La plage du Puits de Benisaf était une plage aux romantiques (Suite et fin)

05/07/2023 mis à jour: 16:00
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«Nous ne sommes que des grains de sable mais nous sommes ensemble. Nous sommes comme les grains de sable sur la plage, mais sans les grains de sable la plage 
n’existerait pas.»

 

Plages paradisiaques

C’est un quartier familier et exceptionnel ayant une attirance saisonnière qui captive les gens des quatre coins du pays et de par le monde, on peut dire que c’est un quartier de résonance nationale, les Algériens vous le diront, car ils se sont familiarisés avec les beaux paysages de la région ; ils connaissent très bien l’endroit, si ce n’est pas la sardine de Benisaf, c’est bien la Plage du Puits, et les Tlemcéniens fascinés et séduits vous le content sagement et merveilleusement, pour les Sudistes c’est une oasis dans un désert. La Plage du Puits représentait pour eux une sorte d’éden sur terre. 
 

Il est évidemment nécessaire de signaler les plages mitoyennes, telle que la plage de Rachgoun, Madrid et Sidi Boucif qui incarnaient également les vestiges du terroir benisafien. Nous restons toujours à la Plage du Puits, elle est énigmatique et unique en son genre, puisque les plus belles matinées que le Bon Dieu fait, se faisaient au printemps de la Plage du Puits, les plus belles soirées se faisaient à l’automne du quartier de la plage, les plus belles après-midi se passaient en hiver à la Plage du Puits, et les plus belles journées se passaient en été, où le bonheur se concrétisait par quatre richesses : un beau soleil, une délicieuse mer, de la détente, et des commodités de détente, cette rareté, dans son sens philosophique, économique ou littéraire, était issue de la légende de la grandeur de Benisaf que nous envions aujourd’hui.
 

Les nuits d’été d’antan

L’été à la Plage du Puits durant les années 1970-80 était une histoire, une romance, un dimanche, une fierté une.... je ne sais comment l’exprimer, les estivants ayant connu la Plage du Puits d’antan connaissaient et ressentaient ce que moi je ne pourrai exprimer tellement c’était de l’agréable,  du céleste, du merveilleux, de l’épatant, du sublime... Le site représentait pour les vacanciers, les juillettistes, les aoûtiens, les plaisanciers ; la détente, le calme en quelque sorte la «pause» de l’être, et de l’âme ; une forme de jouvence. 

Le quartier de la plage était vivant, muni de son aquarium qui était un centre d’art, de culture et d’érudition de la faune aquatique ouvert à la curiosité des estivants et visiteurs, les activités culturelles ne manquaient guère, allant de la natation, la kermesse, des tournois de football, de basket ball, de handball, du beach-volley, du water polo sur la courbe de la jetée ouest du port, d’ailleurs on la nomme «El Courba», de ce côté-là, il y avait le chargeur du minerai de fer qui servait de plongeoir et dont beaucoup de Benisafiens pouvaient se mesurer aux grands plongeurs olympiques.... 
 

Les après-midi des mois de juillet et d’août étaient animées de grandes festivités culturelles, en fin de soirée sur le sable en face de la mer, un podium garni de feuilles de palmier où les plus grands artistes algériens animaient des concerts pendant le mois d’août, sans oublier le grand maître de la chanson orientale Amrani Abdellah ainsi que des galas de musique et de danses au milieu d’une liesse populaire. Il faut préciser qu’à l’époque avec peu de moyens, le comité de fête de l’APC de Benisaf faisait des prouesses, alors que celui d’aujourd’hui avec ses moyens financiers influents n’arrive pas à réaliser convenablement une journée d’été dans sa dimension purement culturelle. 

C’est à partir du quartier de la Plage du Puits de Benisaf que s’est propagée à l’échelle universelle la culture musicale du «rai». 

Cette musique a été confectionnée par le maître Bellemou durant la décennie 1970. Bellemou était un simple ouvrier communal qui savait bien coiffer les palmiers et badigeonner les trottoirs de la Plage du Puits, mais en fin de soirée, avec sa trompette magique, et son don musical, dans sa petite cabane, il aimait et se faisait jouer des airs musicaux qui occasionnaient la bénignité de l’ acoustique, sa musique pénétrait dans le fond de son voisinage avec une indulgence et une délicatesse qui suscitait en lui un être ingénieux, un talentueux, et dire que la musique «rai» issue du quartier de la Plage du Puits, c’est tout un prestige pour notre quartier de la Plage du Puits.
 

