La scène politique en Tunisie connaît un relatif frémissement : L’opposition met le cap sur la présidentielle de 2024

20/03/2024 mis à jour: 03:11
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Contrairement aux dernières législatives, le gros des partis de l’opposition participera à la prochaine présidentielle

La vie politique est plutôt terne en Tunisie en cette année électorale 2024. La population espère un redressement de l’économie, près de trois ans après le coup de force du 25 juillet 2021 du président Saïed 
La Tunisie a néanmoins échappé à une faillite annoncée. 
 

 

Le président Kaïs Saïed n’a certes pas touché aux législations de la Tunisie démocratique. Il n’a introduit aucune loi liberticide. Mais, tout est question de perception des limites de la tolérance et d’interprétation des lois. Et malgré l’absence de nouveaux textes contraignants, les Tunisiens et la majorité de leur classe politique ont compris que l’ère du laisser-faire est révolue et que l’Etat commence à reprendre forme. 
 

La vie politique et associative en Tunisie, très animée depuis la chute de Ben Ali en 2011, a pratiquement subi un coup de massue. «Nul ne saurait nier qu’une bonne partie de cette classe politique et ces Organisations Non gouvernementales (ONG) soient dans l’orbite des lobbies influents, locaux et internationaux, et que le résultat de la gouvernance de la décennie écoulée soit catastrophique», constate Ali Ben Amor, activiste et ancien haut cadre de l’Etat. «Et le pire, ajoute-t-il, c’est que les communicateurs des sphères gouvernantes de l’époque, islamistes ou autres, n’ont cessé, depuis octobre 2021, de prédire la faillite de l’Etat sur les plateaux publics, sans reconnaître aujourd’hui leurs erreurs d’évaluation… 

Et ils nous parlent d’absence de démocratie !»  La Tunisie d’aujourd’hui offre donc un paysage magmatique confus. Hormis cette vie politique terne, le président Saïed bénéficie de la confiance d’une large majorité de la population, qui attend néanmoins l’impact positif de sa gouvernance sur son quotidien. 

Pour sa part, et après avoir installé l’échafaudage de son régime, une nouvelle Constitution, deux nouvelles Chambres élues et une loi d’amnistie fiscale, le président Saïed multiplie les visites dans les établissements publics où les malversations sont légion et les localités où la pauvreté est criante.  

Le président tunisien compte sur les Fonds de l’amnistie fiscale pour redresser la barre et lancer des projets de développement local et régional. Les estimations de ces rentrées d’argent tablent sur quelques milliards de dinars tunisiens. Un milliard de dinars équivaut à 300 millions d’euros. Toutefois, «c’est encore au niveau de la parole et des théories, tout le monde attend le passage à l’acte et, surtout, les résultats concrets», souligne Ali Ben Amor, pas très convaincu des options choisies et insistant surtout sur les garde-fous pour le contrôle de gestion. Pour le moment, le gouvernement tunisien s’est plutôt penché sur la gestion courante ; les résultats ont surtout permis d’éviter le pire. 
 

Bonnes perspectives 

Au-delà des résultats satisfaisants de 2023 et l’éloignement du spectre de la faillite, l’année 2024 s’annonce de bon augure. La Tunisie a déjà honoré 51,5% de ses engagements extérieurs avec, notamment, le remboursement d’un eurobond de 850 millions d’euros le 17 février dernier. Par ailleurs, la Banque mondiale a annoncé le déblocage de deux prêts d’un montant global de 520 millions de dollars, alors que l’Union européenne a versé 150 millions d’euros à Tunis dans le cadre de l’accord signé en juillet 2023.

 En plus, le montant global des investissements déclarés dans les divers secteurs d’activité économique a déjà atteint l’équivalent de 228 millions de dollars, pour l’unique mois de janvier 2024, en hausse de 68,9% par rapport à janvier 2023, selon les chiffres de l’Instance tunisienne de l’investissement. On ne saurait clore le volet économique sans parler de l’impact positif de l’année pluvieuse sur l’agriculture tunisienne. La production céréalière s’annonce prometteuse et réduirait les importations des différentes variétés de blé et d’orge, en plus des apports dépassant le milliard d’euros à travers l’exportation de l’huile d’olive et des dattes. Dame Nature a déjà volé au secours de la Tunisie et Saïed, après quatre années de disette. 
 

Scrutin ouvert 

Les candidatures à la prochaine élection présidentielle, prévue l’automne 2024 en Tunisie, s’annoncent nombreuses malgré les réserves annoncées par le Front de salut national, la principale formation de l’opposition, qui ne veut toutefois pas rester seule sur le banc. Ainsi, l’ex-dirigeant d’Ennahdha et ministre de la Santé, Abdellatif Mekki, a déclaré, le 22 février dernier sur les ondes de Radio IFM, que «boycotter les élections présidentielles, c’est une erreur stratégique…». «Ces élections offrent une opportunité de sortie de crise», a-t-il dit.

