La proclamation de l’État hébreu
En Suisse en août 1897, lors de la tenue du premier congrès sioniste mondial, Theodore Hertz a affirmé : «A Bâle, j’ai créé l’Etat juif. Si je disais cela aujourd’hui publiquement, tout le monde se moquerait de moi. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante ans sûrement, tout le monde acquiescera». Cet Etat fut créé comme prédit, alors que l’Etat palestinien reste une illusion aujourd’hui plus qu’hier. Les Palestiniens resteront probablement le peuple sans Etat-nation.
Avant même le partage de la Palestine, les groupes armés, Irgoun et Lehi, utilisaient la terreur comme une arme privilégiée pour faire fuir les Palestiniens de leurs terre et maison. Une stratégique des implantations. «Tour et Enceinte» est élaborée dans les années 1930. Elle visait à construire des colonies le long des frontières de la Palestine mandataire. «Tour et Enceinte» a édifié 188 colonies et villages bien armés entre 1936-1939 (Hervé Amiot). D’autres programmes sont aussi mis en application pour loger les nouveaux arrivants. Depuis, les colonies poussent comme des champignons jusqu’à nos jours. Le contrôle territorial s’accompagne de la destruction les lieux de la mémoire collective afin de considérer l’occupation s’est faite sur une terre sans peuple (Azmi Bishara). «Les animaux humains», selon le ministre israélien de la Défense, n’ont pas de patrimoine culturel.
Le Premier ministre Yitzhak Shamir, en se remémorant de l’époque où il était commandant de Lehi également connu sous le nom de «Gang Stern» admet l’utilisation des actes de terrorismes. Les juifs étaient en droit de recourir au terrorisme pour construire l’Etat juif. «Ni l’éthique juive ni la tradition juive ne peuvent disqualifier le terrorisme comme moyen de combat», écrit-il en 1943 in le Journal de l’organisation de Lehi (Alain Marshal). Mais les Palestiniens, souligne-t-il, «se battent pour une terre qui n’est pas la leur. C’est la terre du peuple d’Israël». Le président Harry Truman (1945-1953) a subi d’énormes pressions sans pareil mesure de l’Organisation sioniste mondiale et d’autres forces politiques pour endosser la proclamation de l’Etat israélien. «Je pense n’avoir jamais vu autant de pressions et de propagande ciblant la Maison Blanche qu’à cette époque-là. L’opiniâtreté de certains dirigeants extrémistes du sionisme - animés par des desseins politiciens et proférant des menaces politiques - me perturbait et m’irritait».
Le président des Etats-Unis ajoute dans ses mémoires : «Certains suggéraient même que l’on exerçât des pressions sur des nations souveraines afin qu’elles aillent dans le sens d’un vote favorable à l’Assemblée générale.» Le sionisme était en capacité d’exercer d’énormes pressions sur la première puissance mondiale pour endosser la proclamation de l’Etat juif. Ce pays n’était pas pourtant impliqué dans l’extermination et la persécution de plusieurs millions de juifs. Cela n’empêche pas que les Etats-Unis soutiennent Israël militairement sans limites en dépit de la Loi Leahy interdisant la vente d’armes à toute armée étrangère commettant des «violations fragrantes» du droit humanitaire. Une potentielle opposition du Congrès n’est nullement nécessaire pour cesser la livraison d’armes. Il suffirait juste d’appliquer la loi qui existe depuis 1997 renforcée en 2008 (Sylvian Cypel).
La politique extérieure américaine, contrairement à une large opinion, n’est pas souvent conduite par l’intérêt national quand il est question du conflit israélo-palestinien. C’est Israël qui a été dans plusieurs instances en capacité d’instrumentaliser les Etats-Unis. Le président Barack Obama, à la veille de son départ de la Maison Blanche, n’a même pas pu exercer son droit de véto au Conseil de sécurité pour bloquer l’implantation de nouvelles colonies juives. Au début du mandat, il avait été pourtant «grassement payé» à Oslo pour faire respecter les résolutions des Nations unies et le droit international. La superficie d’Israël est passée de 56% à plus de 76% au lendemain de la guerre de 1948. En plus, Israël en 6 jours de guerre en 1967, s’est accaparé de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est, de la bande de Ghaza, de la péninsule égyptienne du Sinaï et du plateau syrien du Golan. En moins d’une semaine, Israël tripla son emprise territoriale et détruit le potentiel militaire des Etats arabes. La langue française comme un butin de la révolution algérienne, pour reprendre la célèbre expression de Kateb Yacine, n’a pas été restituée aux Français.
