La réouverture de l’économie chinoise (et des autres activités du pays) depuis le 8 janvier 2023 est un développement systémique de portée mondiale. En raison de son poids significatif au niveau mondial, cette réouverture va avoir des implications sanitaires domestiques et externes, peser sur les marchés mondiaux des produits de base, y compris le pétrole, faire redémarrer le tourisme international (entrées et sorties) et surtout influencer les politiques publiques des pays avancés, émergents et en voie de développement. En même temps, ce retour de la Chine ne garantit pas qu’elle retrouvera la vigueur de la période pré-covid au vu de nombreux défis, dont un contexte domestique difficile, l’exacerbation des tensions géopolitiques et le déclin démographique. Discutons de ces questions.
Indicateurs de base sur l’économie chinoise à fin 2022. Juste après les Etats- Unis, le PIB de la Chine est de $17 734 milliards (soit 1/5 du PIB mondial). Un tel poids économique confère à la Chine également une place prépondérante au niveau du commerce mondial, avec 13% des exportations mondiales ($307 milliards contre $251 milliards pour les Etats-Unis) et 15% des importations mondiales ($307 milliards par rapport à 251$ milliards pour les Etats-Unis). La Chine est également un acteur-clé au niveau des marchés internationaux des produits de base, avec des achats de 20% de la production mondiale de pétrole, 50% de la production raffinée de cuivre, nickel et zinc et 60% du minerai de fer. Une économie avec des liens multiples avec le monde extérieur.
Le contexte géostratégique. Le retour de la Chine s’est fait dans un contexte externe marqué par la guerre en Ukraine (la première depuis 1945), une intensification de la rivalité mondiale et une fragmentation géoéconomique. Consciente de son rôle de seconde puissance mondiale et des dommages structurels causés par la guerre à toutes les économies du monde, la Chine est en mesure de jouer un rôle fondamental en faveur d’une coopération étroite entre les dirigeants mondiaux, à l’instar de celle constatée en novembre 2022 qui a permis la reprise du dialogue américano-chinois sur le climat, la réaffirmation par le G-20 de la nécessité d›une coopération économique et l’accord à la Conférence des Nations unies sur le climat en Egypte (financement pour les pays vulnérables). Vu l’absence de solutions magiques, seule la coopération internationale permettra de relever les défis globaux immédiats qui mettent la planète en danger, entre autres, la fin de la guerre en Ukraine ainsi que la paix et stabilité mondiale, le ralentissement économique mondial, la crise du coût de la vie, la crise de dette mondiale et le changement climatique.
La chute de la croissance économique de la Chine en 2022. Selon le Bureau national des statistiques (BNS) de la Chine, l’année 2022 est marquée par : (1) une croissance très faible estimée à 3% (taux anémique à rapprocher de la contraction de 1,6% en 1976 - année marquée par la famine- et au tassement économique de 2,3% en 2020 du fait de la pandémie) en dessous de l’objectif de 5,5% et loin derrière le taux de 8,1% atteint en 2021 ; (2) un déficit budgétaire de 3,1% du PIB ; et (3) un surplus du compte courant inchangé à 1,8% du PIB. Toutefois et, contrairement aux autres pays du monde, la fermeture de la Chine a réprimé la demande interne et permis de contenir l’inflation à 1,8 % (1% en 2021).
Les facteurs à la base de cette performance mitigée sont multiples, notamment : (1) la stratégie de confinement strict qui a, pendant les trois dernières années, coupé le pays du reste du monde, ralenti fortement ses échanges commerciaux, paralysé ses chaînes d’approvisionnement et affaibli l’activité économique interne et externe ; (2) un krach immobilier induit par des années de spéculation et qui a tassé les prix des logements, plongé les constructeurs dans une spirale d’endettement et fragilisé une partie du système financier; (3) la reprise en main brutale par l’état du secteur technologique à partir de 2019 qui a entamé la confiance des investisseurs mondiaux et incité certains d’entre eux à retirer leurs capitaux du pays ; (4) les tensions politiques croissantes avec les principaux partenaires commerciaux tels que les États-Unis depuis 2017, affaiblissant les chaînes d’approvisionnement chinoises et contraignant leur accès aux technologies de pointe ; et (5) le choc démographique dont la dynamique était en place depuis des années et qui a été précipité par la politique de confinement dur entre 2020 et 2022.
