La chronique littéraire / Toute la beauté du monde

29/06/2024 mis à jour: 00:10
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Dans un monde où nos yeux ont du mal à voir, pour nos cœurs, la beauté qui nous entoure, les livres sont souvent les dépositaires et les vecteurs de celle-ci. 

En effet, la beauté du monde trouve refuge dans les mondes livresques, nous offrant, le temps d’une lecture mais aussi l’étendue d’une empreinte, l’admirable spectacle des matins légers à la claire lumière, du majestueux midi  à la couronne étincelante et du soir à la douceur évanescente. Tant et si bien, qu’en nous, tout temps et espace s’en trouvent transfigurés, touchés par la grâce.

 Une grâce qui, pourtant, commande que nous puissions nous y prêter, comme l’eau qui coule, sous peine de se perdre, exige un réceptacle. Et c’est là que l’autre beauté, celle des valeurs, des grandes idées, qui, toujours, nous sauvent de la petitesse des hommes et de l’étroitesse des contingences, se manifeste à nous, au travers des grandes œuvres. 
 

Grandes non pas par le succès, la renommée ou les volumes successifs, mais bien par leur capacité, même accessoire, à manifester ce que peut penser et faire de beau l’humain, fut-il et c’est le cas, un personnage, une intrigue, une simple scène, une réplique shakespearienne, un titre de Mammeri porté à l’écran ou, même, un vers libre, sans mètre, sans rimes et sans strophes.

 Il suffit d’un mot pour donner du sens, car pour paraphraser Eluard, «par son pouvoir, on recommence sa vie» et on peut y voir ce que l’existence et les uns et les autres nous ont empêché de connaître et de nommer  la liberté, mère de toute valeur, la droiture, le respect, l’entraide, l’engagement, la bienveillance et tant d’autres belles choses, que le monde actuel tente de brouiller mais que les livres s’attachent à sauvegarder et à illustrer. 

La beauté du monde n’est plus alors, celle d’un paysage dit romantique, d’un moment ou d’une œuvre d’art, mais celle de l’usage que nous en faisons et du mérite que nous avons à en être dignes. Un devoir de dignité, qui, quelque peu au contraire de ce qu’entend la locution Savant avec le livre, s’apprend aussi dans les livres et pas seulement dans les plus doctes, mais aussi dans chaque roman, chaque récit et chaque poème à la mesure de ce devoir, à hauteur d’une humanité née libre et qui pourtant se trouve réduite en esclavage, par la haine et l’anathème, le diktat des plus forts, la bêtise colportée et la paupérisation intellectuelle dont les sociaux réseaux sont le reflet. 

Les livres, dans leur diversité de points de vue, ont cette capacité d’expliquer le monde et d’en faire valoir, pour celui qui sait voir le meilleur, retrouvant en les mots la signifiance première, celle de Dieu les apprenant à Adam, dans un contexte premier réunissant, justement, la liberté de penser, de discerner, que les anges ne possédaient pas et la dignité subséquente de l’être, d’être, que le divin a consacré en ordonnant qu’on se prosterne devant le premier humain dont la «beauté» excita déjà la jalousie maléfique. 

Une jalousie toute maléfique, diabolique, qui, en ce mois de juin se remémore à nous, quand on pense à ceux qui en furent victimes dans les funestes années, qui virent un révolutionnaire chevronné, un écrivain de rupture et un barde rebelle, Boudiaf, Djaout et Matoub, tous trois maîtres des mots, chacun à sa manière,  hideusement tomber sous les balles assassines. La nuit a peur du soleil observait, sentencieux le titre du film de Mustapha Badie et le soleil est, ici, le dévoilement de vérité dont chaque livre d’intelligence est porteur, car chaque ouvrage est d’abord l’expression d’une pensée révélant la beauté, construisent le récit dont on a besoin et chassant la laideur qu’est la fausseté. La fausseté n’a-t-elle pas pour vocation de succomber ? 

Par la beauté des mots, par la littérature et sa portée signifiante, se révèle la beauté intelligible du monde et s’exprime la beauté des valeurs et des principes, se constituant en vérité, non pas tant intangible et sans conteste, qu’authentique, sincère et plurielle. La beauté oubliée, négligée, cachée, niée ou méprisée, prisonnière de l’injustice, du déni et de la médiocrité, scie les barreaux de sa cellule avec chaque ligne lue et s’échappe des geôles en chaque page parcourue. 

Le monde, peu à peu, prend de nouveaux contours et s’arroge de nouveau horizons, faits des couleurs de l’espoir et des promesses d’un printemps à venir, où le trésor caché saura être connu. Chercher le beau vous le trouverez. Un autre monde, la possibilité d’un autre monde est en nous, comme une île flottante, comme un paradis perdu, que chaque livre nous fait retrouver. 

Bien sûr, il s’en trouvera toujours des détracteurs, y compris parmi ceux qui se réclament des livres, pour trouver à y redire, pour afficher dédain  et scepticisme, jugeant que c’est trop accorder aux mots que le pouvoir de transformer le monde, battant retraite devant l’épée et les dollars, la force et la morgue, qui, pourtant, auront toujours peur de quelques phrases, dessinant le monde tout autrement, nous faisant comprendre les signes  premiers, ceux de l’art, de la littérature et de  l’élévation. Ceux de la plus belle humanité.

 

Par Ahmed Benzelikha

 

 

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