La gastronome Yasmina Sellam à la librairie l’Arbre à dire à Alger : A la découverte de l ’histoire de la gastronomie algérienne

16/05/2022 mis à jour: 03:21
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Photo : D. R.

Yasmina Sellam a présenté, samedi dernier, son ouvrage intitulé Mémoire culinaire de l’Algérie, histoire de recettes à la librairie l’Arbre à dire à Alger.

Publié aux éditions ANEP à l’occasion de la tenue 25e Salon international du livre d’Alger, ce beau livre de 119 pages se décline sous la forme d’un voyage culinaire, historique et géographique. Cette passionnée de gastronomie algérienne explique la raison de l’écriture de son ouvrage.

Ce dernier, selon l’auteure, répond à des questionnements que tout Algérien s’est posé sans savoir où il allait trouver la réponse. Yasmina Sellam avertit que sa publication n’est pas un livre de recettes. «Il s’agit d’un livre basé sur des faits d’histoire, pour nous éclairer sur notre alimentation passée et sur les raisons de sa particularité actuelle», dit-elle.

Cette universitaire à la retraite donne à ses lecteurs quelques recettes avec leurs compositions. Elle est certaine qu’en analysant les ingrédients de ces recettes, on s’approprie notre histoire et notre géographie.

A la question du pourquoi de ce livre, elle rappelle qu’elle est de formation ingénieur agronome. Quand elle était jeune étudiante, son père l’obligeait à voyager au moins deux fois par an. Il lui arrivait d’aller dans certains pays, même arabes, qui ne savaient même pas ou se trouve l’Algérie.

«Ils connaissent la Tunisie, le Maroc mais ils ne connaissent pas l’Algérie. Et là, c’était la frustration. Je me disais mais pourquoi l’Algérie n’est pas connue. Ceux qui la connaissent vous disent, c’est le pays d’un million et demi de martyrs. Oui, je veux bien, mais il n’y a pas que cela.

On est aussi fiers de notre patrimoine, de notre histoire, de notre variété dans la population». Yasmina Sallam note que ces dernières années, l’Algérie est écartée des classements mondiaux, des grandes cuisines et des manifestations internationales alors que notre pays peut avoir les meilleures places.

C’est dans cet esprit là qu’elle s’est dit qu’il fallait écrire cet ouvrage pour laisser une trace et défendre notre patrimoine. Sur la même lancée, elle précise que ce livre n’a pas été écrit pour les étrangers.

Elle l’a d’abord écrit pour les Algériens car depuis qu’elle s’occupe de gastronomie et de cuisine, et même avant quand elle ne soit enseignante à l’université, elle s’était rendu compte que les Algériens ne connaissaient pas leur histoire dans toutes ses disciplines.

Elle considère que Mémoire culinaire de l’Algérie, histoire de recettes représente une base pour que ces jeunes Algériens se réapproprient leur histoire, et ce, dans tous les domaines.

Gastronomie algérienne

Elle avoue que quand elle s’est intéressée à l’histoire de la gastronomie algérienne, elle n’a pas trouvé un seul auteur algérien qui se soit intéressé à l’histoire. «Dans les universités du monde, éclaire-t-elle, il y a de nouvelles disciplines qui existent et qui sont l’histoire de l’alimentation. Que mangeait l’homme ? Et que mange-t-il maintenant ? J’ai vu des livres académiques en Tunisie, en France, mais chez nous, il n’y a aucun livre qui parle de notre alimentation».

Toujours selon notre oratrice qui parle avec passion de son sujet, tout livre de recette est muet du point de point de l’histoire. «Vous avez un plat et vous ne savez même pas d’où il vient. Vous avez les ingrédients et vous avez la préparation. Je me suis retrouvée dans un désert pour parler de l’histoire de la gastronomie algérienne. Il a fallu chercher. Le domaine de la gastronomie n’a pas intéressé les historiens depuis longtemps».