Les terres et biens conquis en 1967 constituent le nouveau butin de guerre d’autant plus que la question sécuritaire devient le leitmotiv dans le nouveau discours israélien. Les terres et maisons ne risquent pas d’être restituées aux Palestiniens en dépit d’une forte pression internationale. Le processus du nettoyage ethnique mis en branle dans les années 1940 a entamé sa deuxième grande étape dans la bande de Ghaza en octobre 2023. La troisième étape serait, selon toute vraisemblance, le Liban-Sud. Ben Gourion, fondateur du parti travailliste, déclara bien avant le déclenchement de la guerre de six jours, que «les frontières des aspirations sionistes incluent le Liban-sud, le sud de la Syrie, la Jordanie, toute la Cisjordanie et le Sinaï». Il ajoute sans détours de langage : «Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place.» Les autres responsables, du Likoud qu’aussi bien du parti travailliste et des autres partisde droites et d’extrêmes droites abondent dans le même sens.
La question de deux Etats indépendants
La solution à deux Etats au conflit israélo-palestinien, acceptée par la communauté internationale, ambitionne à la fois de délimiter définitivement les frontières de l’Etat hébreu et de créer un Etat palestinien indépendant et viable ayant pour capitale Al Qods. Cette approche suppose que le pouvoir colonial israélien est assimilable à n’importe quel fait colonial. Historiquement, le sionisme n’est ni le pouvoir britannique en Inde ni le pouvoir français au Vietnam, en Algérie ou ailleurs. L’Etat hébreu est un «Etat guerrier résolu à s’agrandir» (le général Charles de Gaulle). Israël est le seul pays au monde où la conscription existe pour les femmes en temps de paix. Toute une population est mobilisée en permanence pour un danger imminent qui anéantirait l’existence de l’Etat juif et du peuple élu, semble-t-il.
L’idée à deux Etats a été soutenue depuis 1967 par un fort consensus dans le monde : la communauté internationale, les partis politiques, des ONG, des hommes d’affaires, des faiseurs d’opinion et des intellectuels. Noam Chomsky, un juif américain dont son monumentale œuvre a influencé deux à trois générations de la mouvance progressiste et démocrate dans le monde s’inscrit finalement dans le mainstream sur la question palestinienne. Edward Saïd, un Palestinien chrétien, né dans la ville occupée de Jérusalem, a aussi soutenu l’idée de deux Etats. A Oslo, Saïd constata la grande tromperie et se retira toutefois du projet mort-né. Le professeur de littérature comparée à l’Université de Columbia, qualifia les Accords d’Oslo, salués âprement par les médias, de «Traité de Versailles». Yasser Arafat, entouré d’une équipe d’incompétents, a accepté sans coup férir les accords d’Oslo (Edward Saïd). Son successeur, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, travaille sans relâche et avec zèle à l’exécution des résolutions pour le partage kafkaien de la Cisjordanie (Alain Gresh).
Le succès du projet de deux Etats reposait en réalité sur la mise en place d’un préalable cardinal : la dé-sionisation de l’Etat israélien. L’Etat hébreu ne pouvait pas à la fois rester un Etat théocratique et prêchait un Etat palestinien à côté de lui. La loi du 19 juillet 2018 consolide la judaïsation de l’Etat définissant Israël comme «l’Etat-nation du peuple juif». Cette loi précise que «le droit d’exercer l’auto-détermination au sein de l’Etat d’Israël est réservé uniquement au peuple juif». Un État paria parvient à imposer «un régime d’apartheid» aux Palestiniens en opposition aux résolutions des Nations unies et au droit international !
L’ancien président James Carter, le sponsor des Accords de Camp David n’a pas attendu la loi de 2018 pour décrire une situation d’apartheid prévalant en Cisjordanie. En 2006 il constate lors de sa mission d’observation : «Quand Israël occupe une grande partie de la Cisjordanie, relie par des routes quelque 200 colonies, mais interdit aux Palestiniens de les utiliser ou même, souvent, de les traverser, ce sont des formes de ségrégation ou d’apartheid pires que ce qu’on a jadis connu en Afrique du Sud». Cette loi a fait dissiper tous les espoirs de voir un jour un Etat Palestinien du moins pour ceux qui ont cru au mirage des deux Etats.
