«Le marché du faux» à Naples… : Capitale de la contrefaçon et de la Camorra

29/04/2024 mis à jour: 06:22
AFP
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La contrefaçon des marques de luxe et de mode fait fureur en Italie et elle profite à la Camorra - Photo : D. R.

Face aux milliards d’euros de ventes de grandes marques comme Gucci et Prada, les contrefaçons de luxe dans les rues de Naples génèrent elles aussi un flux financier massif. Mais pour la mafia.

Quelle marque préférez-vous ? Quelle couleur, quel modèle ?», lance un vendeur obstiné au «marché du faux», près de la gare centrale de la ville de Naples. De sacs en plastique bleu pleins à craquer émergent des casquettes Gucci, des portefeuilles Fendi, des ceintures Hermès et des boîtes de chaussures Louis Vuitton orange vif, tous proposés sur des tables branlantes à une fraction du prix de l’original.

La métropole méridionale est le cœur du marché italien de la contrefaçon, estimé entre 6 et 7 milliards d’euros, où les faux sacs à main, lunettes de soleil, vêtements et chaussures fleurissent, vendus au vu et au su de tous. Mode, jouets, électronique, alimentation ou produits pharmaceutiques, les contrefaçons représentent 2,5% du commerce mondial, évalue l’OCDE.

Selon un rapport de l’Union européenne (UE) publié en novembre, l’Italie, qui abrite le plus grand nombre de marques de luxe, est le leader incontesté des saisies de contrefaçons dans l’UE avec 63% des articles saisis en 2022. C’est à Naples que ces copies trouvent un terreau fertile unique, conférant à la ville le titre peu enviable de capitale européenne de la contrefaçon.

Elle abrite toutes les étapes de la chaîne, de la fabrication à la vente, le tout dominé par la mafia locale, la Camorra. Un héritage artisanal dans les domaines de la couture et du cuir, un port international, un taux de chômage élevé et un afflux de main-d’œuvre étrangère bon marché ont contribué à faire prospérer la contrefaçon.

Économie parallèle

Si de nombreux consommateurs ne se préoccupent pas des contrefaçons, l’emprise de la Camorra sur ce secteur en fait de plus en plus une priorité pour les autorités. «La contrefaçon est très importante, car c’est une sonnette d’alarme qui signale des crimes plus dangereux», explique à l’AFP le lieutenant-colonel Giuseppe Evangelista, chef des opérations à Naples pour la Guardia di Finanza, la police italienne chargée des crimes financiers.

Les marges sont inférieures à celles de la drogue, mais la contrefaçon génère de l’argent liquide et aide à blanchir l’argent de la drogue avec un faible risque, les peines d’emprisonnement étant bien inférieures à celles de certains crimes. «Ils ont déjà la clientèle (...) Les touristes passent dans la rue, achètent et génèrent ainsi des profits pour l’organisation», souligne M. Evangelista.

Parmi les saisies fréquentes de la police - en augmentation - figure la découverte en février d’une usine produisant des milliers de bannières, maillots et casquettes contrefaits du club local, le Napoli.

Les données les plus récentes du ministère de l’Intérieur montrent qu’entre 2018 et 2022, la police napolitaine a saisi près de 100 millions d’articles d’une valeur de plus de 470 millions d’euros, soit environ 14% de la valeur de tous les produits contrefaits saisis en Italie.

«A Naples, la contrefaçon représente un véritable secteur économique parallèle, géré par des mafias locales et étrangères», selon un rapport gouvernemental de 2021 qui qualifie la ville de «centre d’excellence» de la contrefaçon.

Sous les radars

Si les contrefaçons de meilleure qualité sont fabriquées localement, la plupart des produits sont importés de Chine et de Turquie, via un système bien huilé. Les criminels choisissent des ports européens très fréquentés, comme Rotterdam, ou des ports aux contrôles moins stricts, comme en Grèce ou en Bulgarie, avant d’atteindre l’Italie par camion.

Une fois dans la région de Naples, la dernière étape est réalisée dans des ateliers par une main-d’œuvre clandestine bon marché. Les étiquettes sont souvent expédiées séparément et cousues en dernier, ce qui rend plus difficile la détection par les douanes.

La mafia contrôle également la distribution, soit par l’intermédiaire de ses propres canaux de vente, soit en faisant pression sur les propriétaires de magasins pour qu’ils vendent des produits contrefaits disséminés parmi des articles authentiques.

En 2022, une enquête policière a révélé que les vendeurs du «marché du faux» de Naples payaient à la mafia jusqu’à 200 euros par semaine pour tenir leur stand. L’impact négatif de la contrefaçon sur l’économie, notamment en termes de perte d’emplois et d’impôts non payés, est colossal. Le gouvernement italien l’a estimé à 17 milliards d’euros en 2020.

Un cancer sur notre marché

Il y a d’autres conséquences. Selon des experts, une grande partie des centaines d’incendies toxiques qui se déclarent chaque année dans la région de Naples sont dus à l’élimination des chutes de vêtements et de chaussures de contrefaçon. Les grandes marques dépensent massivement pour lutter contre ce fléau.

Et même les entreprises plus petites commencent à mettre en place une protection juridique, à enregistrer des brevets tout en investissant dans de nouvelles technologies de traçage. Luigi Giamundo, un entrepreneur local, estime que plus de 32 000 petites entreprises de mode en Campanie, la région de Naples, sont menacées par la concurrence déloyale. «C’est un cancer qui s’installe sur notre marché», se désole-t-il.

Selon Juna Shehu, de l’association italienne Indicam, qui milite pour la protection de la propriété intellectuelle des marques de mode, l’industrie ne peut pas agir seule. Indicam demande ainsi à l’UE d’harmoniser les règles relatives au traitement des contrefaçons saisies, alors que certains pays obligent les marques à payer pour leur stockage ou leur destruction. Il est également essentiel d’éduquer les consommateurs.

Une étude menée en 2023 a révélé qu’un tiers des citoyens de l’UE envisageraient d’acheter des contrefaçons si les originaux étaient trop chers. Cette proportion monte un sur deux chez les jeunes. 

Mais dans les rues de Naples, de nombreux clients semblent indifférents. «Cela ne me dérange pas», reconnaît Caterina, 17 ans, qui a acheté un faux portefeuille Yves Saint Laurent pour 11 euros, contre plus de 300 euros pour l’original. «Peu importe l’étiquette, ce qui compte, c’est que l’objet me plaise.»
 

 

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