Elle donne un exemple d’une recette trouvée dans le recueil de Diwan al-Mutanabi, poète arabe appartenant à la tribu Kinda, né en 915 à Kufa et mort assassiné en 965 près de Dayr al-Akul au sud-est de Bagdad. Dans ce recueil en question, elle est tombée sur une recette qu’on retrouve en Algérie dans une région à Ténès. Il s’agit du poisson au miel.

«Quand j’ai lu certains livres de l’histoire de la gastronomie, vous voyez surtout les Européens qui vous parlent du poisson au miel, créé par de grands chefs. Il n’a pas été crée par leurs chefs. Cette recette existait bien avant. Il y a beaucoup de recettes que les Européens fixent sur une période de données.

Les Européens ne veulent pas aller au-delà du XVe siècle. Pourquoi ? Parce que le XVe siècle, c’est la Renaissance. Ils ne veulent pas que nous nous rendions compte que leur gastronomie est basée sur la gastronomie musulmane. Celle-ci a servi de base à cette grande gastronomie actuelle européenne.

Notre rôle à nous, c’est de défendre la gastronomie algérienne et toute la gastronomie qui a été la base de la nôtre, parce qu’historiquement, nous sommes assimilés à la culture et à la gastronomie orientale. Celle-ci a fait partie pendant des siècles de notre vie, depuis les premières conquêtes musulmanes jusqu’à l’arrivée des Français», explique-t-elle.

Yasmina Sellam a surtout écrit ce beau livre pour ceux qui sont sur les bancs des universités et pour ceux qui veulent retrouver un document de référence. «Ce n’est pas parce que je l’ai écrit pour des étudiants qu’il n’y a que les élites qui peuvent le lire», lance-t-elle. Notre interlocutrice revient sur les guerres de revendications concernant la paternité du couscous.

«Quand vous partez à l’étranger, il y a des personnes qui vous disent quel est votre plat national, et vous dites le couscous. Ils nous disent que c’est le plat national marocain.

On est obligé de dire nous aussi, nous avons le couscous. Pourquoi est ce qu’on doit expliquer cela à chaque fois. Cela me fait mal. Je ne veux pas dire aussi, c’est notre plat national, surtout que je raconte l’histoire algérienne de notre couscous.

La terre d’Algérie a fait beaucoup pour le couscous. Il est de loin supérieur à ce qu’à fait le Maroc ou la Tunisie. Nous devons connaître cette histoire. Il faut que nos jeunes sachent que le premier paquet de couscous conditionné est sorti d’Algérie. La première rouleuse mécanique a été fabriquée en Algérie.

La première soufflerie pour sécher le couscous a été, aussi, faite en Algérie et la première médaille qu’un couscous ait eue a été décernée à un Algérien. Le couscous a été exporté à travers la terre d’Algérie.

C’est l’Algérie qui lui a donné sa dimension internationale. Donc, il faut qu’on soit fier et il faut qu’on sache le dire», étaye-t-elle sur un ton digne. Elle poursuit en disant que les recettes font le tour du monde avec l’homme qui se déplace.

Elles évoluent. Elles changent de forme et elles appartiennent à ceux qui les préparent. Pour sa part, elle ne cherche jamais la date ou le lieu de naissance d’une recette. Ce qui l’intéresse, c’est que nous en avons fait.

Pour être allée dans certaines écoles de formation en gastronomie, Yasmina Sellam constate avec regret que les programmes de nos écoles de formation sont totalement démunis de la grande cuisine algérienne.

«C’est grave pour nous, même l’école de gastronomie Lechra, les chefs sont des Tunisiens et des Marocains. Il y a une anomalie quelque part», assène-t-elle. Il est à noter que Yasmina Sellam a ouvert sa table d’hôtes en 2011, après sa mise à la retraite, avec pour objectif essentiel de faire connaître la cuisine traditionnelle algérienne.

Après la publication de ce beau livre, l’auteure promet à ses lecteurs un second ouvrage consacré au Qalb el louze, à la rechta, au m’helbi, au bounarine ou encore la koutamia. 

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