En 2006, l’envoyé spécial du président Jacques Chirac en territoires occupés, Régis Debray, rapporte le constat accablant : «Les bases physiques, économiques et humaines d’un Etat palestinien sont en voie de disparition». Mais en France, il n’est pas permis de dire publiquement ce que dit le rapport lui a-t-on répondu en substance au Palais de l’Elysée. Plus 5000 Franco-Israéliens participent aujourd’hui la guerre génocidaire dans l’enclave de Gaza. Les autorités françaises ne peuvent rester silencieuses lorsque leurs citoyens sont impliqués dans des crimes contre l’humanité. Les manifestations pour l’arrêt de cette guerre sont interdites dans le pays des droits et du citoyen. Les vas-t-en guerre considèrent que les manifestants de paix sont des antisémites, Le lobby sioniste exprime une force politique très influente, il représente pourtant une communauté minoritaire n’excédant pas un demi-million de personnes. Les critiques émises en Israël à l’égard du gouvernement hébreu sont parfois beaucoup plus virulentes dans les médias que celles que l’on peut lire ou entendre en France. Il n’est pas permis en France de critiquer la politique israélienne, a conclu Pascal Boniface en proposant son livre à des maisons d’éditions.
Le CRIF est aujourd’hui plus intransigeant que l’AIPAC.
La communauté internationale salue la chute de l’apartheid en Afrique du Sud mais reste silencieuse quant à son institutionnalisation dans le pays «le plus démocratique» de la région.
Le choix de la démocratie-occidentale a été imposé paradoxalement par le courant socialisant du sionisme. Un double enjeu caractérise ce choix stratégique. Le premier objectif favorise le soutien idéologique et symbolique de l’occident au processus à la construction étatique. Le second vise à disposer de la rente que «l’industrie de l’holocauste» génère en Europe et aux Etats-Unis (Norman Finkelstein). Le financement des institutions modernes et la prise en charge de la modernisation et de la croissance économique sont soutenus par unerentesingulière plus stable et régulière que la rente énergétique.Dès son retour au pouvoir en 2009, Le PM Netanyahou, selon ses propres propos, a mené une politique systématique pour saper toute tentative conduisant à diviser les groupes palestiniens et par conséquent à rendre l’idée de deux Etats caduque.A la veille l’attaque du 7 octobre, PM israélien a exposé aux Nations unies une carte sur laquelle la Palestine n’existe plus. Cette carte ne montre plus les territoires occupés et les terres annexées sur lesquels l’Etat palestinien indépendant verrait le jour. Il a même effacé «l’Etat gruyère» supposé être le futur Etat Palestinien soutenu par tous les acteurs de la communauté internationale. La solution à deux Etats indépendants suppose que le pouvoir colonial juif soit assimilable à n’importe quel fait colonial. Le sionisme n’est ni le pouvoir britannique en Inde ni le pouvoir français en Algérie ou ailleurs. L’Etat hébreu est, comme l’affirma le général de Gaulle, «un Etat guerrier résolu à s’agrandir», un Etat expansionniste de par sa nature même.
Pour éviter les complications en cours, un protocole de cicatrisation de la plaie chronique doit être appliqué immédiatement pour réparer les tissus cutanés endommagés. La plaie est tellement profonde et ouverte que la cicatrisation prendra une très longue période de convalescence.
L’espoir de récupération des terres et biens spoliés apparaît de plus en plus chimérique. Dès lors, la lutte pour l’égalité des droits entre les deux peuples, en dépit qu’elle soit séparée par un fossé abyssal, doit être intégrée dans une nouvelle stratégie. Le principe de «l’échange la terre contre la paix» adopté par la ligue des Etats arabes au début des années 1980 pourrait trouver sa pleine justification pour sa mise en place dans le nouvel ordre sécuritaire. Autrement, c’est le chaos régional en perspective que les Etats-Unis redoutent, paradoxalement !
Par Rachid Tlemçani
Professeur en relations internationales et études comparées
(*) Cet article est un chapitre de l’ouvrage,
La deuxième Nakba : Spoliation, Terreur et Sionisme.