La Knesset votera aujourd’hui l’interdiction de la présence de l’agence L’Unrwa, ce témoin gênant.
Sans précédent, le Parlement israélien (Knesset) devra voter aujourd’hui deux lois de mise à mort de l’Unrwa, l’Agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, lui interdisant de franchir les points d’accès à Ghaza, en Cisjordanie occupée et d’intervenir en Israël. Devenue le témoin gênant de la guerre génocidaire menée depuis plus d’une année et de la politique d’apartheid adoptée par la puissance d’occupation depuis près de 70 ans, cette agence onusienne, qui aide les Palestiniens à survivre au désastre humanitaire à Ghaza mais aussi en Cisjordanie occupée, au Liban, en Jordanie et en Syrie, où se concentrent la population réfugiée en attendant le retour à leur terre, a été la cible de violentes critiques de la part d'Israël qui en fait un ennemi à abattre depuis des années.
Une décision qui a suscité, hier, la réaction de sept pays, le Canada, l’Australie, la France, l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et le Royaume-Uni, dont les ministres des Affaires étrangères ont publié un communiqué commun dans lequel ils ont exhorté le gouvernement israélien «à respecter» ses «obligations internationales, à préserver les privilèges et immunités de réserve» de l’Unrwa et «à assumer sa responsabilité de faciliter une assistance humanitaire complète, rapide, sûre et sans entrave sous toutes ses formes, ainsi que la fourniture des services de base dont la population civile a cruellement besoin».
Dans cette déclaration, les chefs de la diplomatie des sept pays ont exprimé leur «profonde» préoccupation «face à la législation actuellement examinée par la Knesset, qui vise», selon eux, «à révoquer les privilèges et immunités» de l’agence onusienne et à lui «interdire tout contact avec les responsables de l’Etat israélien et toute présence» dans les Territoires occupés.
«L’Unrwa fournit une aide humanitaire essentielle et vitale ainsi que des services de base aux réfugiés palestiniens à Ghaza» dans les Territoires occupés «à Al Qods et en Cisjordanie» et dans «toute la région (…). Sans son travail, la fourniture de cette assistance et de ces services, notamment l’éducation, les soins de santé et la distribution de carburant à Ghaza et en Cisjordanie, serait gravement entravée, voire impossible, avec des conséquences dévastatrices sur une situation humanitaire déjà critique et en rapide détérioration, en particulier dans le nord de Ghaza».
Washington a exprimé son «inquiétude»
Les ministres des Affaires étrangères ont jugé «crucial» que «l’Unrwa et les autres organisations et agences des Nations unies soient pleinement en mesure de fournir une aide humanitaire et leur assistance à ceux qui en ont le plus besoin, en remplissant efficacement leur mandat». Une réaction qui se veut une interpellation officielle des sept Etats, dont des alliés d'Israël, comme l’Allemagne, la France ou encore le Royaume-Uni.
Le premier projet de loi, présenté par deux députés, porte sur l’interdiction faite aux autorités israéliennes d’avoir tout contact avec l’agence onusienne, et le second, également élaboré par un député, prévoit la révocation de l’échange de note de 1967, sur la base duquel l’agence intervenait et, de ce fait, bannir toutes ses activités sur les territoires israéliens et ailleurs en Territoires occupés et à Ghaza, où Israël contrôle les points de passage et le long corridor de Philadelphie, reliant l’enclave à l’Egypte.
Pour le journal israélien The Times Of Israel, «une coalition forte de 68 membres devrait endosser ces deux projets de loi, sans compter plusieurs autres de l’opposition». Les autorités israéliennes avaient accusé l’agence onusienne d’avoir dans ses rangs 12 employés «en lien avec le terrorisme» et de dispenser dans les écoles qu’elle administre «un enseignement qui incite à la haine d’Israël et encourage le terrorisme».
Des accusations qui ont entraîné la suspension de financements par plusieurs pays donateurs, à leur tête les Etats-Unis, avant que bon nombre d’entre eux reviennent sur leur décision, à l’exception de Washington, qui a banni l’Unrwa de ses financements jusqu’en 2025, par un texte de loi. Cependant, aussi bien l’enquête interne que celle indépendante, dirigée par l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, ont blanchi l’agence. Aucune preuve n’a été présentée par Israël pour étayer ses accusations contre l’Unrwa, présentée d’ailleurs par l’enquête indépendante de l’Onu comme «irremplaçable et indispensable» aux Palestiniens, tout en reconnaissant «des insuffisances» mais «pas de failles majeures». La presse israélienne a repris, hier, les propos de nombreux députés qui plaident pour une législation contre l’Unrwa. Certains ont carrément ont demandé que l’agence soit qualifiée, par une loi, d’organisation terroriste, avant que le projet de loi ne soit écarté par la Knesset.
