Très attendu, le mouvement dans la magistrature a touché 544 magistrats dont une bonne partie a été informée par des SMS, apprend-on auprès de plusieurs d’entre eux. Les changements ont touché 26 cours, comportent la mutation de 9 présidents de cour et 10 procureurs généraux, la promotion de 18 juges aux postes de chefs de cour, et le limogeage de 14 présidents de cour et de 4 procureurs généraux, qui devraient être affectés soit à des postes de conseiller, une sorte de voie de garage, soit être admis à la retraite.
Le mouvement, faut-il le préciser, a permis à 18 femmes d’être promues à la tête de juridictions, dont 3 en tant que présidentes de cour à Guelma, Skikda et Sidi Bel Abbès. Les plus avertis soulèvent de nombreuses interrogations autour du communiqué de la Présidence, mercredi dernier, et la déclaration du ministre de la Justice, Abderrachid Tebbi, le lendemain jeudi, 1er septembre, à l’occasion de l’installation des deux nouveaux chefs de la cour d’Alger.
En effet, si l’on se réfère au 1er communiqué, la Présidence n’a pas fait référence à l’article 181, alinéa 2 de la Constitution de décembre 2020, qui fait obligation, avant tout mouvement dans les fonctions judiciaires, d’avoir l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), avec ses 26 membres. Le communiqué n’a fait référence qu’aux articles 91, 92 de la Constitution, et à l’article 49 de la loi organique portant statut de la magistrature. Une omission involontaire du rédacteur du communiqué ? Nous n’en savons rien. Ce qui est certain, c’est que jeudi dernier, le ministre de la Justice, Abderrachid Tebbi, a corrigé le tir et de manière insistante.
En effet, lors de la cérémonie d’installation des deux nouveaux chefs de la cour d’Alger, M. Tebbi a déclaré à deux reprises, que le mouvement des chefs de cour a «été décidé par le président de la République, après avis conforme du CSM, conformément à l’article 181 de la Constitution». Une précision de taille qui aurait dû être mentionnée dans le communiqué de la Présidence. A relever également que dans ce mouvement, l’on constate le départ de Sid Ahmed Merad, procureur général près la cour d’Alger et le retour en force du juge Kamel Ghazali à la tête de la même cour. Nommé par l’ex-ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, au mois d’août 2019, Sid Ahmed Merad, a été déchargé de son poste de procureur général, «sur sa demande, pour des raisons personnelles».
Retour en grâce de Ghezali
C’est ce que le Ggarde des Sceaux, Abderrachid Tebbi, a déclaré jeudi dernier en lui rendant hommage pour avoir géré «les plus importants dossiers de corruption et de criminalité organisée, eu égard à la compétence élargie dont jouit la juridiction qu’il dirigeait». Le plus intrigant reste néanmoins sa mutation au Conseil d’Etat, une juridiction, vers laquelle sont orientés les magistrats du siège et non pas ceux du parquet. Peut-on croire que les «raisons personnelles» évoquées par le désormais procureur général près la cour d’Alger, pour justifier son départ de son poste, soient réellement privées ou sont-elles liées à l’exercice de sa mission au sein de la plus importante juridiction du pays à compétence internationale ? La question reste posée. En attendant, c’est Athmane Moussa qui lui a succédé. Il a déjà exercé à la même juridiction, en tant que procureur général-adjoint, avant d’être promu, en 2010, à la fonction de procureur général à Skikda, à Médea et à Constantine. Le ministre de la Justice a également installé le nouveau président de la cour d’Alger, Kamel Ghazali, qui marque son retour en grâce, à Alger.
M. Ghazali, était juge d’instruction de la 9e chambre du pôle judiciaire près le tribunal de Sidi M’hamed, et a eu à instruire les plus importants dossiers de corruption durant les années comprises entre 2010 et 2013. Parmi ces derniers ceux de l’autoroute Est-Ouest et de Sonatrach 1 et 2. Respecté pour ses compétences, par ses pairs et beaucoup d’avocats, il a eu le mérite d’aller très loin dans ses investigations, à travers des commissions rogatoires délivrées à de nombreux pays, notamment dans l’affaire de Sonatrach. Et c’est ce dossier qui lui a valu, en 2015, une longue traversée du désert, qui a commencé par sa mutation à la cour de Blida, non pas comme juge de siège, fonction où il excelle, mais en tant que procureur général adjoint, une sorte de voie de garage.
C’est à la faveur du mouvement de contestation populaire de 2019 et le retour de Belkacem Zeghmati, en tant que ministre (qui avait été limogé en 2015, en tant que procureur général près la cour d’Alger pour l’affaire de Chakib Khelil), qu’il sera promu procureur général à Annaba. Son retour à Alger, en tant que président de la cour n’est en réalité que justice. Il remplace ainsi Mokhtar Boucherit, muté quant à lui à Boumerdès. Une mutation énigmatique dans la mesure où il est d’usage qu’après avoir dirigé la plus importante cour du pays, le président n’est pas muté vers une autre cour, mais promu à une fonction supérieure. Ce sont là autant d’interrogations sur un mouvement qui a fait trop parler de lui.