Le soutien populaire au mouvement d’opposition au report de l’âge de la retraite ne faiblit pas. Les grèves et manifestations se multiplient, menaçant de paralysie certains secteurs de l’économie, alors que le pouvoir espère trouver une porte de sortie.
Une crise politique inédite a surgi en France suite au passage en force de la loi qui reporte l’âge de départ à la retraite à 64 ans. L’article 49.3 de la Constitution brandit pour faire passer la loi sans vote a démontré que le gouvernement de la Première ministre, Elisabeth Borne, ne dispose pas d’une majorité à l’Assemblée nationale.
Ainsi donc, une crise sociale inédite a généré une crise d’incarnation du pouvoir mis à mal en 2022 par une élection par défaut d’Emmanuel Macron à la présidence et des élections législatives sans majorité absolue. Le président français, qui n’a jamais été aussi impopulaire, selon les sondages, «consulte» après avoir fait passer une loi rejetée majoritairement par les Français.
Le pays est donc confronté à ce que les politologues analysent avec pertinence : légalité des urnes et légitimité populaire, d’une part, et d’autre part, démocratie politique et démocratie sociale.
Une analyse qui se renforce lorsque tous les observateurs ont vu comment le régime a démultiplié la force de coercition policière pour déstabiliser les manifestations pacifiques opposées à sa réforme.
Les images de guerre qui ont fait le tour du monde sont suffisamment saisissantes et ne peuvent plus être contredites ou niées. La Ligue des droits de l’homme, Reporters sans frontières ou encore Amnesty international ont dénoncé ces pratiques. Des pratiques pourtant déjà constatées entre 2018 et 2019 lors de la contestation portée par le mouvement des Gilets jaunes.
Une violence policière largement documentée
«Comment sortir de ce bourbier», c’est la question que posait hier le quotidien libéral Les Echos, réputé proche des sphères du pouvoir : «L’interrogation n’est pas formulée officiellement, mais à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation mardi, à l’appel de l’intersyndicale, elle est dans toutes les têtes, au plus haut sommet de l’Etat, au gouvernement, dans la majorité et au-delà…
Un bourbier qui inclut la montée des violences, la multiplication des opérations coup-de-poing et les affrontements samedi autour de la manifestation interdite contre les méga-bassines de Sainte-Soline (Deux-Sèvres)». Jusqu’à la défenseur des droits Claire Hédon, ou la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Dunja Mijatovic, qui s’est inquiétée de cette situation, un état des lieux répressif que le journal Libération résume : «Un militant entre la vie et la mort, victime d’un traumatisme crânien au cours de la manifestation organisée samedi à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), un technicien de la SNCF engagé chez SUD Rail éborgné jeudi à Paris dans le cortège syndical, une femme de l’éducation nationale mutilée d’un doigt au rassemblement de Rouen le même jour…
Ces graves blessures s’ajoutent aux multiples brutalités policières, humiliations, menaces et coups, notamment sur des journalistes, documentés par des vidéos postées sur les réseaux sociaux.
Ces faits se sont produits en grande partie à Paris depuis le 16 mars, date à laquelle le gouvernement a déclenché le 49.3. Les alertes sont nombreuses et rappellent l’incapacité de la France à mettre en œuvre un maintien de l’ordre plus démocratique.»
Des propositions de dialogue avec les syndicats
Paris, qui a l’habitude de décerner bons points et mauvais points aux dictatures, est ainsi épinglé sur son terrain, celui de la démocratie et des droits de l’homme. Pour tirer un fil de la désescalade alors que ce mardi s’annonce comme une énième journée de grève et de manifestations, le carré des cadres autour du président Macron tente des propositions de refonte politique pour «trouver une porte de sortie sans se renier», écrit Les Echos.
Le mot «pause» n’est plus tabou désormais. La question est de savoir à quel moment et comment Macron va appuyer sur le bouton d’arrêt, la seule solution étant qu’il mette en jachère sa loi. Avec un œil sur le Conseil constitutionnel qui se prononcera dans quelques jours. En attendant, la Première ministre a comme feuille de route de tenter de créer une majorité, mal engagée, avec la droite (parti Les Républicains).
Dans le même temps, elle souhaite enfin rencontrer les syndicats tout en leur disant officiellement que le gouvernement ne reviendrait pas sur la réforme des retraites. Pour l’instant… Le chroniqueur de Libé Thomas Legrand parlant de solution «sage» et titrant : «Oser la pause». Une preuve que le débat avance sous la houle des manifestations, de la contestation et de la brutalité de la répression.
Comme en sciences physiques, tout est désormais une question de résistance. Jusqu’où le pouvoir sait qu’il peut tenir sans lâcher. Hier, on recensait plusieurs raffineries de pétrole à l’arrêt, des étudiants et lycéens qui bloquaient leurs établissements et le musée du Louvre, symbole de Paris, occupé par les grévistes.
Ce mardi, le mouvement va gagner les écoles, les transports et d’autres domaines, mais surtout, ce seront les manifestations qui seront observées. Beaucoup passent outre le contrôle syndical et débouchent sur des situations d’embrasement. Ce sont celles-là qui se voient le plus et c’est la raison pour laquelle elles sont menées, sachant que les vidéos feront le tour de la France et du web mondial.