Depuis quelques années maintenant, l’Algérie connaît d’importants épisodes caniculaires. Cette année encore semble ne pas déroger à la règle. Et cela n’est pas sans conséquences sur l’agriculture et l’élevage. Explications.
Si ces épisodes caniculaires se poursuivent, les conséquences seraient terribles. Et le mot n’est pas exagéré», affirme Djamel Belaïd, ingénieur agronome et auteur du livre L’agriculture en Algérie, ou comment nourrir 45 millions d’habitants en temps de crise. Selon lui, ces conséquences apparaissent déjà, notamment dans le dessèchement des arbres et des arbustes.
Le souci, selon le spécialiste, est que ces épisodes caniculaires liés au dérèglement climatique s’accompagnent d’une absence de pluie ou de son irrégularité. En effet, cette année, au moment des semis d’octobre-novembre, il n’a pas plu. «Par conséquent, les agriculteurs ont semé le blé en retard», confie-t-il.
Dans de tels cas, les racines ont, selon M. Belaïd, moins de temps pour se développer et la plante est plus sensible au manque de pluie en mai-juin au moment de la phase critique du remplissage du grain. Et toutes les récoltes peuvent être touchées mais à des degrés différents. Il faut savoir que les températures élevées augmentent la demande en eau des plantes.
Dès que l’eau du sol vient à manquer, les plantes ferment les pores situés sur leurs feuilles. Il s’agit des stomates, un orifice de petite taille présent dans l’épiderme des organes aériens des embryophytes. Il permet les échanges gazeux entre la plante et l’air ambiant ainsi que la régulation de l’évapotranspiration et de la pression osmotique. «Cela réduit les pertes de vapeur d’eau de la plante.
Mais cela réduit également l’absorption de CO2 et donc la production d’amidon», explique M. Belaïd. Résultat : le rendement de la plante chute. A noter que dans les cas les plus graves, les plantes perdent leurs feuilles. Cette chute revient, selon l’expert, à diminuer les pertes en eau et c’est un geste de survie.
Les sols ne sont pas épargnés non plus par la canicule. Et les effets sont multiples. Le premier est l’augmentation de la minéralisation de la matière organique qui se produit traditionnellement au printemps. «Celle-ci commencerait plus tôt et provoquerait une diminution de la fertilité des sols puisque l’humus du sol agit comme une éponge en retenant eau et éléments chimiques», assure M. Belaïd.
Le second effet concerne la vie du sol. Une augmentation de la température du sol réduirait, selon le chercheur, l’activité des bactéries et surtout des vers de terre. D’ailleurs en n été, dans les sols secs, lorsqu’on creuse, on peut les observer pelotonnés dans de minuscules espaces attendant des moments plus favorables.
Toutefois, M. Belaïd reste rassurant. Selon lui, dans le cas des céréales, les plantes peuvent produire de nouvelles tiges et donc des épis, ce qui peut atténuer d’éventuelles pertes de rendement.
Pour ce qui est des oliviers, la canicule peut provoquer, selon le spécialiste, un avortement des fleurs puis le dessèchement des jeunes olives. «La parade consiste à utiliser différents variétés d’une même espèce. Les stades critiques ne se déroulant pas à la même période, on peut espérer passer à travers la période de canicule», explique-t-il.
La solution passe aussi, selon M. Belaïd, par l’utilisation d’espèces plus tolérantes à la chaleur et au manque d’eau. A titre d’exemple : en matière de fourrage, le sorgho est plus résistant que le maïs. L’orge possédant un cycle plus court, sa maturité plus précoce que le blé peut lui permettre d’éviter les canicules printanières. Néanmoins, l’expert assure que dans certains cas, des températures élevées sont intéressantes.
En effet, dans le sud du pays, la douceur du climat hivernal permet d’accélérer le cycle des céréales et de semer du maïs juste après la récolte. «Il est également possible de produire sous serre de la tomate primeur et en plein champs des pastèques. Mais ces productions se font par l’utilisation de grandes quantités d’eau», ajoute-t-il.
Animaux
Les animaux ne sont pas en reste de tout ça. En effet, qui dit canicule, dit manque d’herbe et de foin pour les animaux. C’est pourquoi, en temps de canicule, il s’agit de considérer les effets sur les animaux mais également sur la production des fourrages.
