De 1980 à 2016, Hédi Hamel, journaliste algérien, multi primé, écrivain du sport, a couvert 10 éditions des Jeux olympiques d’été faisant de lui un observateur privilégié aux expériences pluri disciplinaires.Il a été constamment animé par le désir de suivre et côtoyer au plus près, les champions, les stars planétaires, les hommes et les femmes ayant atteint le graal du sport mondial, les faits majeurs des plus grands évènements et connu le temple de l’Olympie, classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1989. De sa plume captive, Hédi Hamel nous dresse ici un inventaire d’un siècle olympique dans lequel il a choisi de mettre en exergue la dynamisation africaine mais aussi ceux, peu nombreux, ayant conquis une place dans le panthéon olympique.
Avec près de 400 médailles remportées en un siècle, l’Afrique a construit sa grande histoire olympique Comme une pyramide de Pharaons. On procède avant tout à l’élaboration d’une base, une base de lancement, une assise pour asseoir une solidité éternelle, puis pierre après pierre pendant des décennies on s’évertue à lui donner les formes géométriques adéquates, comme un sommet et enfin l’apothéose finale, comme un palmarès.
Mais des paramètres sociaux et politiques comme la colonisation, les conflits de civilisation n’ont pas toujours favorisé les relations humaines centrées sur les activités physiques et sportives.
Les priorités du temps, l’exigence de ce que l’on peut appeler «l’africanité spontanée», rigoureusement codifiée, ont fini par inspirer les valeurs de l’entente collective autour de la danse, du chant, de la chasse et ainsi de la dépense physique, plus énergique.
Lutte, lancer du javelot, lancer de poids, course, relais de pierres, traversée de rivières (oui, c’était un sport !), sont l’émanation de toutes ces activités quotidiennes.
C’est la principale jonction que l’on peut faire avec les sports de la Grèce antique. De tous temps donc, les Africains ont exprimé au sport une âme populaire conduisant à une évolution inéluctable.
Bien sûr, point d’athlètes africains aux premiers Jeux olympiques célébrant Zeus, le Roi des Dieux, il y a plus de 3000 ans.
Point de pays africains non plus, lorsqu’à l’initiative de Pierre de Coubertin, fut organisé dans l’amphithéâtre de la Sorbonne en juin 1894 le tout premier Congrès du Comité international olympique de l’ère moderne.
Aucun pays africain parmi les 13 nations participantes, juste quelques ambassadeurs non rompus à la chose sportive. Et pas de femmes acceptées aux premières épreuves de 1896. Les concepts fondateurs, même controversés, sont en place. Ces tous premiers Jeux ont lieu dans un stade flambant neuf d’Athènes, un stade à l’architecture ovale, rectangulaire, un stade panathénaïque.
Et puisque l’on évoque ce stade mythique où la flamme olympique reste éternellement allumée, comment ne pas avoir un flash-back sur ce qui s’y est passé 108 ans plus tard soit en 2004 dans une Grèce alors euphorique.
J’ai suivi cette édition grecque qui réparait l’affront du CIO fait au pays d’Olympie en confiant le Centenaire des Jeux en 1996 à la ville américaine d’Atlanta, siège de Coca Cola, plutôt qu’à Athènes pour le respect des vertus de l’histoire.
J’ai volontairement habité dans la ville de Marathon à une quarantaine de kilomètres de la capitale et qui a donné son nom à l’antique épreuve de 42,195 km, distance parcourue par le valeureux soldat Philippides pour annoncer la victoire grecque.
Lors de de ces JO 2004 à Athènes le Brésilien Vanderleï Lima, petit bonhomme de 1,63m, frêle mais puissant, dominait largement ce marathon et s’apprêtait à rentrer triomphalement quelques minutes plus tard dans ce fameux stade réhabilité quand soudain un prêtre irlandais farfelu et vociférant se jeta sur lui et le fit tomber contre les barrières de sécurité. Cette incroyable agression lui sera fatale car, son poursuivant à plus d’une demi-minute, l’Italien Stefano Baldini en profita, non pour lui porter secours, mais pour le dépasser et s’adjuger une victoire peu glorieuse dans une ambiance de scandale épouvantable.
L’épreuve retransmise en direct sur toute la planète, célébrait Vanderleï Lima devenu une icône mondiale accueilli dans le monde entier du Japon aux Etats-Unis, de l’Australie au Koweit. Depuis cet épisode, les Africains ont fait main basse sur le marathon olympique chez les hommes et chez les femmes, une domination quasi sans partage pulvérisant au passage multitude de records olympiques.
Mais avant de passer en revue les légendaires héros contemporains, comment ne pas citer deux athlètes africains exceptionnels, l’Algérien Boughera El Ouafi, champion olympique sur la distance aux Jeux d’Amsterdam en 1928 devant les grands favoris américains, finlandais et japonais. Pour gagner sa vie, Boughera travaillait à l’usine à Boulogne-Billancourt, fabriquait des boulons et s’entrainait… le soir. Abandonné de tous, il fut assassiné lors d’une fusillade dans un bar à Saint Denis.
Comme El Ouafi, le second héros africain est l’Ethiopien Abébé Bikila, soldat de son état, illustre inconnu avant ce marathon et invraisemblable vainqueur de l’épreuve en 1960 à Rome de nuit et… pieds nus !
Il avala les 30 premiers kilomètres dans une parfaite harmonie de foulées et de souffle et pénétra en vainqueur dans un stade olympique romain aux 100 000 spectateurs abasourdis par cet inconnu mais lui réservant une ovation triomphale.
Immédiatement cerné par les reporters photographes et les caméras, Abébé Bikila s’en alla allègrement faire des exercices interminables d’assouplissement et de récupération devant une foule médusée par tant de sérénité et de fraicheur après une telle épreuve.
Accueilli en héros à Addis Abeba, l’empereur Haïlé Selassié le décora et l’éleva dans la hiérarchie militaire nationale.
L’histoire de ce héros éthiopien ne s’arrêta pas là. Quatre ans après son triomphe à Rome, Abébé Bikila était au rendez vous des JO du Japon, et à Tokyo sur la ligne de départ du marathon promis aux favoris japonais, finlandais. Insaisissable dès le départ, l’Ethiopien, cette fois avec de vrais chaussures de sport, s’envola pour un autre sacre à peu près avec la même déconcertante facilité.
EL Ouafi puis Bikila ouvrirent la voie aux mythiques kenyans, éthiopiens et ougandais sur cette distance antique. Un autre exploit dans le marathon est le fait du Kenyan Eliud Kipchogue qui, comme Bikila, est l’auteur d’un retentissant doublé : champion olympique aux JO de Rio de Janeiro (2016) et de Tokyo (2021).
Ces Champions d’exception, inégalés à ce jour, resteront à tout jamais des chefs de file ayant entraîné une myriade de titres au Kenya (1re Nation africaine olympique sur 100 ans !), à l’Ethiopie (2e du classement) et accessoirement à l’Ouganda. L’Afrique et les Jeux olympiques, c’est, à vrai dire, une histoire bouleversante, renversante, inconstante mais régulièrement couverte d’une émotion propre aux mythes.
Fin de la 1re partie , à suivre