Le Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action (CRUA) est né aussi à la Casbah d’Alger : «Au ressourcement de l’histoire et de la mémoire»

23/04/2022 mis à jour: 03:34
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«Le culte du souvenir est la condition de survie de l’âme d’un peuple.» Marcel Proust

 

Le 68e anniversaire du Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), levain et prémices du déclenchement de la guerre de Libération qui a vu le jour en ce terroir de la Cité antique un mardi 23 mars 1954, coïncide, hélas, tristement en la circonstance avec la disparition, le 6 mars 2022, de Sid Ali Abdelhamid, le moudjahid centenaire qui fut un de ses premiers et dernier initiateur et fondateur.
 

Genèse historique du Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action : Une date, des noms et des lieux
Ceci dans un contexte critique d’une crise politique du Parti Indépendantiste PPA/MTLD de divergences, de mésententes, de luttes fratricides entre les cadres du Comité central, dits centralistes et la base militante désemparée, et fourvoyée sous l’emprise tenace du «zaïmisme» immobiliste, réducteur et figé de Messali dans l’ego du culte de sa personnalité qui a retiré sa confiance au secrétaire général du Comité central Lahouel Hocine. Une étape déstabilisatrice d’agissements fractionnels, périlleuse caractérisée parfois d’affrontements, de violences physiques à laquelle, il fallait impérativement y remédier dans l’urgence absolue à travers une démarche de promptitude pour annihiler la scission ainsi consommée, afin d’éviter l’éclatement définitif du parti en insufflant un élan catalyseur de réunification et de concorde dans la confiance et la motivation renouées au sein des militants. 

Seule alternative à dessein d’amorcer une dynamique de renouveau adaptée à une reprise des activités du parti orientées vers la trajectoire laborieuse d’une stratégie politique d’un sursaut impérieux à l’immédiateté d’une action salvatrice imposée par la conjoncture d’inertie qui prévalait et se propageait insidieusement au sein d’une base militante désorientée en phase de dépit et de démobilisation collective. 

Cette situation de conflit latent a incité Lahouel Hocine à rappeler Mohamed Boudiaf de France, où il était responsable du parti qui a incessamment rejoint Alger lors de la première semaine du mois de mars 1954. C’est à cette période qu’une première rencontre a eu lieu au domicile de Lahouel Hocine sis au 11 rue Marengo, actuellement Arbadji Abderrahmane en lisière de La Casbah où étaient nominativement présents au nombre de trois : Lahouel Hocine, Mohamed Boudiaf et Sid Ali Abdelhamid. A l’issue d’échanges d’avis respectivement et explicitement argumentés et de concertation sur la causalité du fléchissement politique, il fut spontanément et unanimement décidé par ceux-ci d’opter pour une voie radicale de rassemblement et de redéploiement stratégique par la création d’un organe innovant pour une mission salutaire axée sur une action fulgurante et unificatrice indispensable à la concrétisation de l’objectif vital d’irréversibilité de la lutte constante pour la libération de l’Algérie d’un joug colonial de déni d’humanité institutionnalisé par la promulgation de l’infâme code raciste de l’indigénat. 

C’est ainsi et lors de cette rencontre reconvertie en la circonstance en une interminable séance de travail qu’a été crée en conclusion de la synthèse des différentes propositions de ces responsables dirigeants du Parti Indépendantiste PPA/MTLD, la dénomination de cette nouvelle instance collectivement et unanimement retenue dans sa sémantique d’épellation expressive de résurgence mobilisatrice du CRUA. La vision pertinente de cette féconde initiative fut suivie une quinzaine de jours après par l’avènement fondamental de l’assise constitutive du CRUA, le 23 mars 1954 qui s’est tenue dans une pièce discrètement isolée du célèbre Nadi Erachad Cercle Errachad au n° 2 de l’ex-place Rabin Bloch, populairement dénommée Djamaâ Lihoud en rapport avec la synagogue israélite implantée sur le site, présentement Amar Ali (Ali la Pointe). A cette historique assise constitutive composée organiquement de Lahouel Hocine, Mohamed Boudiafet Sid Ali Abdelhamid, le Comité s’est élargi avec l’adhésion de deux cadres du parti en l’occurrence Dekhli Mohamed dit Bachir et Ramdane Bouchebouba.
 