A cet effet, M. Belaïd assure que comme pour la lutte contre le froid, chez les animaux d’élevage, la lutte contre la chaleur nécessite l’utilisation d’énergie. «Cette énergie est consommée aux dépens de la croissance, de la production de lait par exemple», précise-t-il. Mais plus grave, selon lui, reste la perte d’appétit des animaux. En effet, chez les vaches, à partir de 30 degrés, la consommation d’aliments chute.
Les poules sont également affectées par la chaleur. «En témoigne le nombre d’élevages fermés en été en Algérie. Les poulaillers modernes sont ventilés. Un arrêt de la ventilation provoque le décès des animaux en quelques heures», affirme-t-il. Les abeilles sont également affectées par la canicule, car le nectar des plantes s’évapore rapidement.
Ces dernières peuvent donc mourir par déshydratation si elles ne trouvent pas un point d’eau. Si avec le changement climatique, ces épisodes de canicules seront de plus en plus fréquents et progressivement plus intenses, M. Belaïd recommande, dans une première phase, des adaptations. Par la suite, les températures seront telles que des productions comme les céréales deviendront impossibles en Algérie.
C’est pourquoi, l’agronome estime impératif d’adopter une stratégie dans l’immédiat. «Malheureusement, peu de choses sont faites», se désole-t-il. Pour ce qui est des cultures non irriguées, M. Belaïd recommande de recourir aux techniques de l’agriculture de conservation qui permettent de parer aux premiers effets du changement climatique.
D’ailleurs, l’Institut technique des grandes cultures est en relation avec des organismes internationaux tels que l’ICARDA afin de promouvoir des techniques adaptées en région sèche. «Dans la région de Sétif, ces techniques, visant l’abandon du labour au profit du semis direct, ont permis des augmentations substantielles du rendement des céréales tout en réduisant les charges», affirme-t-il. La canicule s’accompagne d’un manque de pluie.
La solution passe donc ensuite par le développement de l’irrigation d’appoint. Mais l’agriculture utilise déjà plus de 60% des ressources en eau. Il y a donc concurrence entre les besoins en eau de l’agriculture et des villes. L’irrigation a donc des limites même si des techniques telles que le goutte-à-goutte permettent de la rentabiliser.
M. Belaïd recommande donc d’arbitrer entre arrosage des cultures stratégiques (blé, pomme de terre, oléagineux) et pastèque ou mangue dont la culture se développe à Tamarasset. «A terme, il sera impossible de continuer à cultiver des cultures demandant 1200 mm de pluie dans des zones arides ne recevant que 50 mm par an», assure-t-il.
Avenir
Quel avenir donc pour notre agriculture et nos animaux ? «L’avenir reste problématique», craint M. Belaïd. Dans un premier temps, il s’agira donc de remplacer le maïs fourrage par le sorgho. «Mais à terme c’est toute la filière de l’élevage qui est menacée», poursuit-il. A noter que pour produire un seul kilogramme de viande rouge, l’équivalent de l’eau d’une piscine est nécessaire. Il devient alors urgent de trouver des alternatives.
Pour M. Belaïd, les tourteaux de soja issus des usines de trituration ne devront plus aller à la fabrication d’aliment du bétail, mais à l’alimentation humaine. Ces tourteaux peuvent être texturés et entrer dans la confection de merguez, cachir, viande hachée, etc. Aussi, les extraits de protéines de pois texturés peuvent permettre de confectionner un substitut de blanc de poulet.
Quant au lait pour adultes, il est possible, toujours, selon l’expert, d’en confectionner à base d’avoine. «Il devient urgent de développer une stratégie nationale de production de protéines végétales (pois chiches, lentilles, féverole) en remplacement des protéines animales trop chères à produire en temps de canicule», recommande-t-il.
Dans la phase extrême du réchauffement climatique, M. Belaïd explique qu’il nous faudra imaginer des techniques qui semblent relever de la science-fiction.
Pourtant, certaines de ces techniques sont déjà présentes chez des agriculteurs algériens. «Face à la difficulté de mener des cultures en plein champ, des éleveurs font germer durant 7 jours des graines d’orge pour nourrir leurs bêtes. Ce système est également utilisé en plein désert à Tindouf», assure-t-il.
Toutefois, les adaptations se feront au prix de lourds déchirements. En effet, que deviendront les éleveurs de volailles ou les amateurs de viande ? «Plus tôt la décision sera prise, plus vite les adaptations pourront être progressives et donc acceptées», rassure M. Belaïd.