 Mekki a quitté le parti islamiste Ennahdha et fondé un autre parti Travail et accomplissement, dont il a été nommé le président à l’issue du 1er congrès tenu le 25 février 2024. Pour sa part, l’ex-ministre de l’Education et dirigeant de Nidaa Tounes, Néji Jalloul, s’est déclaré favorable à la participation à l’élection présidentielle et «sûr d’être au 2e tour». 

Même son de cloche de la part du président du parti En Avant, Abid Briki, opposé à toute idée de boycottage des élections. Il y a également Mondher Zenaïdi, l’ex-ministre de Ben Ali, qui a annoncé, via sa page Facebook, son intention de participer au prochain scrutin «pour sauver la Tunisie», ou encore l’homme de communication Nizar Chaâri, qui a emprunté les réseaux sociaux pour se porter candidat. 

En plus de ces candidatures officiellement annoncées, il y a d’autres, pressenties, comme celles d’Olfa Hamdi, la fondatrice du parti la Troisième République, qui a assumé pendant un mois le poste de président-directeur général de la compagnie Tunis Air. Il ne faut pas non plus oublier Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL), actuellement aux arrêts sur ordre de la justice pour des affaires de perturbation de l’ordre public et en opposition avec l’Instance des élections. Cette multitude de candidatures, annoncées et pressenties, justifient les craintes des composantes du Front de salut national de voir oubliés leurs appels à la libération de tous les prisonniers politiques ou le retour à la Constitution de 2014.

 «La présence de plusieurs candidats à la prochaine présidentielle, de l’extérieur du camp de Kaïs Saïed, signifie la fin de nos espoirs d’un retour en arrière, aussi minuscule soit-il, vers les institutions nées des élections de 2019. Il faudrait donc bien mesurer les contrecoups d’un appel au boycottage qui ne marche pas», explique un membre du Front, sous le couvert de l’anonymat. 

Les propos d’Ahmed Néjib Chebbi, le président du Front de salut national, expliquent leur désarroi. «Le Front examine encore la possibilité de participer à la prochaine élection présidentielle», a-t-il souligné lors d’une conférence de presse le 5 février dernier, quand il a rappelé leurs conditions préalables à toute participation, les mêmes que celles annoncées par le parti islamiste Ennahdha et qui sont la libération de tous les prisonniers politiques et le retour à la Constitution de 2014. 

Le Parti républicain, composante du Front, annonce Issam Chebbi, son secrétaire général emprisonné, comme candidat. Le parti s’est toutefois dit ouvert à toute proposition émanant des autres composantes du Front. C’est dire le désarroi vécu par Ennahdha et ses alliés qui ont composé le paysage politique de la décennie d’avant le 25 juillet 2021. Mais, pour le moment, le régime de Kaïs Saïed rejette toute idée de dialogue et considère Rached Ghannouchi, le président d’Ennahdha et l’ex-président du Parlement, et la trentaine de détenus comme des prisonniers de droit commun, impliqués dans des affaires de troubles à l’ordre public.
 

Tunis
De notre correspondant  Mourad Sellami

 

 

 

 

Tensions à la frontière tuniso-libyenne

Les autorités libyennes ont décidé, dans la soirée de lundi dernier, de fermer le poste frontalier de Ras Jedir, sur les frontières tuniso-libyennes, suite aux tensions constatées après l’installation, le matin même, de la force d’application de la loi aux côtés de la douane libyenne contrôlant le passage. Ladite force a été dépêchée par le ministère libyen de l’Intérieur pour mettre fin au trafic de carburant à travers cette voie terrestre. Hier, le ministère libyen de l’Intérieur a publié un communiqué pour justifier la décision de fermer le poste frontalier. Le communiqué a expliqué qu’il fallait s’opposer aux groupes de hors-la-loi qui se permettaient de transgresser les réglementations concernant le transit du carburant. Des témoins tunisiens au poste frontalier, côté tunisien, ont parlé d’échange de coups de feu. Les Libyens ont essayé, par le passé et à maintes reprises, de mettre fin à ce trafic. Plusieurs réunions ont été tenues avec les autorités tunisiennes et des accords ont été signés. 

Mais, ces accords ne tiennent pas plus de quelques semaines, voire même quelques jours ou heures. Le gouvernement libyen pense de plus en plus à substituer la subvention du pétrole par une rente distribuée aux citoyens libyens. Mais, les lobbies de la contrebande s’y opposent toujours. Les autorités libyennes déplorent des pertes de plusieurs centaines de millions de dollars à cause de ce trafic de carburant, à travers toutes ses frontières, égyptienne, soudanaise, nigérienne et tunisienne. Seule la frontière algérienne serait épargnée. Il y a même du trafic maritime de carburant, aussi bien à l’Ouest, du côté du port d’Ezzaouia, 90 kilomètres à l’ouest de Tripoli, qu’à l’Est, sur les ports côtiers entre Benghazi et Tobrouk. Des mafias maltaises seraient associées à ce trafic. M. S.

 

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