La chronique litteraire / Littérature et vivre-ensemble

18/05/2024 mis à jour: 00:05
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Le 16 mai a été proclamé par l’ONU Journée internationale du vivre-ensemble, sur proposition de notre pays, à l’initiative de la confrérie alaouia présidée par cheikh Khaled Bentounes.

En ces temps de crise marqués par la guerre injuste et cruelle contre Ghaza, où partout dans le monde le fossé entre les communautés ne cesse de se creuser et où l’inhumanité s’affiche désormais sans complexe, nous avons besoin, peut-être plus que jamais, de cultiver ce qui peut nous rapprocher, ce qui peut nous faire comprendre et nous permettre d’assumer notre humanité commune.

 Une des voies privilégiées, pour ce faire, s’avère, certainement, la littérature. Partagée par tous les humains, elle exprime les nuances de chaque société, de chaque culture et de chaque civilisation. Elle dresse un portrait semblable de l’âme humaine, indique les mêmes horizons et marque les mêmes inquiétudes. Elle est source et moyen de dialogue. La littérature, noble, rassemble, car elle s’intéresse à l’humain tel que dans sa nature et non tel qu’embrigadé par les haines et les divisions. 

Cette littérature rassemble aussi parce qu’elle cherche le meilleur en l’humain et pour l’humain, à travers sa défense des valeurs éminemment humaines que sont la dignité, la liberté et la justice. Elle rassemble enfin quand elle dénonce les travestissements de ces mêmes valeurs, quand elle décrit comment, pour reprendre une citation célèbre, l’hypocrisie s’avère l’hommage rendu par le vice à la vertu.

 Car vivre-ensemble ne veut point dire sacrifier à une formule imposée, mais bien comprendre et saisir, plutôt que de se ranger et obéir à la règle du plus fort, qui n’est pas, en pareil cas, la meilleure. La littérature, dans ses fondements humanistes, est universelle sans ostentation, juste sans exultation et sincère sans affectation, elle a pour devoir de rapprocher les hommes et non de les diviser, elle contribue ainsi à l’entente et à l’harmonie et construit la paix dans le cœur des hommes, telle que le voudrait la devise d’une grande organisation internationale qui, parfois, s’avère n’être qu’un slogan creux.  

Un roman tel que Le Quai aux fleurs ne répond plus de Malek Haddad ou un «conte», tel que Le Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry, mais aussi un poème tel que Sur cette terre, de Mahmoud Darwich, fondent l’espérance, malgré le déni ou les vicissitudes, elles disent combien les fleurs sont belles, même quand elles sont cruelles, la peur qu’inspirent les chansons aux tyrans et comment s’apprivoiser les uns les autres. 

Dans Le Quai aux fleurs ne répond plus, comme dans tant d’autres romans, l’auteur, ici l’Algérien qu’est Malek Haddad, donne à lire, à voir et à vivre une situation, partant d’un point de vue qui est celui de sa société, de sa culture, de son identité et de son expérience de vie. Il offre au lecteur universel, mais aussi à celui traversant l’histoire, une sensibilité, des mots et des sensations, des valeurs et des convictions, qui font que le récit littéraire devienne, pour celui qui le lit, un no man’s land en partage. 

Un no man’s land lourd de sens, qui donne à comprendre ce que chacun, parmi les humains mais aussi  parmi les membres d’une même société, doit à l’autre qui n’est, le plus souvent, que le même, au-delà des appartenances supposées. La guerre, qui déchire les individus, n’est pas seulement celle d’Algérie du Quai aux fleurs, elle est celle de tous les hommes et de tous les pays, où les armes tonnent parce que les hommes n’ont pas su taire leurs différends, contenir leur égoïsme et lever les injustices. 

La paix, elle, quelles que soient les circonstances, doit être le leitmotiv de la pensée humaine et l’état naturel, suprêmement consacrée en un nom divin, auquel l’humanité doit tendre et la littérature appeler et faire réfléchir. 

Cet appel à la paix, à la réflexion et au vivre-ensemble, peut prendre diverses formes, ainsi  il peut recourir à la magie du monde de l’enfance, comme dans  Le Petit Prince de Saint-Exupéry, pour, de parabole en parabole, au fil des rencontres, nous donner de véritables leçons de vie, que nous soyons d’Occident ou d’Orient (ces commodes mais factices divisions, à notre opinion) que nous vivions en 1943 ou en 2024, car ce livre, pour reprendre l’esprit de la dédicace qui y est contenue, s’adresse d’abord aux enfants que nous fumes. 

Des enfants qui ne se savent ni juifs, ni chrétiens, ni musulmans, comme l’écrivait Abu Hamed El Ghazali. Un Petit Prince qui d’adresserait au Hay ben Yaqdan qu’il y a en chacun de nous. Le personnage d’Ibn Tufayl porte d’ailleurs un nom qui ne déparerait pas avec notre souci de vivre-ensemble en paix, car Hay-Vivant, il a cœur à comprendre et Yaqdan-Vigilant, il a force à défendre. Ainsi, Antoine de Saint-Exupéry, le Français du XXe siècle et Ibn Tufayl al-Qaisi, l’Andalou du XIIe siècle, se rencontrent… que dis-je ? Plutôt se rejoignent et s’assemblent dans leurs œuvres ! Auxquelles, d’ailleurs, on peut rajouter Robinson Crusoé, de Daniel Defoe, directement inspiré de Hay ben Yaqdan. 

Tous ces personnages littéraires, lorsqu’ils sont porteurs d’humanité, d’émotions et de passion et c’est le cas, par exemple, des personnages du théâtre shakespearien, sont autant d’archétypes, effectivement, mais aussi de voies de rapprochement et d’identification entre les humains, au-delà de leurs différences supposées et constituent un socle pour souligner les dénominateurs communs de la nature humaine, ceux qui permettent, justement, le vivre-ensemble en paix. Car, à travers la littérature, nous (nous) connaissons, nous nous reconnaissons comme semblables et combattons la diabolisation, le rejet, l’exclusion et cette cruelle déshumanisation, que nous avons vue et voyons à l’œuvre à l’encontre des Palestiniens, moteur non seulement des haines, mais aussi des bonnes consciences à la Ponce-Pilate. 

C’est pourquoi la littérature est aussi un éveilleur des consciences, non pas en donnant des réponses toutes faites, comme le font les dogmes qui séparent, mais en posant les questions qui dérangent, celles qui permettent la réflexion et l’intelligence, la compréhension et la bonne volonté, seules capables de construire le vivre-ensemble et la paix entre tous les descendants d’Adam et Eve, en conjurant le crime de Caïn ou, à tout le moins, en «en cultivant l’espoir» comme l’avance un vers de Darwich dans Etat de siège, qui est aussi un titre d’Albert Camus dénonçant tous les totalitarismes.

C’est ainsi que les œuvres littéraires s’enchâssent en dépit des différences, du Journal d’Anne Frank aux Hommes sous le soleil, de Ghassan Kanafani,  et que nos horizons s’élargissent pour, à chaque fois, nous ramener à notre humaine condition, celle qui devrait nous réunir, malgré les guerres et le désespoir, car nous avons été créés pour nous connaître et non pour nous combattre, lisons ensemble, tenons ferme !

Par : Ahmed Benzelikha
 Linguiste spécialiste en communication, économiste et journaliste algérien

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