Tempête chez Bayer : le géant allemand de la chimie fait face à une vaste offensive de fonds activistes, qui exigent une partition du groupe pour booster la valeur du titre, plombé par le fiasco du rachat de Monsanto. L'atmosphère est explosive au sein du groupe, malgré la présentation mardi de solides résultats annuels en 2022, avec un bénéfice net multiplié par quatre, grâce notamment à une hausse du prix des herbicides. Les fonds Bluebell et Inclusive Capital, entrés quasi simultanément dans le capital de Bayer en début d'année, tancent la direction pour imposer un découpage de l'entreprise et le départ de ses dirigeants.
À peine arrivés, les investisseurs revendiquent déjà une victoire : la nomination – rarissime – début février d'un candidat externe à l'entreprise, Bill Anderson, pour remplacer l'ancien PDG, Werner Baumann, débarqué prématurément. Chez Bayer, on réfute tout lien entre l'arrivée des investisseurs et cette annonce.
Scission
Le remplacement de Werner Baumann n'est qu'un début : les fonds demandent à couper davantage de têtes, pour améliorer la confiance des marchés... et la valorisation du titre. «Le président du conseil de surveillance doit encore amener des changements importants», explique à l'AFP Nicolas Ceron, gestionnaire de portefeuille chez Bluebell. Ces nouveaux investisseurs portent surtout un projet explosif : scinder Bayer en deux parties au moins, l'activité agro-industrielle et la santé.
Une idée particulièrement défendue par Bluebell, même si Inclusive Capital estime que le débat «doit être sur la table». Elliott Management, un autre fonds activiste présent depuis 2019, pousse également depuis longtemps pour la scission. Le fonds Union Investment, qui détient un peu plus de 1% du capital, appuie de son côté la vente ou mise en bourse de la filiale automédication, la plus petite division du groupe. «La chose la plus importante est de regagner la confiance des investisseurs», a indiqué à l'AFP Markus Manns, gestionnaire de portefeuille chez Union Investment.
Tous partagent l'idée que la valorisation du groupe vaut beaucoup moins que celle de la somme de ses entités, prises individuellement. Une difficulté courante pour des conglomérats détenant des activités trop différentes et variées pour être valorisée correctement. «Notre but est de faire en sorte que la valorisation de Bayer reflète son potentiel» estime Nicolas Ceron.
Terreau
Les fonds activistes, dont la participation au capital n'est pas connue précisément, arrivent sur un terreau favorable de divorce entre la direction et les actionnaires, depuis le rachat de Monsanto en 2018. Cette opération géante, à plus de 63 milliards d'euros, visait des synergies dans les domaines agricoles et chimiques.
Mais elle a tourné au cauchemar. Bayer a été confronté à une pluie de procédures judiciaires aux États-Unis de la part d'anciens utilisateurs du Roundup, herbicide à base de glyphosate commercialisé par Monsanto et considéré comme «cancérigène probable» par le Circ, une branche de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Le titre de Bayer a perdu la moitié de sa valeur depuis 2018. En Allemagne, des investisseurs réclament également à l'entreprise 2,2 milliards d'euros de dommages et intérêts. Werner Baumann a même subi en 2019 un rare désaveu de l'assemblée générale des actionnaires, qui avait rejeté à 55,5% sa stratégie. Il avait pu se maintenir, mais affaibli, à la tête du groupe. Une scission de l'entreprise pourrait «circonscrire à la seule activité agrochimique les risques juridiques pesant sur la valorisation du groupe», selon Andreas Lipkow, analyste financier pour Comdirect, interrogé par l'AFP.
Les représentants des salariés, qui siègent au conseil de surveillance de l'entreprise, s'opposent au projet. «On ne peut pas baser la transformation de toute une industrie (...) sur l'activisme des hedge fund» a dénoncé Francesco Grioli, l'un d'entre eux. Bayer emploie plus de 100.000 salariés dans le monde. Beaucoup doutent que la direction laissera faire. «Je pense qu'ils ont encore un attachement sentimental à l'idée d'être le dernier grand conglomérat industriel allemand», estime Sebastian Bray, analyste financier pour Berenberg.
Bayer indique de son côté être «ouvert à un échange constructif avec toutes les parties prenantes». Reste que le fonds Bluebell est particulièrement connu pour sa capacité à imposer ses vues dans la gouvernance d'une entreprise. En France, il a déjà gagné en 2021 un bras de fer avec le géant de l'alimentation Danone, qui avait abouti à l'éviction de l'emblématique patron du groupe, Emmanuel Faber.