Nadi Erachad à la Casbah d’Alger, berceau natal du CRUA
 

Ce Nadi Errachad était en réalité une médersa qui dispensait un enseignement de langue arabe, ce qui dans l’atmosphère coloniale de l’époque signifiait un acte populaire de résistance nationaliste et culturel dont Sid Ali Abdelhamid était à ce titre co-fondateur et secrétaire général de l’établissement. Un subterfuge pour ce haut responsable politique membre du Bureau Politique du PPA/MTLD redevenu pour la cause un pédagogue d’enseignement pour dérouter les filatures policières essaimées et très actives dans le quartier où était installé le sinistre Commissariat de police dit du 2e (deuxième arrondissement) très connu et réputé pour ses brutales surveillances journellement permanentes et ses brimades répressives à l’encontre de la population. 

Avec les mouvements quotidiens ininterrompus, d’une ambiance bruyante de gaieté enfantine d’écoliers et de leurs parents qui accompagnaient ou attendaient leurs enfants dans l’enceinte de cet immeuble habité par de nombreux locataires, la présence furtive de ces exceptionnels visiteurs du jour, passait inaperçue car fondue dans une foultitude animée et familière des lieux. Une sécurité de proximité était parallèlement assurée et renforcée par la vigilance minutieuse de militants aguerris chargés de cette tâche d’importance préventive. 

A une étape politique charnière très complexe et très compromettante pour le parti telle que relaté précédemment, la création embryonnaire du CRUA par ses premiers initiateurs-concepteurs s’est stratégiquement avéré un fer de lance, décisif et déterminant pour consolider et raffermir les rangs de la base militante dans le but prioritaire et incontournable d’engager l’action de la lutte libératrice en application de son programme révolutionnaire. Lequel programme est reflété en exergue de son intitulé du CRUA qui a conçu un enchaînement d’évolution de faits historiques pour s’inscrire ainsi en vecteur à l’origine du déclenchement de la guerre d’indépendance du 1er Novembre 1954, avec l’adhésion et la participation de Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Krim Belkacem ainsi que d’autres membres de l’Organisation Spéciale dissoute et du PPA/MTLD.

 De l’avènement du CRUA , le 23 mars 1954 s’est enclenché une impulsion fulgurante d’épopées et de dates historiques notamment celle du 25 Juillet 1954 de la réunion du Comité des «22» à l’ex-Clos Salembier, actuellement Madania à la villa du militant Lyes Derriche, clôturée par la rencontre finale des «6» historiques : Didouche Mourad, Larbi Ben M’hidi, Mohamed Boudiaf Mostefa Ben Boulaïd, Rabah Bitat et Krim Belkacem, le 23 Octobre 1954, au domicile d’un des militants d’élite de la première heure Mourad Boukechoura, qui s’est ainsi révélée l’aube du déclenchement de la Révolution algérienne de l’éternel 1er Novembre 1954. Ces hauts lieux d’histoire, sont identifiés, vulgarisés et valorisés conformément aux normes didactiques illustratives appropriées à la perpétuation de l’impact du souvenir de leurs épopées en direction de la jeunesse, des générations montantes et de la postérité.
 

Le lieu de naissance du CRUA dans l’anonymat
 

Par contre le lieu de naissance du Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action, qui incarne le prélude de l’acte précurseur ayant abouti à cette phase révolutionnaire de la rencontre des «22» suivie de la réunion des «6» est sujet à un anonymat d’occultation d’historicité depuis l’indépendance de l’Algérie à ce jour. Une aberration inexplicablement confortée dans l’ensemble des ouvrages d’histoire où seule et uniquement la constitution du CRUA est mentionnée dans sa temporalité calendaire du 23 mars 1954, mais cependant réduite et amputée par la soustraction toponymique du lieu-témoin qui a abrité l’émergence de cet événement dans sa dimension historique. 

Cette chronologie temporelle de dates-repères significatives est doublement révélatrice d’une rupture fondamentale avec un long marasme déstabilisateur du mouvement national indépendantiste d’abord, actionné ensuite par une accélération événementielle de l’histoire gravée à jamais par la succession et l’intervalle de déroulement de cette mémorielle datation-phare au cours du premier semestre déterminant de l’année 1954 : - 23 Mars 1954 fondation du CRUA – 25 Juillet 1954 (quatre mois après) «réunion des 22» - 23 Octobre 1954 (trois mois après) «rencontre des 6». 
 

Un récit d’historicité du CRUA par Sid Ali ABDELHAMID, un de ses initiateurs-fondateurs
 

L’auteur de ces modestes lignes, a eu le privilège inouï et l’honneur d’avoir connu depuis de longues années Sid Ali Abdelhamid auquel il rendait régulièrement visite à son domicile où à cette faveur il a pu découvrir avec avidité des pans d’histoire du mouvement national indépendantiste et de la guerre de libération méthodiquement relaté par cet acteur et témoin de centralité de premier plan. Ceci à travers de fréquents entretiens avec ce repère majeur de l’histoire au parcours d’une militance d’exemplarité de conviction, de dévouement, de sacrifices et d’amour pour l’Algérie, qui avait une mémoire infailliblement prodigieuse jusqu’à la précision, du détail de faits et d’événements temporellement situés à plus d’un demi-siècle de distance. 