Le choc démographique de la Chine
La population chinoise a chuté en 2022 pour la première fois en 60 ans. En cause est la politique de l’enfant unique imposée par Pékin en 1980 pour contrôler le taux de natalité, politique abandonnée trop tard en 2016 et remplacée par la politique de deux enfants. Les dernières données du BNS indiquent que la population totale a chuté de 850 000 en 2022 à 1 41175 milliard. Le taux de natalité en 2022 avait chuté à son niveau le plus bas soit 6,77 naissances pour 1000 personnes, contre 10,41 en 2019. Au même moment, le taux de mortalité montait à 7,37 pour 1000 personnes en 2022, le plus élevé depuis 1970. La politique stricte de zéro Covid a accéléré la baisse du taux de natalité du pays, les couples ayant retardé ou carrément décidé de ne pas avoir d’enfants en pleine crise sanitaire et ralentissement économique.
Les démographes et de nombreux économistes chinois sont d’avis que cette chute de 2022 marque un déclin irréversible à long terme de la population. De ce fait, ils projettent : (1) une baisse continue de la population chinoise (qui devrait atteindre 1,31 milliard d’ici 2050 et 767 millions d’ici la fin du siècle) ; et (2) des complications à long terme pour les économies nationales et mondiales dans la mesure où la Chine a longtemps été une source vitale de main-d’œuvre et un moteur de croissance économique interne et externe. En conséquence, si le facteur démographique ne peut plus tirer la croissance, la Chine a deux alternatives : (1) l’accélération de l’automation ; et (2) l’augmentation de la qualité du travail au moyen de politiques publiques destinées à améliorer la productivité en renforçant l’éducation, la santé (afin d’assurer une meilleure protection sociale et disposer d’une infrastructure médicale de pointe pour appuyer une population vieillissante) et la numérisation économique.
La réouverture de la Chine depuis le 8 janvier 2023 posera un certain nombre de défis. Citons :
- L’explosion des contaminations au cours des prochaines semaines. La fin de la politique zéro Covid en décembre a entraîné le démantèlement des structures de traçage du virus et la publication de données limitées sur les personnes contaminées. Pour disposer de données plus fiables, des épidémiologistes ont mené des enquêtes en ligne qui font ressortir que la vague de contamination n’a pas atteint son pic, d’autant plus que les voyages liés aux fêtes du nouvel an lunaire de ce week-end vont doubler par rapport à 2022. Cet élément, combiné à un faible taux de vaccination des populations âgées, l’absence de stocks de vaccins fiables et de protocoles pour prendre en charge les patients vont conduire inévitablement à une explosion des contagions qui ne manqueront pas de submerger les infrastructures médicales. Il est estimé que cette vague de contamination pourrait entraîner la mort de près de 1,5 million de citoyens au cours des prochains mois.
Le décalage du rebond de l’activité économique au second trimestre. La résurgence des contaminations va affaiblir les rangs de la population active et contribuer à un recul de l’activité économique au cours du premier trimestre. Cette dernière pourrait repartir sous l’effet : (1) de la reprise du travail de la part des travailleurs contaminés ; (2) de la forte confiance des consommateurs locaux (indice de confiance des ménages de 86,8) ; (3) d’une remontée de la demande chinoise en biens, services et matières premières ; et (4) d’une reprise marquée du tourisme international qui donnera lieu à une hausse des dépenses diverses de consommation. Un tel rebond d’une économie aussi massive que celle de la Chine va fournir une nouvelle dynamique de croissance mondiale, notamment au niveau des pays d’Asie.
La montée de pressions sur les marchés des produits de base du fait de la reprise de la demande chinoise en matière d’inputs. Les exportateurs des matières premières consommées par la Chine seront les premiers bénéficiaires de la réouverture en raison de la remontée de la demande du pays pour leurs produits. Pour ce qui est du pétrole, la hausse de la demande chinoise devrait plus que compenser la baisse de la consommation en Europe et aux Etats-Unis, deux pôles de croissance en phase de ralentissement. Sans surprise, les analystes prévoient qu’une reprise rapide en Chine devrait : (1) faire remonter le baril de pétrole brut Brent à 100$, par rapport à environ $80 aujourd’hui (avec livraison en fin février 2023), soit une hausse de 23,7% ; et (2) mettre en concurrence la Chine avec l’Europe en matière d’achats de gaz naturel.
