L’acte de naissance de l’initiative tripartite algéro-tuniso-libyenne signe la diplomatie du pragmatisme. L’éclosion de cette nouvelle entité régionale est la démonstration que dans la politique, comme dans la vie, l’action est toujours préférable à l’inertie. «L’Accord de Carthage», «UMA bis», «Trio de Tunis», les observateurs se sont confondus en appellations sur le sommet qui a réuni les trois présidents algérien, tunisien et libyen.
Les sceptiques étaient de sortie pour anticiper sur les résultats de cette trilatérale, lui prédisant le pire avenir, à savoir que le sommet ne se tiendrait pas. Reste que le 22 avril est une rencontre fondatrice d’une approche nouvelle. L’année prochaine, 2025, équivaudra à exactement 30 ans depuis que la mort clinique de l’UMA (Union du Maghreb arabe) a été actée, et que l’UMA n’existe plus sur le terrain.
A l’époque, le ministre marocain des Affaires étrangères, Fillali, avait annoncé le gel de l’UMA et depuis, toutes les institutions de l’UMA ont été désactivées, à l’exception du secrétariat général de cette «Union» mis sous contrôle du makhzen. Payé et utilisé par le makhzen, selon le besoin pour légitimer ses actions par un pseudo-accord de l’UMA. Pour les amnésiques, en 1995, le MAE marocain Fillali a saisi par écrit ses homologues de l’UMA pour leur signifier le gel de l’Union maghrébine.
Et depuis, sous prétexte du problème du Sahara occidental, l’UMA a cessé d’exister. Si un secrétaire général de l’UMA a été maintenu, ce dernier a été bien pris en charge par le palais royal, se transformant en un diplomate marocain auxiliaire qu’un secrétaire général d’une Union maghrébine en mort cérébrale.
De ce fait, la rencontre de Carthage est arrivée pour discuter du... cadavre. N’importe quel praticien aura la lucidité de conclure, après un coma aussi profond qu’irréversible, qu’une entité déclarée morte ne peut ressusciter après un aussi long décès cérébral. L’UMA est dans ce cas.
Le plus ironique est que l’Algérie, tenue pour responsable de cet épisode, est celle qui a invité ses frères maghrébins à l’occasion du Forum des chefs d’Etat des pays exportateurs de gaz organisé à Alger, en mars dernier, à réfléchir à une autre voie, la Tunisie lui a emboîté le pas en organisant le sommet de Tunis.
Le président de République, Abdelmadjid Tebboune, n’a jamais caché ses intentions dès qu’il s’est agi de coopération, d’échanges politiques et économiques, dans la confection de la feuille de route tripartite. Il avait précédé le sommet d’annonces telles que la création de cinq zones franches avec le Mali, la Mauritanie, le Niger, la Tunisie et la Libye précisément, même si dans le lot, certains de leurs gouvernements sont dans une attitude hostile. Une manière de baliser le terrain quand le voisinage recouvrera sa clairvoyance.
D’ailleurs, aujourd’hui, tous les pays africains sont organisés en communauté régionale sauf l’Afrique du Nord, à cause du Maroc qui a privilégié des alliances avec l’entité sioniste et en s’invitant dans d’autres structures organiques du Machrek. Depuis 30 ans, les contributions, subventions et salaires de fonctionnaires de l’UMA sont un gouffre inutile pour les pays adhérents, perfusant une coquille vide.
L’Algérie qui a pris les devants diplomatiques a, toutefois, assorti sa proposition d’une dynamique pragmatique incluant les dossiers les plus urgents, comme la sécurité des frontières communes, la lutte contre la migration irrégulière, le lancement de grands projets d’investissements communs dont énergétiques, la production de céréales ou le dessalement de l’eau de mer et les défis climatiques.
Des groupes de travail conjoints ont été installés pour accélérer cette projection avec déjà la signature d’un accord pour la résolution entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye du dossier des eaux souterraines communes dans la région du Sahara septentrional.
Un dossier qui avait été source de conflits latents entre les trois pays depuis leurs indépendances respectives. La preuve en est que prendre le taureau par les cornes est l’esprit même de la Déclaration de Carthage.
Abdelmadjid Tebboune, Kaïs Saïed et Mohamed Younes Al Menfi ont eu l’audace de refuser le statu quo morbide de l’UMA pour se lancer dans une initiative résolue qui non seulement a le mérite d’exister, mais également de sceller une union stratégique pour s’adapter aux mutations régionales et internationales. Le G3 est, de ce fait, un premier pas, un embryon pour créer cette alliance des pays d’Afrique du Nord que la Mauritanie rejoindra un jour.
Leurs aspirations communes ne peuvent laisser indifférentes, ni l’Union européenne, du fait de la géographie et des ressources des trois partenaires, ni l’Union africaine, du fait de la profondeur de ce bloc compact, et encore moins, les pays professionnels de l’ingérence, qui vont mal digérer cet acte collectif de souveraineté.
L’Alliance née à Carthage a déjà le mérite d’être une alternative régionale proactive qui s’imposera, avec le temps, comme un interlocuteur crédible et responsable face aux autres entités partenaires. Que l’on veuille ou pas, le Maghreb de l’action a succédé au Maghreb des slogans.