Ma contribution consiste à partager avec le lecteur la capitalisation de mon expérience et expertise du développement de l’agriculture dans les régions sahariennes, un espace saharien qui se veut un défi ou challenge, mais aussi une opportunité pour la préservation des ressources naturelles et le choix des cultures adaptées, dont les légumineuses et, en particulier les légumes secs, des espèces végétales aux multiples atouts.
Si les légumineuses sont un enjeu stratégique, nous devons savoir qu’elles contribuent à un modèle agricole durable et responsable en émettant peu de gaz à effet de serre. Elles ont de nombreuses vertus et des bienfaits pour l’alimentation humaine, l’alimentation animale, et l’environnement.
Si la production nationale de légumineuses représente à nos jours plus de 40% des besoins du marché, les potentialités agricoles et les atouts existent pour diversifier, augmenter la production et atteindre l’autosuffisance en légumes secs. Les légumineuses sont des aliments de base et représentent la principale source de protéines pour l’homme. Elles peuvent être des alternatives à la viande quand elles sont associées à des féculents. Elles jouent un rôle très important dans les agrosystèmes oasiens sur le plan agronomique, économique, social, nutritionnel et environnemental.
A ce jour, il y a encore des Oasiens dans la région du Gourara ou l’oasis rouge wilaya de Timimoun, qui cultivent des légumineuses à graines qui s’adaptent très vite et sont très demandées dans leur modèle de consommation comme aliment de base.
Des cultures vivrières et alimentaires très importantes comme le haricot tadelaght, les lentilles et les fèves, des variétés locales que nous trouvons sur le marché local. Des Oasiens conservent habilement à ce jour leurs semences, source de résilience face aux changements climatiques.
Par exemple, 1 kg de haricot tadelaght est vendu sur le marché au prix de détail jusqu’à 1200 DA.
Pour une meilleure valorisation de ces cultures, une initiative louable a été lancée par la micro-ferme écologique et innovante «la Clé des Oasis» Ksar de Badriane, Timimoun, dans le Grand Sud algérien, une exploitation agricole dont l’objectif est la sauvegarde de l’existant, la réhabilitation, la rénovation, l’amélioration, le réaménagement hydraulique et la modernisation.
La micro-ferme écologique et innovante, une exploitation agricole de 15 000 m2 se veut une plateforme d’innovations et de résilience d’un système de production diversifié.
C’est aussi un espace d’expérimentation, de partage et d’échanges de connaissances, de vulgarisation dont je suis l’initiateur et le gérant depuis l’année 2017.
Des essais ont été menées pour plusieurs cultures et variétés locales dont «les céréales», à savoir le blé dur, le blé tendre, l’orge, l’avoine, le sorgho, le millet, les fourrages, comme le sorgho fourrager, l’avoine, le panicum, la luzerne, la vesce avoine, les légumes secs comme les lentilles, le haricot tadelaght, les pois secs, les pois chiches, les fèves, les oléagineux comme le tournesol, le soja, l’arachide, le sésame, et autres cultures légumières comme la patate douce, les plantes condimentaires, aromatiques et médicinales.
Les différentes cultures de légumineuses ont été cultivées en intercalaires entre les rangées de palmiers dattiers et au niveau des cuvettes de palmiers dattiers avec l’incorporation du biochar ou charbon écologique, un véritable catalyseur et restructurateur du sol et un rétenteur d’eau.
Nous devons savoir que le principe de l’oasis est celui d’une polyculture vivrière résiliente et irriguée où arbres fruitiers et cultures vivrières annuelles sont regroupées dans un même espace autour du palmier dattier.
Il crée un environnement favorable aux cultures en limitant l’ensoleillement et le vent, ce qui favorise le maintien de l’humidité du sol et la création d’un microclimat favorable aux cultures.
Pour limiter les dégâts causés par les vents, les vents de sable et l’intrusion des animaux, la mise en place de haies de protection et de brise-vent est nécessaire. Entre nous, les oasis constituent des points minuscules dans l’immensité des espaces arides et semi-arides. Ce sont des espaces agricoles irrigués et cultivés autour du palmier dattier.
C’est cet arbre roi qui crée l’agrosystème oasien avec des conditions climatiques locales favorables, plus fraîches et humides permettant une agriculture intégrée avec une association de cultures et une valorisation optimale de la surface, c’est l’effet Oasis.
Quand la température maximale est de 45 degrés à Timimoun, elle est de 35 degrés quand vous rentrez dans la micro-ferme la Clé des Oasis.
Une moyenne annuelle d’ensoleillement de 10 heures par jour, soit environ 3650 heures d’ensoleillement par année, va permettre une levée et une croissance rapides.
Les résultats obtenus au niveau de la micro-ferme écologique et innovante la Clé des Oasis montrent que les cultures et variétés testées se sont bien comportées vis-à-vis des conditions pédoclimatiques particulières du Grand Sud algérien avec des facteurs favorables et moins de contraintes, si nous savons comment les identifier et les éliminer.