Le nécessaire recalibrage des politiques publiques des autres pays du monde. Vraisemblablement, un éventuel resserrement de la politique monétaire devrait être envisagé. En effet, si la réouverture de la Chine conduit à une forte pression sur les prix de divers biens de base, de l’énergie et du coût du travail, le reste du monde (notamment les pays importateurs de matières premières) pourrait non plus bénéficier d’une croissance plus élevée, mais subir au contraire des pressions inflationnistes additionnelles. Dans ce cas, ces pays seront dans l’obligation de revoir le rythme d’augmentation des taux d’intérêt.
La gestion de l’érosion de la confiance des investisseurs internationaux. La poursuite d’une stratégie de zéro Covid-19 pendant 36 mois et son abandon dans la précipitation ainsi que la reprise en main vigoureuse de la communauté des affaires de Hong Kong ont entamé la confiance des investisseurs internationaux dont l’indice de confiance est passe à 47 (en dessous du seuil critique de 50). La remontée du risque Chine a déclenché d’ores et déjà un processus de relocalisation au niveau d’autres pays d’Asie considérés plus fiables (le cas d’Apple). Les autorités chinoises sont conscientes de cette situation et s’activent à contenir les dommages causés.
L’Algérie et la réouverture de la Chine
Un partenaire de premier plan. Les données disponibles à mi-2022 font ressortir ce qui suit : (1) les importations de la Chine se sont élevées à $3,3 milliards (soit 16,5 % du total des importations du pays, une légère progression de 0,3% par rapport à la même période en 2021) avec la Chine au 1er rang des fournisseurs du pays ; et (2) les exportations vers la Chine ont atteint $965 millions (soit 3,72 % des exportations totales du pays, une baisse de près de la moitié par rapport à la même période en 2021), plaçant la Chine au rang de 9e client de l’Algérie. Les produits exportés par l’Algérie comprennent essentiellement du pétrole brut (environ 20%), des produits raffinés (environ 64%) et du gaz (13,5%). Pour ce qui est des importations, l’Algérie achète une vingtaine de gammes de produits divers, notamment des produits textiles et de l’habillement, des biens alimentaires, des produits chimiques, des peaux, des métaux précieux, des véhicules, des pierres précieuses, du papier du bois des minéraux, etc. Entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022, les échanges ont augmenté de
Une réouverture opportune
D’un côté, la réouverture de la Chine va contribuer à une relance de l’activité mondiale à partir du second trimestre de 2023. Ceci devrait entraîner une hausse de la demande en pétrole et une remontée du baril. Un développement favorable pour l’Algérie qui pourrait alors bénéficier de recettes d’exportation additionnelles et de recettes fiscales en hausse ($1 de plus par baril génère environ $500 millions). De l’autre, dans le contexte actuel de guerre en Ukraine, la demande de la Chine en matière d’intrants et autres biens, y compris le pétrole va exacerber les tensions sur les marchés internationaux (énergie, produits de base, biens alimentaires) et faire remonter éventuellement l’inflation mondiale, ce qui devrait conduire le reste du monde à poursuivre le resserrement des conditions financières. Dans ce cas, l’Algérie devrait faire face à une inflation mondiale en hausse (environ 6%) et au renchérissement du coût des importations. En net, si l’Algérie rationalise ses importations, 2023 pourra de nouveau être une année favorable pour ses comptes extérieurs.
Un impact stratégique limité
Le nouveau ballon d’oxygène ne changera pas du tout la nature des défis structurels de l’économie algérienne, notamment le relèvement et l’élargissement d’une croissance saine, la reprise du contrôle de l’inflation et la nécessaire création d’emplois pour au moins absorber les flux annuels de demandeurs d’emplois et ensuite entamer la réduction du stock de chômeurs. Ce qui implique la levée des fortes contraintes structurelles pesant sur l’économie algérienne pour la rendre plus résiliente, durable, diversifiée et inclusive. Toutefois, le contexte social, la faiblesse des ressources financières et l’accélération de l’inflation ne sont pas des facteurs propices au lancement de réformes ambitieuses. Les grandes réformes dont a tant besoin le pays seraient reportées au profit d’une approche a court terme pour entretenir un minimum de croissance économique à crédit et de nature inflationniste. Abdelrahmi Bessaha