Nouvelle loi sur les manifestations, bras de fer entre autorités soutenues par l’armée et partisans de l’ex-Premier ministre incarcéré Imran Khan qui passe des réseaux sociaux à la rue, députés en détention : le Pakistan entre dans une énième escalade politique, estiment les experts. «L’opposition et l’armée s’engagent de plus en plus dans l’affrontement», affirme à l’AFP le politologue Zahid Hussain. L’armée «ne parvient pas à endiguer la colère et à réduire le soutien à Imran Khan», renchérit sa collègue Ayesha Siddiqa. «Et rien n’indique que la situation va s’améliorer».
En organisant dimanche un rassemblement massif à Islamabad, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), le parti de l’ex-international de cricket, a prouvé qu’il pouvait encore mobiliser la rue contre le gouvernement, formé sans lui après les législatives de février grâce au soutien de l’armée. En réponse, la police et la justice ont brandi une loi tout juste passée encadrant les rassemblements dans la capitale. Dix députés du PTI, arrêtés pour certains au sein de l’Assemblée nationale, ont été placés en détention provisoire par un tribunal anti-terroriste. Ce coup de filet choc va «accroître la polarisation du pays» et «créer une instabilité dangereuse», explique M. Hussain, dans le cinquième pays le plus peuplé au monde englué dans le marasme politique et économique.
«Terrorisme numérique»
Il y a plus d’un an, était incarcéré Imran Khan, 71 ans dont quatre au poste de Premier ministre avant une censure - parce qu’il avait perdu le soutien, indispensable au Pakistan, de la puissante armée selon les experts. Ses partisans sortaient alors massivement et s’en prenaient à des bâtiments gouvernementaux et même militaires. En février, ses députés se présentaient malgré tout aux législatives, sous l’étiquette d’indépendants car interdits de se revendiquer PTI et remportaient le plus grand nombre de sièges. Mais les partis soutenus par l’armée parvenaient à former sans eux une coalition gouvernementale.
Depuis, Imran Khan de sa cellule, ses partisans en ligne et son parti crient à l’injustice - même si, dans le même temps, l’ex-chef de gouvernement dit régulièrement tendre la main à l’armée. La manifestation de dimanche, tenue malgré les containers qui bloquaient Islamabad, a changé la donne. Les appels au dialogue semblent avoir fait long feu. Et la possibilité d’une libération d’Imran Khan, qui avec son épouse a obtenu la relaxe dans plusieurs de ses nombreuses affaires en justice, s’éloigne encore. Depuis des mois déjà, les autorités tentent de juguler les voix dissonantes en ligne qui ne cessent de répéter que les législatives ont été entachées de fraudes, sans commune mesure avec les scrutins précédents.X est inaccessible au Pakistan depuis les législatives - mais le PTI et ses partisans recourent allègrement, comme nombre des 240 millions de Pakistanais, aux VPN, qui permettent de se frayer un accès à la plateforme. Et depuis août, internet tourne au ralenti: pour les acteurs du numérique, le gouvernement étouffe le réseau en testant de nouveaux moyens de le surveiller; pour les autorités, la faute est à chercher sous l’eau, du côté de câbles endommagés.
Malgré tout, note Michael Kugelman, chercheur au Wilson Center, «il y a encore des bastions d’opposition, des espaces en ligne où les partisans d’Imran Khan et du PTI peuvent poursuivre leur bras de fer avec l’armée». Une confrontation «particulièrement tendue parce qu’Imran Khan», qui fait passer des messages hors de prison, «insiste avec des critiques dirigées personnellement», poursuit-il. Un constat qui semble partagé par les autorités qui, fin juillet, menaient une descente sur les locaux du PTI, arrêtant plusieurs de ses chargés de communication, connus pour leurs activités sur les réseaux et leur aptitude à suivre les griefs économiques et la grogne sociale qui monte. L’armée, elle, dénonce du «terrorisme numérique».
En face, «l’une des conséquences les plus concrètes de l’affrontement» entre pro et anti-Khan «est que les autres défis politiques, urgents, sont laissés de côté», affirme M. Kugelman. Dimanche, la contestation a pu quitter l’espace virtuel pour gagner la rue, créant «une question politique existentielle pour un gouvernement en situation de faiblesse», explique à l’AFP le politologue Rassoul Bakch Rais.
Car la coalition emmenée par le Premier ministre Shehbaz Sharif, si elle bénéficie du soutien de l’armée, se sent menacée par des députés PTI plus nombreux à l’Assemblée. Imran Khan le sait, et répète ne vouloir négocier qu’avec l’armée et non un gouvernement dont il réfute la légalité. Un calcul politique légitime, assure M. Kugelman, au Pakistan où «pour avoir une chance d’arriver au pouvoir, il faut avoir a minima «une relation potable avec l’armée et au mieux des relations chaleureuses avec» les généraux.