Le développement végétatif est très vigoureux avec des rendements au m2 très importants et une meilleure précocité, résultats de la conduite des cultures, de la date de semis, la densité au m2, de la gestion raisonnée de l’irrigation. Exemple du Niébé, ce haricot à fort potentiel sous-exploité à nos jours, une légumineuse endémique du continent africain et une culture vivrière que l’on cultive surtout en Afrique de l’Ouest. Sa semoule et sa farine sont parfaites pour faire du pain et autres produits.
Les essais qui ont été faits avec des pratiques culturales innovantes au niveau de la Clé des Oasis avec quelques graines ont donné des résultats encourageants, voire environ 480 g pour un pied de niébé. Les fanes du niébé correctement récoltées et séchées ont une valeur fourragère élevée. C’est un fourrage de qualité que l’on peut stocker et utiliser dans l’alimentation du cheptel pendant les périodes de soudure. Il y a des variétés à cycle très court et précoce qui peuvent jouer un rôle crucial entre les récoltes de certaines céréales comme le blé et comme complément pendant la période de soudure. Il a une excellente capacité de fixation de l’azote capté dans l’air qu’il transfère dans les sols. Pour les légumineuses, les exigences écologiques comme le gros besoin en chaleur, la luminosité sont favorables pour promouvoir ses cultures en milieu aride.
Ce sont des cultures qui ne sont pas exigeantes en termes de fertilisation.Les légumineuses sont considérées comme des «têtes de rotation» contribuant à favoriser la fertilité d’un sol avant la culture d’un blé par exemple. Longtemps marginalisées et délaissées, elles méritent une attention particulière eu égard à leur apport en protéines dans le régime alimentaire, ainsi que leur effet bénéfique sur la fertilité du sol. Nous savons que la wilaya de Biskra est l’une des régions les plus importantes pour la production de fèves vertes et de pois potager depuis les années 1986.
Elle possède un patrimoine génétique très diversifié avec une adaptation aux conditions agro-climatiques des régions sahariennes. L’expérience a montré que les mauvaises semences, leur stockage, la non- maîtrise des dates et densités de semis, le type de sol et sa préparation, le lit de semences, la qualité de l’eau peuvent avoir un grand effet négatif sur les rendements et peuvent amener les Oasiens à abandonner ces cultures.
Il faut encourager les agriculteurs multiplicateurs pour la production des semences de légumineuses et le choix de variétés résilientes.
D’où l’importance des plans de vulgarisation, de la mise en place des outils de communication, de la mise à disposition des agriculteurs des méthodes et bonnes pratiques agricoles, de la présence des conseillers et agents vulgarisateurs qualifiés sur le terrain pour le renforcement des capacités et l’amélioration des connaissances.
Nous voyons que l’eau est encore très mal valorisée, puisque les rendements sont encore faibles par rapport à ce qui est obtenu dans d’autres pays. Que d’importantes économies d’eau peuvent être réalisées à l’avenir tout en augmentant les productions en tenant compte des dérèglements climatiques.
Le soutien du développement des légumineuses à graines dans le système agricole oasien en garantissant aux Oasiens dans la durée le débouché, ne fera que renforcer l’autosuffisance, la sécurité et la gouvernance alimentaire.
Des variétés locales de semences résilientes et adaptées aux conditions locales existent. Elles sont menacées d’une érosion génétique. Il est temps de faire un inventaire de ses variétés qui existent depuis longtemps et de les valoriser.
L’agriculture oasienne et la saharienne existent et ont besoin seulement d’une prise en charge sur le plan technique et scientifique avec un accompagnement technique des producteurs et une bonne organisation et planification des cultures.
Riches en protéines, en fibres, en glucides, les légumineuses à graines sont à la fois diététiques et nutritives. Ce sont des cultures faciles et peu exigeantes. Elles ne demandent pas un arrosage fréquent, supportent les stress hydriques importants et ne nécessitent pas d’apport d’engrais azoté.
Elles ont besoin d’un sol frais et léger suffisamment réchauffé, de chaleur et d’un très bon ensoleillement. Elles fixent l’azote atmosphérique. Les rendements dépendent des variétés et des conditions de culture. Il faut savoir que les légumineuses permettent de réduire l’empreinte carbone des exploitations agricoles.
L’accès pour tous à une alimentation de qualité, saine, durable et en quantité est possible et facile.
Dr M. Bouchentouf ,
Ingénieur-Docteur en Agronomie , docteur en Environnement et Développement Durable
«Adaptations de l’agriculture aux changements climatiques»
Ancien cadre au ministère de l’Agriculture et du Développement rural Spécialiste de l’agroécologie des régions arides et semi-arides
Consultant en management et développement de projets à l’international
Chercheur en innovation et prospectives agricoles
Président de l’Association Europe Afrique résilience agroécologique et climatique Paris
Directeur de la micro-ferme écologique et innovante «La Clé des Oasis» Timimoun Algérie