Pour le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, a qualifié de «catastrophe» l’adoption des deux projets de loi, prévue aujourd’hui, alors que le chef de la politique extérieure de l’Union européenne, Josep Borell, a estimé qu’elle «aurait des conséquences désastreuses». Même Washington, un puissant allié d'Israël, a exprimé son «inquiétude» devant l’adoption d’un tel texte à travers une lettre signée conjointement par le secrétaire d’Etat Antony Blinken et le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, et adressée, en début de la semaine dernière, aux ministres de la Défense Yoav Gallant et des Affaires stratégiques Ron Dermer, où ils affirment que de telles restrictions auraient un effet épouvantable sur l’action humanitaire à Ghaza et sur la fourniture de services vitaux à Al Qods (Jérusalem-Est). Mais, faut-il le rappeler, les violentes critiques d'Israël à l’égard de l’Unrwa ne datent pas des attaques du 7 octobre 2023.
«Même si l'Unrwa disparaît, le statut de réfugié demeure»
Trois mois avant, soit le 27 juillet 2023, son ambassadeur déclarait, devant le Conseil de sécurité : «Lorsque l’Onu et la communauté internationale promeuvent une agence et préservent la composante de réfugiés et leur identité, près d’un siècle après le début du problème, alors tout ce qui est accompli est la perpétuation du conflit. L’Unrwa continue de nourrir le peuple palestinien d’un mensonge, que le monde soutient son droit au retour, que tant que les réfugiés d’origine ainsi que leurs enfants, petits-enfants et arrières-petits-enfants ne sont toujours pas retournés d’où ils viennent, ils seront exclus de la société et resteront à jamais considérés comme des réfugiés.»
Il va plus loin en mettant en garde : «Soyons clairs. Le droit au retour n’existe pas. Vous le savez tous. La demande de retour de millions de descendants de réfugiés est la demande d’oblitérer le droit du peuple juif à l’autodétermination. Cela n’arrivera jamais. Aussi, si l’objectif de ces réunions est de lever les obstacles à la résolution de ce conflit, alors voici l’un des obstacles les plus fondamentaux : la perpétuation du statut de réfugiés palestiniens à la fois par l’autorité palestinienne et malheureusement par cette agence de l’Unrwa.»
L’objet d'Israël a été clairement expliqué devant le Conseil de sécurité et les responsables de l’agence onusienne le savaient. Mais selon le commissaire de l’Unrwa, Philippe Lazzarini, «tant qu’il n’y aura pas de solution politique au conflit israélo-palestinien qui dure depuis des décennies, il n’y aura pas d’alternative à l’Unrwa et aux services qu’elle fournit, étant donné sa capacité, sa compréhension du tissu social, sa main-d’œuvre et sa crédibilité (…)». Bien plus. Lazzarini a averti que «même si l'Unrwa disparaît, le statut de réfugié demeure.
Politiquement, ces personnes conservent toujours leur statut de réfugiés. Cela ne disparaîtra pas parce que l’Unrwa s’en va». En fait, pour Israël, l’Unrwa est devenue, non seulement un témoin gênant du génocide et de l’épuration ethnique qu’il mène à Ghaza, mais aussi une présence qui rend difficile, voire impossible le plan de déportation forcée de la population civile. Un plan que l’entité sioniste a toujours défendu devant l’Onu et qu’elle tente d’exécuter par des ordres de déplacement forcé, par la famine et par les bombardements et les frappes ininterrompus depuis plus d’une année contre l’enclave, mais aussi l’exclusion et le système d’apartheid en Cisjordanie occupée.
En octobre dernier, les membres du Conseil de sécurité de l’Onu, y compris les USA, ont mis en garde Israël contre le bannissement, par deux projets de loi, des activités de l’Unrwa en Israël et dans les Territoires qu’il occupe. «Plus de 650 000 enfants perdraient tout espoir de reprendre leurs études et une génération entière serait sacrifiée.
En Cisjordanie, l’éducation, les soins de santé primaires et l’aide d’urgence à des centaines de milliers de réfugiés palestiniens seraient interrompus», avait prévenu Philippe Lazzarni le Conseil de sécurité, en précisant que «la législation de la Knesset viole les obligations d’Israël en vertu de la Charte des Nations unies et du droit international. Sur le plan politique, la législation anti-Unrwa, qui fait partie d’une campagne plus large visant à démanteler l’agence, cherche à priver les Palestiniens de leur statut de réfugiés et à modifier – unilatéralement – les paramètres d’une future solution politique».
Et d’ajouter : «Ces attaques constituent un grave précédent pour d’autres situations de conflit où les gouvernements pourraient vouloir éliminer une présence gênante des Nations unies. Elles ne visent pas seulement l’Unrwa, mais toute personne ou entité appelant au respect du droit international et à une solution politique pacifique.
Ne pas s’opposer aux tentatives d’intimidation et d’affaiblissement de l’Onu dans les Territoires palestiniens occupés finira par compromettre le travail humanitaire et de défense des droits de l’homme dans le monde entier.»