La Charte des Nations unies confère au Conseil de sécurité «la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale» ainsi que le pouvoir d’ordonner toutes mesures coercitives qu’il jugerait nécessaires si la paix et la sécurité internationales sont menacées conformément au chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Cette prise de décision est soumise à une procédure de veto des membres du Conseil de sécurité conformément à l’article 27 de la Charte qui octroie un statut privilégié aux cinq membres permanents en leur «accordant un droit de veto particulier, car il suffirait que l’un des cinq membres permanents parmi les quinze membres du Conseil de sécurité émette un vote négatif pour qu’une résolution ou une décision ne puisse être adoptée».
Théoriquement, l’intérêt du droit de veto du Conseil de sécurité est d’éviter un recours à la force anarchique ou des interventions militaires d’un Etat contre un Etat contraire aux règles de la guerre ainsi qu’au droit international.
Cependant, les expériences du passé ont démontré que le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité a souvent été régulé par des agendas politiques en autorisant des interventions militaires plus qu’humanitaires tel qu’en Iraq, en Afghanistan ou en Libye. A contrario, dans d’autres situations, les membres permanents se sont abstenus ou ont refusé d’adopter des mesures coercitives contre un Etat qui commet des violations massives des droits humains, tels que c’est le cas actuellement en Palestine.
Cette sélectivité des décisions des membres permanents du Conseil de sécurité incite à discuter de nouveau sur les conséquences de l’usage du droit de veto comme moyen de blocage du système onusien et de la nécessité de réfléchir à un projet de réforme permettant une protection effective des populations civiles.
A. Le droit de veto, un usage à deux poids, deux mesures
Le droit de veto octroie aux membres permanents du Conseil un pouvoir discrétionnaire sur toutes les décisions ayant trait au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Ce privilège a pour but de remettre les questions de sécurité collective entre les mains de certains Etats considérés comme les plus puissants lors de l’élaboration de la Charte des Nations unies. Or, l’action ou l’inaction des membres permanents par le vote varie selon les intérêts des Etats au détriment du respect du droit international, du droit humanitaire et des droits humains.
La crédibilité du Conseil de sécurité a été fortement discutée concernant le génocide rwandais ou son inaction et la non protection immédiate de la population civile ont dévoilé encore une fois l’aspect politique de cet organe. A contrario, dans le cas de la Libye, certains membres permanents du Conseil de sécurité se sont empressés d’adopter une résolution autorisant une intervention militaire dans cet Etat pour éviter le risque de pertes en vies humaines au titre du principe de la responsabilité de protéger des populations civiles. La comparaison entre le Rwanda et la Libye illustre parfaitement l’ambivalence des décisions du Conseil de sécurité qui sont assujetties à la volonté et au soutien de certains membres permanents à des Etats tels que c’est actuellement en Palestine.
En effet, depuis le début des bombardements de la ville de Ghaza en octobre 2023, et malgré le constat de pertes considérables en vies humaines, le Conseil de sécurité n’est toujours pas parvenu à adopter des mesures coercitives condamnant clairement la violation du droit international humanitaire ainsi que des droits fondamentaux sans faire face au droit de veto des Etats-Unis. Ce blocage est synonyme d’une sélectivité en matière de qualification et d’action du Conseil de sécurité dans sa mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Il n’en demeure pas moins que des tentatives d’élaboration de projets d’encadrement de l’usage abusif du droit de veto ont été initiées au sein du système onusien, notamment par la Commission internationale d’intervention et de souveraineté des Etats en 2000 qui a proposé la mise en place d’un «code de conduite» qui consisterait «essentiellement de décider qu’un membre permanent, lorsque les intérêts vitaux de son pays ne sont pas censés être en jeu, n’exerce pas son droit de veto pour empêcher l’adoption d’une résolution qui, autrement, obtiendrait la majorité des voix».
l’Assemblée générale est allée plus loin en soulignant dans une note d’explication du 24 octobre 2015 que les membres des Nations unies favorables à un code de conduit «s’engagent en particulier à ne pas voter contre un projet de résolution crédible au Conseil de sécurité sur une action opportune et décisive pour mettre fin à la commission de génocide, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre, ou pour prévenir la commission de tels crimes». Ce projet de code de conduite a été écarté du débat international malgré sa pertinence par les membres permanents du Conseil de sécurité de crainte de conditionner l’usage de leur droit de veto.
Ainsi, il s’avère que la mise en œuvre de la responsabilité du Conseil de sécurité de maintenir la paix et la sécurité internationales ainsi que de garantir la protection des populations civiles est parfois paralysée par un usage abusif du droit de veto et c’est la raison pour laquelle une partie de la doctrine et des Etats membres des Nations unies plaident pour une réforme profonde du système onusien, notamment le Conseil de sécurité.