Un berceau musical

Dans le même ordre d’idées, il ne faut pas  oublier le fameux groupe musical de Tlemcen «Rachid et Fethi» qui ont fait leur début de musique sur le sable de la Plage du Puits,  et qui n’ont jamais cessé ni refusé d’animer bénévolement le quartier de la plage pour le rendre plus heureux, plus gai, des soirées interminables de musique, de chansons et de radio crochet qui enflammaient l’assistance de plaisirs, de distraction, de joie... Les habitants du quartier devraient être plus reconnaissants, et devront à cette occasion rendre un vibrant hommage au défunt Rachid* (Allah yar’hamou) et sa famille «Baba Ahmed» qui ont donné l’incommensurable pour que notre quartier soit radieux. Le quartier de la Plage du Puits a façonné des personnalités comme Sari l’ex-joueur de football (1962) de l’Etoile de Belgrade, Belharizi, chercheur en France en génie civil, qui encadre bénévolement les universités de Tlemcen, de Aïn Témouchent, Alger, Constantine, Chlef...
 

Un autre constat aujourd’hui

Aujourd’hui le quartier baigne dans l’indifférence, la négligence et l’ingratitude la plus absolue, l’animation sportive ne trouve plus de place, les aires de jeux ont été récemment squattées pour devenir des parkings informels, le combiné de sport a aussi été détourné pour abriter la foire commerciale ; la laideur, des nuisances acoustiques dépriment tout être cherchant détente, calme, ou autre situation de bien-être.

La conservation, la protection et la sauvegarde du site ne sont pas au menu de nos responsables, encore moins de nos élus. La saleté fait ses ravages. 

Même les lieux publics indispensables pour tout être humain sont détournés de leurs vocations principales, et en toute impunité, nos voisins du quartier du haut de la falaise nous balancent leurs ordures emballées dans des sachets bleus, pour nous insinuer qu’on est des vauriens sans éthique de citoyen encore moins d’éthique civique, car nous traversons le temps à reculons pour mieux effacer l’ancien décor de l’âge d’or de notre quartier, où les bonnes odeurs de jasmin, des roses et autres fleurs qui embaumaient tout l’espace du quartier de la plage, chaque maison, cabanon ou villa étaient fleuris de roses, de jasmins ou de géranium, le quartier avait toutes les commodités nécessaires et utiles qui nous emportaient vers la magnificence. 

La Plage du Puits était une plage touristique devenue de tous risques. Actuellement, rien n’est entrepris dans l’art des choses, la dégradation et la déliquescence est mise en marche. Les trottoirs sont refaits en l’espace d’une dizaine d’années, mais toujours avec la même platitude ; le nouveau réseau électrique du quartier n’a pas encore fêté sa première bougie que le tissu électrique commence à présenter des défectuosités, cette façon autiste de nos ex-élus et nos responsables locaux n’assure guère le bien-être ni le bien-faire.  

Il faut dire que la beauté et l’utile ne font plus partie des mœurs de nos décideurs, et même de nous-mêmes, alors que l’agréable a perdu son sens littéraire. 
 

Le côté économique du quartier est une autre paire de manches, il est trop terne pour en parler plus sérieusement. 

La conserverie de poissons est à l’arrêt, à la ruine, elle est mitoyenne avec le port de pêche séparée par un pont comparable à celui du pont d’Avignon. Nos saints ou marabouts de leurs sépulcres du haut de leurs falaises nous reprochent l’oubli, la platitude, la carence de nos nobles valeurs culturelles, économiques et sociales. 
 

Les fêtes (El Ouadis) annuelles, actuellement on revit la même fête avec la même joie et le même style social, économique.... ou «Ouaada de Sidi Boucif» suivie d’une autre «Ouaada de Sidi Brik», et une troisième «Ouaada de Sidi Mohamed Bel Meddah», elles sont animées par la fantasia (course de chevaux et baroud), des troupes d’«El Gallal», de «Aissawa», du couscous servi à gogo pour tout venant....Le secret et l’énigme du saint «Wali» ou Marabout demeurant dans leurs tombes et qui sont situées sur le sommet de chaque falaise, chaque montagne est traversée par un ex-oued, les marabouts s’imposent aujourd’hui par leurs fêtes «Ouaadi». Je préfère laisser les historiens faire la lumière sur cette légende un peu trop mystérieuse. En fait le quartier de la plage fait partie de cette péripétie légendaire.

 

* *RACHID : Rachid Baba Ahmed dit Rachid Baba, né le 20 août 1946 à Tlemcen et assassiné le 15/02/1995 à Oran, avec son frère, il formait le célèbre duo Rachid et Fethi.
 

 

Par Benallal Mohamed , Actuel maire de Benisaf

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