La paie des 800 000 employés de l’Etat tunisien constitue désormais un véritable calvaire pour le gouvernement de Najla Bouden.
Cette masse salariale dépasse les 16% du produit intérieur brut (PIB) de 30 milliards d’euros. Mme Bouden est donc appelée à trouver 400 millions d’euros chaque mois, en plus du remboursement de la dette de l’Etat, estimée à six milliards d’euros en 2022, sans parler d’un éventuel budget d’investissement, véritable tremplin du développement. Il est vrai que depuis 2011, rares sont les années où le budget de développement a dépassé les 3% du budget global.
La ministre tunisienne des Finances, Sihem Boughediri Nemsia, a récemment expliqué aux médias que le gouvernement a dû exploiter une partie du récent prêt algérien de 300 millions de dollars ainsi que des recettes fiscales, pour payer les salaires du mois de décembre 2021. C’était en réponse à des accusations, parues sur les réseaux sociaux, reprochant au gouvernement tunisien d’user de la planche à billets. Toutefois, user d’un prêt de l’étranger pour faire payer les salaires, ce n’est pas l’idée idoine en termes de bonne gestion. L’administration coûte cher à l’Etat tunisien ; les entreprises publiques sont lourdement déficitaires, ne cessent de répéter les experts, locaux et internationaux.
«Ce n’est pas normal que la Société tunisienne d’électricité et de gaz (STEG) traîne une ardoise de plus d’un milliard de dinars (300 millions d’euros), alors qu’une centrale d’énergie photovoltaïque, prête à l’emploi, n’est pas utilisée parce que le syndicat de la STEG s’y oppose, accusant le photovoltaïque d’être une source d’instabilité pour les employés», s’insurge Sami Aouadi, l’un des économistes de la centrale syndicale. Par ailleurs, l’autre entreprise tunisienne lourdement déficitaire, la Société nationale des chemins de fer (SNCFT), peine à payer ses employés, puisque sa principale branche d’activité, le transport du phosphate, est lourdement perturbé depuis 2011. «On accuse les transporteurs routiers du phosphate, coûtant le quadruple du transport ferroviaire, d’être derrière ce manège, sans que l’Etat ne sévisse pour protéger ses intérêts», regrette là-encore l’économiste, qui appelle l’Etat à plus de rigueur. Najla Bouden est appelée à faire face à ces problèmes pour sauver le pays et ses entreprises et convaincre les instances internationales que la Tunisie peut remonter la pente.
Impasse
Les stratèges tunisiens n’arrivent plus à convaincre les instances financières internationales, jamais satisfaites des résultats des programmes précédents appliqués en Tunisie.
Depuis plus de 15 ans, les experts locaux et internationaux pointent du doigt la charge salariale de l’Etat, le déséquilibre des caisses sociales, la compensation des produits de base et la gestion des entreprises publiques, généralement lourdement déficitaires. Depuis, la situation s’est plutôt détériorée, malgré les programmes entrepris avec le FMI, notamment celui du gouvernement Chahed (2016-2019), qui n’a pas réalisé les objectifs prévus. Alors que l’un des principaux objectifs était de réduire à 12,5% du PIB la masse globale des salaires, elle était passée de 14,5% à 16% et elle se trouve aujourd’hui à 17,5%.
Les gouvernants tunisiens justifient cette impasse concernant la réduction du personnel de l’Etat par, d’une part, le refus des partenaires sociaux d’alléger l’effectif ou bloquer les salaires, et, d’autre part, la crise de chômage régnant notamment parmi les diplômés.
La problématique de la compensation inquiète également les gouvernants tunisiens et les instances financières internationales. Censée aider les couches sociales démunies, les études ont montré, chiffres à l’appui, que seulement 16% de ladite compensation servent les couches démunies, soit le sixième, alors que les cinq-sixièmes servent d’autres intérêts. Le gouvernement tunisien projette donc et depuis plusieurs années de cibler cette compensation, sans entamer un véritable programme dans ce sens.
La raison évoquée est constamment la réticence du partenaire social, le fort syndicat UGTT, appelant toujours à préserver le pouvoir d’achat de ses adhérents et du peuple tunisien en général. Du coup, le FMI exige des engagements précis du gouvernement tunisien sur ces questions, ainsi que l’adhésion des partenaires sociaux, ce qui n’est pas chose acquise.
Najla Bouden est donc appelée à faire adhérer l’UGTT à son programme socioéconomique, ce qui n’est pas garanti, surtout que le président Saïed n’associe pas la centrale syndicale dans la conception de son programme de la Tunisie de demain. Le chemin est encore long pour le redressement en Tunisie, puisqu’il n’y a pas encore de rassemblement d’acteurs dynamiques pour le faire.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami