Par Ahmed Benzelikha
Le Festival international de la bande dessinée vient de se tenir à Alger, du 1er au 5 octobre, le 9e art a ainsi été mis à l’honneur, pour la 16e fois, sur l’esplanade de Riadh El Feth. La littérature, elle, ne fut pas en reste, puisque la manifestation fut marquée par la présence d’écrivains, d’éditeurs et de toute cette aura, que la dimension littéraire sait installer dans les domaines qui lui sont connexes sinon siens.
Ainsi, déambulant au Fibda tel Corto Maltèse dans Fables de Venise, nous avons même rencontré des cosplayers inspirés par les personnages des Trois Mousquetaires, dont un parfait Athos, via les adaptations en bande dessinée, notamment celle d’Arnaud Delalande, portées, par ailleurs, par les récentes déclinaisons cinématographiques, à succès, du célèbre roman d’Alexandre Dumas. Cet exemple ne manque pas de souligner les relations particulières qu’entretient la littérature avec la bande dessinée et qui vont au-delà du support papier, aujourd’hui souvent numérique, sur lequel elles se présentent toutes deux. En fait, c’est le récit qui réunit, le plus intimement, les deux arts.
En effet, tant la littérature que la bande dessinée «racontent des histoires». C’est cette capacité narrative, déclinée en texte, pour la littérature et en graphisme accompagné (le plus souvent mais pas toujours) d’un contenu textuel, pour la bande dessinée, qui s’avère le lieu créatif le mieux partagé entre les deux modes d’expression.
Par ailleurs, il est indéniable, depuis l’apparition de la bande dessinée que celle-ci entretient des rapports privilégiés et des interactions conséquentes avec les œuvres littéraires, soit directement, soit par le biais des adaptations, de plus en plus nombreuses, jusqu’à en constituer un sous-genre en le roman graphique ou, indirectement, par l’influence thématique ou structurelle. Si nous regardons au lecteur, force est de constater, en laissant de côté les ostracismes dont peut faire l’objet la BD, que celui-ci attend des deux modes d’expression, qui s’offrent à sa lecture, à travers l’objet littéraire et l’objet bédéique, la satisfaction de sa quête de plaisir, de découverte et de connaissance.
Cette constatation souligne d’autant plus la convergence entre le 5e et 9e art, qu’elle s’appuie sur l’observation de la mise en œuvre des mêmes procédés cognitifs à travers l’action de lecture, devrions-nous ajouter de signes ? Qu’ils soient linguistiques ou iconiques ? Et, au-delà, à une interprétation qui débouche sur le décodage d’un récit, en nous en tenant à ce type de production littéraire.
Avec toutefois, ici, une différence de taille, liée à la présence des images dans la bande dessinée, qui certainement influera autrement sur les capacités d’imagination du lecteur.
Nombreux sont ceux, à l’instar du Belge Thierry Groensteen et de l’Algérien Mohammed Rezzik qui, aujourd’hui, vont jusqu’à affirmer que la bande dessinée est «une forme de littérature» et «avant tout une expression littéraire», de surcroît à succès, car populaire, rajouterions-nous, au point où le volume de vente de «livres» est fortement gonflé en l’y incluant.
C’est pourquoi, vecteur graphico-littéraire, la bande-dessinée devrait être sortie de l’ornière des préjugés, qui la veulent cantonnée à la jeunesse, sinon à l’enfance et à la «sous-culture». Nous nous devons de mieux valoriser sa portée et notre discours à travers elle, dans et sur un monde où tout est media. Ce à quoi s’attellent beaucoup en Algérie, dont l’incontournable Lazhari Labter, infatigable ambassadeur de notre BD nationale.
Outre la promotion de la bande dessinée en tant que telle et en tant que domaine de créativité quasi littéraire, l’adaptation de nos œuvres littéraires sous forme bédéique devrait aussi faire l’objet d’une attention particulière et serait bénéfique, par croisement, tant à la littérature qu’à la BD. En effet, quelles belles adaptations feraient, par exemple, nos classiques romanesques et bien sûr nos romans actuels, qui pourraient bénéficier du même traitement réservé, à l’étranger, au roman Ce que le jour doit à la nuit, de Yasmina Khadra.
De même l’évocation de l’étranger nous fait noter la parution récente, chez Dargaud, d’une bande dessinée consacrée à une vision, que nous avons trouvée caricaturale et réductrice de l’Algérie des années 80, sous le titre de Rwama, qui vient à la suite de celle de Ferrandez revisitant, en une longue série d’albums, l’histoire de l’occupation française de notre pays.
Par ailleurs et pour clore cette incursion dans le domaine étranger s’intéressant à l’Algérie,Benjamin Stora vient de publier ce qu’on pourrait nommer (en démontrant ainsi la richesse des déclinaisons de la BD) un «essai en bande dessinée» consacrée à l’immigration algérienne. Pour notre part, au plan historique, si Ahmed Bey de Racim Benyahia, Ali la Pointe de Benyoucef Abbas, Maurice Audin de Mohammed Boudjellal et Franz Fanon de Frédéric Ceriez, par exemple, ont fait l’objet de bandes dessinées, de grands héros, de grands événements et d’exaltants récits, attendent toujours de belles plumes et de beaux crayons et pinceaux, pour être portés en planches.
Des planches, des cases et des bulles, vite dépassées pour aller au vif du sujet, «ce dont on parle et qui nous parle», au travers d’histoires, dont la structure et la portée, feraient qu’elles s’inscrivent, de plain pied, dans l’univers littéraire. Un univers littéraire qui ne cesse de s’étendre à d’autres formes d’expression, pour notre plus grand enthousiasme à en relever les défis du XXIe siècle. La bande dessinée, à ce titre, devrait jouer un rôle actif, en termes de créativité, d’expression, de discours et d’esthétique, qui participerait à de nouvelles formes de littérature(s) d’hybridation fortement médiatique.