Qui a détruit le barrage de Kakhovka ? Russes et Ukrainiens se rejettent violemment l’accusation depuis 48 heures, à grand renfort de déclarations et de contre-déclarations.
L’acte, considéré comme un crime de guerre selon la législation internationale des conflits armés, dans la mesure où il s’agit de la destruction d’une infrastructure civile, réunit cependant les deux parties sur le fait que ce soit un épisode d’une extrême gravité qui doit être vivement condamné. Il sera difficile de connaître un coupable tout de suite, comme il a été pratiquement impossible de situer des responsabilités sur d’autres faits de guerre depuis le début du conflit.
La communication est un autre champ de bataille où la confrontation est aussi acharnée que décisive, et il semble que cela va s’accentuer au fil de l’évolution du conflit. L’enjeu concerne d’abord les opinions en Ukraine et en Russie, le moral des troupes dans les deux camps respectifs, ensuite l’image des deux parties et des blocs de soutien que la portée stratégique de la confrontation ne peut laisser sur la neutralité.
Les belligérants s’interdisent peu de choses pour brouiller les pistes, marquer les esprits, influencer les opinions, les institutions internationales et les Etats, qui plus est à l’ère de l’hyper-communication et l’éventail infini que permettent les nouvelles technologies et la mise en réseau de la planète.
Le déplacement surprise de Volodymyr Zelensky à Djeddah, et sa prise de parole devant les souverains et chefs d’Etat arabes en mai dernier, est un acte à mettre à l’actif d’une stratégie de communication que développe Kiev sous la houlette de son jeune et atypique Président, et bien entendu grâce à la précieuse inspiration de ses alliés occidentaux. Zelenesky a pris la parole et a repris l’avion sans demander son reste, se suffisant de cette tribune offerte pour défendre le point de vue de son pays.
Sur la symbolique, l’opinion internationale est donc invitée à noter que le dirigeant ukrainien est à l’offensive, sûr de ses moyens et capable de marquer des points sur le plan diplomatique, et sur des terrains peu favorables. L’homme, qui a opté pour le port vert kaki deux jours après les premiers tirs d’obus contre son pays, qui s’est même montré en tenue et armes de combat dans les rues de Kiev, sait jouer sur les codes de l’époque, manier les Instagram et Facebook pour diffuser l’image du leader moderne.
Tout l’opposé du Kremlin qui reste fidèle à une conception solennelle et austère de l’image, censée souligner la puissance et la fermeté. Vladimir Poutine cultive volontiers une réputation d’homme d’action froid, peu porté sur les discours et les démonstrations populaires. Quand les Occidentaux parlent de «dictateur», en évoquant l’homme fort de Moscou, celui-ci sourit et semble même en tirer profit pour asseoir son image de meneur intraitable d’une nation ayant le statut de puissance mondiale qui tient à se faire craindre et respecter.
Les arguments défensifs du Kremlin, face aux visées expansionnistes de l’Otan, sont souvent étouffés par la puissance médiatique occidentale, qui convoque des valeurs comme les droits de l’homme, la souveraineté nationale et la démocratie pour diaboliser la Russie. C’est ce qui arrive depuis 48 heures.
Le Kremlin a beau hurler que la destruction du barrage, sous son contrôle depuis une année, est un crime contre l’environnement qu’il ne peut avoir commis, qui ne travaille même pas l’intérêt tactique de ses troupes sur le terrain… Kiev et ses soutiens occidentaux répondent «crime de guerre» qui doit être imputé à la Russie.
Mais il y a parfois des exceptions. Le tout américain Washington Post vient de publier un rapport, accusant directement les forces spéciales ukrainiennes d’être derrière les actes de sabotage qui ont endommagé la paire de gazoducs Nord Stream, exploitée par une compagnie détenue à 51% par la Russie et à 49% par l’Allemagne. Là aussi, Kiev nie toute implication et dénonce une manipulation russe. Qui croire ?