B. La réforme du Conseil de sécurité, une ambition réfrénée
L’ancien Secrétaire des Nations unies Kofi Annan a suggéré dans son rapport présenté devant l’Assemblée générale de 2005 qu’«(…) il est nécessaire de modifier la composition du Conseil afin qu’il soit plus largement représentatif de la communauté internationale dans son ensemble et des réalités géopolitiques modernes». Les Etats africains, d’Amérique du Sud et d’Asie contestent leur non-représentativité au sein du Conseil de sécurité en tant que membres permanents. Cette carence est justifiée historiquement, d’une part, par la nécessité légitime de confier le maintien de la paix et de la sécurité internationales aux Etats vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, et d’autre part, lors de la création des Nations Unies les Etats membres étaient réduites à 51, principalement occidentaux.
Ces éléments justificatifs sont désormais discutables, car la conjoncture internationale a évolué avec l’émergence d’Etats puissants économiquement et politiquement. Le nombre d’Etats membres des Nations unies a aussi augmenté atteignant ainsi 193 membres en 2024.
La tentative de réforme la plus aboutie a été proposée par le groupe de personnalités de haut niveau désigné par l’ancien Secrétaire général des Nations unies Kofi Annan le 04 novembre 2023. Dans son rapport, le groupe susmentionné recommande l’élargissement du Conseil de sécurité en suggérant deux formules de réforme. «Selon une formule A, il serait créé six sièges permanents sans droit de veto et trois nouveaux sièges non permanents avec un mandat de deux ans.
Selon une formule B, il serait créée une nouvelle catégorie de sièges (que l’on a appelés semi-permanents) avec un mandat renouvelable de quatre ans : il y en aurait huit, auxquels s’ajouterait un nouveau siège avec mandat de deux ans non renouvelable». Quant au droit de veto, il est recommandé qu’il ne soit pas élargi, mais plutôt renforcé par un système de «vote indicatif permettant à un membre du Conseil de sécurité de demander que chacun prenne position publiquement sur un projet de décision.
Dans ce cas, les non n’auraient pas force de veto, et le résultat du scrutin n’aurait pas force exécutoire». Cette recommandation vise à instaurer la publicité des délibérations et à inciter les membres permanents à assumer leur responsabilité, car la divulgation des opinions des Etats permanents aurait pour effet de créer une forme de pression extérieure qui favoriserait l’usage du droit de véto avec parcimonie.
Ces recommandations ont servi ultérieurement de base pour l’élaboration du rapport de l’ancien Secrétaire général, Kofi Annan devant l’Assemblée générale des Nations unies en mars 2005. Il a invité les Etats à entreprendre les mesures nécessaires permettant d’adopter certaines recommandations, du groupe de personnalité de haut niveau susmentionnées, notamment la démocratisation du Conseil de sécurité. Cependant, la question du droit de la représentativité et du droit de veto ont été écarté.
D’autres résolutions des Nations unies ont abordé par la suite la question de la réforme du Conseil de sécurité, notamment la résolution S5 (cinq petits) en opposition au P5 (cinq permanents) du 3 mai 2012. Cette dernière traitait de la nécessité de transparence des méthodes de travail du Conseil de sécurité, en invitant ses membres permanents à «expliquer les raisons du recours au droit de veto ou de l’annonce de l’intention d’y recourir, en particulier sur le plan de la conformité aux buts et principes de la Charte des Nations unies et au droit international applicable.
Cette explication devrait faire l’objet d’un document distinct du Conseil de sécurité, qui serait communiqué à tous les Etats membres de l’Organisation» et à «s’abstenir de recourir au droit de veto pour bloquer une décision que le Conseil pourrait prendre pour prévenir ou faire cesser un génocide, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité».
Ces recommandations rejoignent celles du rapport du groupe de personnalité de haut niveau en privilégiant la motivation des décisions des membres permanents ainsi que le conditionnement de l’usage du droit de veto qui devrait être exercé en dernier recours.
La résolution des S5 était certes pertinente, cependant sous la pression des cinq membres permanents, le projet de résolution a été retiré de l’ordre du jour de l’Assemblée générale pour adoption. Il apparait ainsi qu’une réforme profonde du Conseil de sécurité est politiquement et juridiquement difficile à réaliser. Le droit de veto est un privilège qui sert les intérêts des membres permanents qu’il n’est plus possible de contester.
Une quelconque réforme dépendrait de la volonté politique des membres permanents qui apriori ne céderont pas leur pouvoir de crainte de diminuer de leur influence dans le monde. Il est certain que même s’il y a une reforme, cela n’éliminera pas pour au tant la prédominance des intérêts nationaux des Etats, mais réduira le monopole des prises de décisions entres les mains des mêmes puissances étatiques.
La responsabilité du Conseil de sécurité de maintenir la paix et la sécurité internationale est parfois paralysée par la permanence du spectre politique qui influence la prise de décision de certains de ses membres permanents. La nécessité de remettre au centre du débat international l’encadrement de l’usage abusif du droit de veto est plus que jamais indispensable, car se sont les populations civiles qui sont prises en otage d’un système international polarisé dont ils continuent à subir les conséquences.
Par Kahina Merzelkad , Docteur en droit international de l’université de Grenoble