faire des calculs sur le coût de revient de chaque produit avant de plafonner la marge de manière à ne pas engendrer des pertes aux commerçants et aux producteurs tout en préservant un tant soit peu le pouvoir d’achat des consommateurs», nous dit Hassan Menaouar.

Et d’ajouter : «L’idéal, est d’œuvrer pour assurer un équilibre entre l’offre et la demande, autrement dit réguler le marché. Ce n’est pas en réduisant les importations qu’on va régler ce problème, mais c’est en encourageant la concurrence positive qu’on va tirer les prix vers le bas.» Donc, en libérant l’initiative. De son côté, le président de l’Association nationale des commerçants et artisans (ANCA), Hadj Tahar Boulenouar, juge le taux fixé pour la marge (20%) insuffisant.

Quelle efficacité d’une telle mesure ?

«Pour l’objectif assigné à une telle mesure, nous sommes d’accord puisqu’il s’agit d’assurer une certaine marge bénéficiaire aux commerçants et de lutter contre la spéculation. Mais avec l’existence de l’informel à des niveaux importants, il aurait fallu plafonner le taux à au moins 30%. Autant alors travailler pour lutter contre le marché parallèle», préconise le président de l’ANCA. Pour M. Boulenouar, il y a lieu aussi de prendre en considération les différentes charges dans le calcul de la marge «surtout avec la hausse des loyers». Au final, quelle efficacité attendre d’une telle mesure ?

En réponse à cette question, l’économiste Brahim Guendouzi nous dira : «Fixer la marge à 20% peut apparaître à première vue comme un levier juridique destiné à faire face à la hausse indésirable des prix, particulièrement ceux des biens alimentaires. Même si cette mesure contribuera certainement à la régulation des activités commerciales, certaines limites apparaîtront, notamment la nature des produits qui seront soumis à cette réglementation quand on sait que de nombreuses marchandises ont des prix libres car obéissant au jeu de la libre concurrence.»

«Les commerces qui seront soumis à cette nouvelle règle peuvent également présenter des différentiations relevant, par exemple, des lieux d’activité entre zones urbaines et rurales ainsi que des pratiques marketing», nous explique encore M. Guendouzi, qui ne manquera pas de souligner, tout comme M. Boulenouar, le défaut de facturation du fait de la forte présence du secteur informel dans la sphère commerciale.

Parallèlement, les produits agricoles échappent aussi à la facturation «en raison de leur spécificité et surtout de la nature des circuits de distribution qui les caractérisent car échappant à tout contrôle». Donc, en définitive, ce ne sont pas les réserves et difficultés qui manquent pour limiter la marge bénéficiaire. «Il y a autant d’entraves qui risquent de s’ériger face à une mesure d’ordre juridique limitant la marge bénéficiaire, mais qui risque de rester sans effet immédiat sur la réalité», conclut M. Guendouzi.

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