La chronique littéraire / Qu’attendre de la littérature ?

26/10/2024 mis à jour: 05:16
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Qu’attendre de la littérature ? Qu’elle nous délasse et qu’on s’y prélasse ? Ou plutôt qu’elle nous aiguille, dessille et qu’on s’y réveille ? L’homme est complexe et le monde n’est pas simple.

Entre deux réponses, sans doute qu’entre le blanc et le noir, il y a place pour les couleurs et les nuances. Les lectrices et lecteurs sont divers et la mer est souvent porteuse de ce qui à l’océan fait défaut. Seul le faux, c’est-à-dire non pas ce qui n’est pas vrai, car la littérature est, pour une grande part, fiction et imaginaire, mais ce qui n’est pas droit et sincère. 

La réponse serait que la littérature participe tant du loisir que de l’utile. Elle permet la détente mais aussi l’affranchissement. Elle nous change les idées, tout en les éclairant sous des jours nouveaux ou renouvelés. Lire Dib ou Ouettar, nous conduit à vivre des expériences inédites, c’est le cas de l’écrire, qui nous transporte sur des rives sauvages et au bord du précipice sismique, mais lesquelles trouvent écho en nous pour réfléchir (sur) le monde qui nous entoure. Plaisir et réflexion, tel pourrait être le crédo de tout lecteur, penchant, bien sûr, selon chacun et ses propensions, à s’installer sur tel ou tel versant. 

A lire Djaout ou Laredj, on s’arrêtera à la dénonciation sociale et politique et au tableau des mœurs et sentiments, nous suivrons avec attention l’intrigue comme nous considérerons avec sympathie ou antipathie tel ou tel personnage, qui interpelle en nous sensibilité, imagination et même le goût de l’aventure qui sommeille en chacun, à suivre les pérégrinations d’un chercheur d’os ou d’une danseuse éprise de vie. De même, pour la poésie, L’Iliade algérienne, de Moufdi Zakaria, touche à notre émotion et à notre conscience. L’esthétique servant l’éthique, les contes et fables populaires de notre terroir, tels des «graines de la douleur», patiemment réunis par Rabah Belamri, sauront, autant, parler à notre cœur qu’à notre raison. 

Le cœur et la raison, en ces deux beaux terreaux, prend racine la littérature pour nous offrir les plus belles roses. Mais est-il de roses sans épines ? Est-il de joie sans épreuves et de liberté sans lucidité ? Si le cœur s’abandonne au plaisir de lire, la raison devrait s’astreindre au devoir de comprendre.

 Car un des rôles de la littérature est de nous faire comprendre dans quel monde nous vivons, d’en observer les travers et les chaînes mais aussi les mérites et les chants d’espoir, d’en relever les entraves mais aussi les charmes et splendeur, au travers des idées et des réflexions, des développements et des illustrations, que contient chaque œuvre littéraire. A l’intelligence que déploie l’auteur de chaque livre, doit répondre celle de chaque lecteur, rendant ainsi possible le monde des idées qui doit naitre de cette jonction et une prise de conscience des enjeux qui sous-tendent chaque œuvre. Même le plaisir de lire commande cette intelligence, tout loisir de lecture étant d’abord un penchant de l’esprit, une inclination raisonnée. 

Lire Rachid Boudjedra, Amine Zaoui, Maissa Bey et tous les auteurs moins connus, c’est déployer son intelligence aux confins textuels de chacun de leur titre, pour en saisir la portée, au-delà du récit, dont l’esthétique, qui peut être gratuite, diraient les partisans de «l’art pour l’art», sert in fine à donner ailes et vigueur, support et couleurs, aux idées et contenus, idéaux et valeurs. Ainsi est l’homme, dans notre perspective, un être de pensée et de réflexion, qui se repose pour mieux agir, tel un mot potentiel, dans la langue, avant que la pensée ne s’en saisisse et, en l’utilisant, lui confère la capacité de signifier parmi ses semblables. 

La littérature, à notre opinion, contribue à cette capacité de signifier, en éclairant, en aiguillonnant, en suscitant la réflexion et en faisant prendre conscience, selon la position, les convictions, les aspirations et les choix de chacun. Se reposer, ce droit sur soi, échapper aux contingences, est aussi humain, comme l’est la recherche du plaisir et de la distraction, c’est pourquoi la littérature offre aussi au lecteur, des plages de délassement, des horizons, sans cesse nouveaux, rejoignant nos désirs de changement, de dépaysement et d’épanouissement. Lire un livre, est, ainsi, une sorte de cadeau instructif qu’on s’offre, une aubaine alliant plaisir et réflexion dans un mouvement souvent complémentaire d’enrichissement mutuel. Ainsi, le plaisir de lire peut favoriser la réflexion, qui, à son tour, exalte ce même plaisir. 

C’est pourquoi, en lisant tel ou tel roman historique, si on s’extasie devant les aventures que déroule l’intrigue, on n’en est pas moins poussé à réfléchir sur les faits historiques, la psychologie humaine, le rôle du héros ou tout autre aspect. Il en est de même pour les autres genres littéraires, où telles ou telles idées s’imposent, selon le sujet ou nos préoccupations, au-delà de l’heureux exercice consistant à lire pour nous délasser. On peut aborder la lecture du Fils du pauvre de Mouloud Feraoun, comme l’histoire d’un jeune enfant démuni dont nous suivons l’évolution, au fil d’un récit prenant, où nous partageons les émotions du petit Fouroulou. Pourtant, cette histoire nous donne à réfléchir sur l’organisation sociale et les us et coutumes d’une région, ainsi que sur d’autres aspects, dépassant notre lecture d’un roman initiatique où notre affectivité est interpellée. 

On peut aussi aller vers un roman d’évasion ou sentimental et notre littérature en recèle ces dernières années, sans pour autant ne pas apprendre, comme nous tirons leçon, dans la vie réelle, de toute expérience quelle que soit sa nature. On peut ainsi réfléchir, tout en s’évadant et tirer profit intellectuel d’une lecture vue comme récréative. 

D’autant que l’imagination déployée dans cette lecture favorise l’implication. Qu’attendre de la littérature, sinon le meilleur ? Le meilleur des loisirs et de la réflexion ! El Moutanabi disait : «Et le meilleur des compagnons, en le temps, n’est-il pas le livre ?», car le projet littéraire participe du parfaire de l’écriture, de la pensée et des valeurs qui y sont attachées et donc de l’homme.

 

Par Ahmed Benzelikha , linguiste spécialiste en communication, économiste et journaliste algérien

 

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