La Kafrado, un nouveau départ : Entre histoire et fiction, une palpitante aventure

11/10/2023 mis à jour: 17:04
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Kafrado, un nouveau départ, 206 pages, 750 DA, Casbah Éditions

Pour la relater, elle s’offre les services d’une aventurière qui s’y rend afin d’entamer une nouvelle vie en cet alléchant Eldorado que décrivaient les marins faisant escale en sa déshéritée Sicile. Plébéienne réduite contre son gré à l’état d’esclave sexuelle, elle vient de s’en extraire par une manigance vengeresse, gagnant une fortune et s’adjugeant, grâce à de vrais-faux papiers, un titre de noblesse et un nom kilométrique afin de mieux mystifier ses protagonistes à venir. 
 

Après cette mise en appétit, et osant plus franchement la fiction, cette Signora Francesca Erina Giovana Da Casas a Castelli est doublée par une deuxième narratrice. Et qui choisit Malika Chitour Daoudi pour cela ? Tout bonnement une autre esclave, celle-là ramenée d’Afrique, que la hardie Francesca a acheté aussitôt qu’elle avait été débarquée d’un navire négrier. Elle en fait son amie et son indispensable second dans son intrépide entreprise.

 Ainsi, ne se contentant pas d’un seul contournement pour se faire habilement oublier et mieux asseoir sa narration, leur donnant la parole à sa place, l’auteur évite le piège de la tentation d’un discours nationalitaire ou son pendant révisionniste pour rendre compte du pays et de l’époque. Petit détail piquant, l’auteure révèle involontairement, comme par un lapsus, une contradiction qui altère l’image voulue aimable de son iconoclaste comtesse. En effet, cette dernière attribue le nom de Dorato à son «esclave» qui, avant sa capture en l’actuel Mali, en avait bien pourtant un. Il suffisait que la contessa le lui demande pour lui faire ainsi retrouver la totalité de son humanité. 

Ce qu’elle ne fait pas. La romancière arrive cependant à gommer cet impair en fournissant de son personnage principal d’avantageux atours, en particulier ce regard qu’elle a sans mépris à l’endroit des «indigènes» et que son comportement empathique tranchant avec ceux des colons européens débarqués par la colonisation française. Elle l’explique commodément par une confidence qui lui est prêtée : «L’amour dont ma mère m’a enveloppé m’a forgée et donné de l’assurance et de la force. La bienveillance dont elle faisait preuve envers autrui m’a permis de voir les gens sous un autre angle». 

D’autre part, si elle s’est sentie instantanément proche des autochtones, est-il indiqué, c’est parce leur situation lui rappelait la sienne en sa Sicile «où les nobles sont chez eux et nous pauvres serfs, corvéables à volonté, sommes à leur merci». Ainsi, armée de ces généreuses convictions, avait-elle quitté sans regret cette terre de Sicile qu’elle a «haïe» et qui lui a plus «pris que donné». En Algérie, dans la région de l’ex-Bône, elle est sans concession avec les fourbes et cruels colons qui comptent lui barrer le chemin de sa promotion ainsi qu’ils le font avec les indigènes et même ceux des leurs qui ne comptent pas. 
 

Face à leur malfaisance, Francesca n’est pas désarmée, elle jouit de la sympathie et de la solidarité agissante des autochtones qui ont vu en elle une des leurs, ce qui nourrit les ressorts de l’intrigue. Il y a de l’action et des rebondissements mais qui sont loin d’être gratuits, puisqu’ils témoignent mieux que mille discours d’une période sombre de l’histoire nationale. Le récit qui s’est engagé résolument dès les premières pages, happant fermement le lecteur dans ses méandres, se poursuit, soutenu en cela par un style alerte, celui qui sied au genre, alternant avec fluidité les phrases courtes et celles plus légèrement étendues. 
 

Néanmoins, dans les derniers chapitres, échappant aux rets du contexte historique, il s’accélère davantage pour dépendre plutôt des faits des personnages, la progression de l’intrigue se traduit par une avalanche de coups de théâtre se concluant par un mélodramatique deus ex machina. 

Prix littéraire de l’université des Frères Mentouri, Constantine, Kafrado est un roman qui se lit bien.
 

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