Le Darfour abrite environ un quart de la population du Soudan, mais plus de la moitié de ses 10 millions d’habitants sont déplacés.
Plus de 100 personnes ont été tuées lundi dans un bombardement de l’armée sur un marché bondé au Darfour-Nord, dans l’ouest du Soudan en partie contrôlé par les paramilitaires, a affirmé hier un groupe d’avocats soudanais, cités par l’AFP. La frappe meurtrière, que l’armée nie avoir menée, a eu lieu à Kabkabiya, à environ 180 kilomètres à l’ouest d’El Facher, la capitale du Darfour-Nord, assiégée depuis mai par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), a précisé dans un communiqué l’organisation Emergency Lawyers.
Ce groupe d’avocats prodémocratie documente les atrocités commises depuis le début, il y a 20 mois, de la guerre entre l’armée régulière et les FSR. Un conflit qui a fait des dizaines de milliers de morts et plus de onze millions de déplacés, et nourrit l’une des pires crises humanitaires récentes, selon l’ONU.
«Le bombardement a eu lieu le jour de marché hebdomadaire de la ville, où des habitants de divers villages voisins s’étaient rassemblés pour faire leurs courses», et a provoqué la mort «de plus de 100 personnes» et blessé «des centaines d’autres, y compris des femmes et enfants», selon l’organisation. «Les raids (de l’armée) se concentrant délibérément sur des zones résidentielles densément peuplées», dénoncent-ils.
L’armée soudanaise a nié de son côté avoir mené cette attaque, dénonçant dans un communiqué des «mensonges» répandus par les partis politiques qui soutiennent les FSR, et ajoutant qu’elle continuerait à «exercer son droit légitime à défendre le pays». Sur des images vidéo et présentées comme tournées sur le marché après le bombardement, on voit des gens fouiller dans les décombres, tandis que les restes carbonisés d’enfants gisent sur un sol brûlé.
Ces images ont été fournies par un groupe de la société civile, la Coordination générale du Darfour pour les déplacés et réfugiés. Emergency Lawyers a également déclaré qu’à Nyala, capitale du Darfour-Sud et deuxième ville la plus peuplée du Soudan, des «frappes aériennes aveugles» avec barils explosifs ont visé trois quartiers, sans faire état de victimes.
Ces diverses attaques font partie d’«une campagne d’escalade continue, qui contredit les affirmations» de l’armée disant que ses frappes aériennes «visent uniquement des objectifs militaires, les raids se concentrant délibérément sur des zones résidentielles densément peuplées», dénoncent les avocats.
Situation préoccupante
Le Darfour abrite environ un quart de la population du Soudan, mais plus de la moitié de ses 10 millions d’habitants sont déplacés. En juillet, un rapport soutenu par les Nations unies a indiqué que la famine a gagné un grand camp de réfugiés du Darfour-Nord après un siège de plusieurs mois des FSR qui a bloqué la quasi-totalité des échanges commerciaux et de l’accès à l’aide.
Emergency Lawyers a récemment fait état de plusieurs incidents dans le pays, dont le crash d’un drone non identifié le 26 novembre au Kordofan-Nord, dans le centre du Soudan, qui a tué six personnes. L’armée régulière, conduite par le général Abdel Fattah Al Burhane, et les FSR de son ancien allié et adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo, ont été accusés de viser délibérément des civils et de bombarder sans discernement des zones résidentielles depuis le début du conflit qui les oppose, en avril 2023.
Hier, l’ONG Human Rights Watch a accusé les FSR et leurs alliés de milices arabes d’avoir commis de nombreuses exactions contre des civils dans l’Etat du Kordofan-Sud entre décembre 2023 et mars 2024. HRW a dénoncé les «crimes de guerre» de ces groupes, notamment des «meurtres, viols et enlèvements de résidents de l’ethnie Nuba», ainsi que des pillages et de destructions de maisons, et exhorté les Nations unies et l’Union africaine à déployer une mission pour protéger les civils au Soudan.
De son côté, l’ONU a exprimé son «inquiétude» quant à l’afflux chaque jour au Soudan du Sud de milliers de personnes qui fuient les nouvelles violences au Soudan voisin. «La semaine dernière, plus de 20 000 Soudanais» ont quitté leurs villages frontaliers et traversé la frontière vers le Soudan du Sud, a souligné une porte-parole du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, Olga Sarrado, lors d’un point de presse. C’est «trois fois plus que les semaines précédentes», a affirmé la porte-parole à Genève et «depuis samedi, on estime qu’il y a entre 7000 et 10 000 nouveaux arrivants chaque jour».
Parmi eux figurent également des réfugiés sud-soudanais qui quittent les camps de l’Etat du Nil Blanc au Soudan, où ils résidaient. Ces derniers mois, l’armée soudanaise a avancé vers Khartoum depuis la ville voisine d’Omdourman pour tenter de reprendre le contrôle de la capitale. Si Joda reste le principal point de passage frontalier, de nombreuses personnes traversent également la frontière via des points de passage informels qui sont extrêmement difficiles d’accès pour le HCR et ses partenaires.
L’activité militaire et la tension accrue au poste-frontière de Joda avec le Soudan du Sud «sont également très préoccupantes», a indiqué Mme Sarrado, rappelant que ce point de passage crucial entre le Soudan et le Soudan du Sud est «une bouée de sauvetage vitale pour les civils fuyant la violence et pour les opérations humanitaires dans l’Etat du Nil blanc». Et d’ajouter : «Il est essentiel de le maintenir ouvert et sécurisé pour ceux qui recherchent la sécurité et pour fournir une aide d’urgence aux populations déplacées des deux côtés de la frontière.»
A la suite de l’escalade des hostilités, de nombreux réfugiés ont quitté les trois camps les plus touchés, certains se dirigeant vers le Soudan du Sud et d’autres traversant le Nil vers les sept camps qui restent épargnés, précise le HCR. L’Etat du Nil Blanc accueille plus de 400 000 réfugiés sud-soudanais dans 10 camps de réfugiés et plus de 650 000 Soudanais déplacés qui ont fui le conflit dans d’autres régions du pays, rappelle le Haut Commissariat.