Une approche d’une rétrospective historiquement édifiante et instructive développée par des témoignages successifs de Sid Ali Abdelhamid étayés et corroborés par un trésor d’archives personnelles, inédites qui m’a motivé pour transcrire fidèlement en ce qui a précédé son propre récit d’historicité du lien organique du CRUA et de la Casbah d’Alger qui fut don berceau natal. Ce crucial point d’histoire a des années durant été au centre des aspirations primordiales de Sid Ali Abdelhamid qui ne cessait de nous exhorter lors de nos rencontres et entretiens afin d’initier une démarche de réhabilitation historique mémorielle de ce repère marquant de son existence par l’apposition d’une simple plaque commémorative scellée à l’entrée d’un lieu chargé d’histoire du mouvement national indépendantiste. 

C’est dans cette perspective préconisée par Sid Ali Abdelhamid que l’Association des amis de la Rampe Louni Arezki Casbah, s’est attelée à la programmation d’une célébration du souvenir sur le lieu de l’événement en l’opportunité du 65e anniversaire de la fondation du CRUA, le 23 Mars 2019 à la faveur d’une cérémonie qui devait être rehaussée par la précieuse présence de Sid Ali Abdelhamid, en dernier acteur-témoin vivant âgé à l’époque de 98 ans pour revisiter en sa compagnie la genèse historique de la tenue de la première réunion constitutive du CRUA sur le lieu même de son déroulement le 23 mars 1954 au n°2 de l’ex place Rabin Bloc à La Casbah d’Alger. 

Malheureusement, ce ressourcement évocateur n’a pu être commémoré en raison de la pandémie de Covid-19 et de ce fait reporté en l’attente d’une amélioration de la crise sanitaire, qui déplorablement a été sans répit à la désolation de Sid Ali Abdelhamid, qui hélas dans l’affliction nous a quittés le 6 mars dernier dans sa 100e année et dont le vœu n’a pu être exaucé tel qu’ardemment souhaité de son vivant dans la symbolique de la réappropriation du souvenir de ce lieu de mémoire durablement occulté pour être enfin ressuscité de l’oubli. 

A ce propos et comme un signe prémonitoire lors de la dernière et brève visite que je lui ai rendue vers la mi-Février où il était visiblement très affaibli et après l’au revoir qui fût hélas celui de l’adieu, son fils Riadh présent à la rencontre m’a précipitamment rejoint sur le pallier de la porte de sortie et m’a fait part que son père voulait me revoir pour un instant dans sa chambre. 

C’est toujours en la présence de celui-ci, que Sid Ali Abdelhamid m’a de nouveau accueilli avec son inséparable sourire ponctué avec la seule prononciation de cette laconique et vibrante évocation, ainsi reproduite dans l’intégralité de ces mots. «La matrice originelle du CRUA, c’est le n°11 de la rue Marengo, domicile de Lahouel Hocine et le Nadi Errachad au n° 2 de l’ex-place Rabin Bloch» Fin de citation. Ceci en précision à une information pour laquelle je l’avais préalablement sollicité au cours de notre bref entretien sur le numéro du domicile de Lahouel Hocine et d’autres responsables influents du parti qui ont également habité ce même quartier de l’ex rue Marengo à l’instar de Ahmed Mezghena au n°15, Abderrahmane Kiouane au n°14 et Ahmed Hachemi au n°17 à une encablure des domiciles de Sid Ali Abdelhamid, Saïd Amrani et Mahmoud Abdoun à l’ex-Boulevard de Verdun actuellement Abderrezak Hahad pour ne citer que ceux là. Message ultime du regretté Sid Ali Abdelhamid pour les lieux d’une épopée historique viscéralement ancrés en sa mémoire et jusqu’à son dernier souffle de vétéran centenaire du mouvement national indépendantiste.
 

Pour la réhabilitation des lieux de mémoire, en repères-gardiens du souvenir et contre l’oubli
Un devoir générationnel à accomplir en parachèvement d’une reconnaissance éternelle à l’endroit de l’œuvre de nos aînés, dont le legs patriotique doit être immortalisé à travers les repères-gardiens du souvenir incarnés par ces lieux mythiques dépositaires d’empreintes indélébiles de l’histoire à pérenniser pour la mémoire collective transgénérationnelle de la nation algérienne.
 

Par Lounis Aït Aoudia

Président de l’Association les amis de la rampe Louni Arezki Casbah
 

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