L’année du soixantième anniversaire de l’accès à l’indépendance sera jalonnée de haltes historiques commémorant le combat des Algériens pour le recouvrement de la souveraineté nationale.
Des moments privilégiés de ressourcement patriotique et de réappropriation de l’histoire du pays après que des épreuves post-indépendance aient fait vaciller bien des repères et entravé le long cheminement vers l’émancipation dans ses dimensions politique, économique et sociale. Ce travail de préservation de la mémoire est la pierre angulaire dans la construction d’un destin national. Même quand des institutions, comme celle de l’éducation, ont failli ou connu des moments de flottement dans cette tâche, le legs historique a été perpétué et porté dans les moindres localités du pays, où le souvenir des sacrifices passés ne s’est jamais estompé.
Entre la célébration des luttes victorieuses et l’accomplissement des aspirations populaires, la jonction n’a pas atteint sa phase concrète. Dans l’ambitieux chantier d’édification nationale, la case des bilans a toujours manqué et régulièrement été occultée, compromettant le progrès et ajournant la perspective de développement, le but ultime des aînés qui s’étaient soulevés contre le joug colonial. Soixante années après le recouvrement de l’indépendance nationale, le moment est sans doute venu de mettre fin à la série des désillusions, des échecs retentissants et des rendez-vous manqués avec l’histoire en perpétuel mouvement.
Chaque décennie a eu son côté sombre, parfois noir, et laissé son lot de traumatismes à des jeunes générations qui ne demandaient qu’à «vivre» la paix retrouvée et chèrement payée. Précocement institutionnalisée, il y a près de 20 ans, à l’effet de dépasser une période tragique de l’histoire récente, la réconciliation nationale n’aura servi que comme écran de fumée à une entreprise de dilapidation des richesses et de corruption jamais imaginée, et qui ne finit pas de livrer ses facettes les plus scandaleuses et les plus atterrantes à une opinion publique qui était prête à accompagner une gouvernance arborant une apparence libérale et magnanime.
Ce grand dérapage qui avait culminé en faisant entrer des «forces anticonstitutionnelles» au cœur du pouvoir avait été rendu possible par un système qui reposait intégralement sur la rente issue de la vente des richesses du sous-sol. Cet engrenage infernal avait, auparavant, sacrifié des terres hautement agricoles pour ériger des complexes industriels très vite laminés par l’ouverture débridée à l’importation. Les équipes dirigeantes successives ont rivalisé de discours politiques qui avaient la faculté commune d’éluder la vérité, de faire miroiter des objectifs de développement qui ne seront hélas jamais atteints.
Quand le retour de manivelle survient avec fracas, sous la forme de fournées de jeunes candidats à l’exil, ou de tensions inattendues sur des produits de consommation de base, la remise en cause des gestions passées et en cours prend les contours d’une exigence vitale et incontournable. L’avenir sera conçu avec sérénité et succès quand la culture du bilan sera intégrée dans le mode de gouvernance et accompagnera celle de la mémoire et du souvenir.