En ces jours de fête de l’Aïd El Seghir, selon notre appellation du terroir, déployant la grâce de ses moments privilégiés, il ne serait pas fortuit de consacrer ces lignes à la joie et au bonheur de lire.
Car lire, avant que d’être, par exemple, l’exercice contraignant de la formation scolaire, se devrait d’être un plaisir. Lequel plaisir est d’abord celui offert par la littérature, qui, se présentant sous ses meilleurs atours esthétiques, donne au lecteur l’occasion de partager les petites joies ou les grandes émotions qu’offre une langue joliment travaillée ou sublimement ciselée et c’est en quoi la littérature est aussi un art. Un art donc, qui a pour matière la langue et pour outil le style. Mais un art qui va au-delà de la dimension linguistique, pour atteindre la portée imaginaire et symbolique, marquant l’esprit et consacrant l’âme. Ah, l’âme !
Cette éternelle inconnue, dont la parole sacrée scelle le mystère en l’excluant de la connaissance des hommes mais dont, pourtant, les émotions les plus nobles peuvent s’en faire l’écho, à l’instar de celles suscitées par les plus belles lectures. Certains ne verraient, ici, qu’idéalisme et figures de style, pourtant à lire poètes et romanciers n’est t-on pas parcourus d’ondes singulières qui nous portent à des élévations particulières et nous transportent selon l’expression consacrée.
Ces sensations, qui sont aussi le titre d’un poème de Rimbaud, s’ils sont le propre du lecteur sensible sont aussi le lot, si je puis dire, de tous ceux qui ont à cœur de comprendre que la vie n’est pas seulement faite de ce qui est utile mais aussi de ce qui est beau et agréable et c’est le sens même de la fête. C’est pourquoi lire est d’abord une fête, celle de l’intelligence et du cœur, ces denrées immatérielles qu’on a du mal à quantifier et que tant les sociétés rétrogrades que celles mercantiles voudraient faire oublier aux hommes mais que, justement, la littérature fait vivre, défend et illustre.
Tout texte littéraire est une fête intellectuelle et esthétique et se constitue en lieu de connivence et de communion comme tout espace festif. Il est une fête des sens pour celui qui porte en lui la belle inclinaison littéraire, celle qui permet non seulement de mettre en scène les belles choses et les grands idéaux mais aussi à contribuer à les construire et à les pérenniser. Pérenniser la fête ne serait-il pas possible ? Faire durer le bonheur ne serait-il pas loisible ? Si l’éphémère est rattaché à la réalité, ne pourra-t-on pas faire perdurer l’esprit de la fête par delà les fêtes consacrées ? Un esprit qui est d’abord une attitude positive, une sagesse active et une bienveillance à toute épreuve. Un esprit, que lire contribue à forger au contact des expériences et des idées, mais aussi des espérances, dont chaque livre est porteur. Lire serait une fête pour cet esprit, débarrassé des contingences de l’œsophage et des artefacts matérialistes qui ne font que masquer la réalité qu’ils prétendent être. Une réalité qui est d’abord existentielle, car marquée du sceau de la vie et de la mort qui s’ensuit, tout le reste n’étant pas littérature.
Et c’est bien la littérature qui nous ramène à notre humaine condition en y réfléchissant et en nous en proposant une lecture qui peut être aussi apaisante que dérangeante ou même subversive mais toujours avec ce sens de l’exaltation de (se) découvrir, de s’indigner ou de se révolter, qui est aussi une forme de fête, celle de se réaliser. Car lire nous permet de nous réaliser, de trouver notre voie, à l’instar de la lecture suprême pour le musulman, celle coranique, qui conduit à cette «âme apaisée entrant en les hommes et en le Paradis».Dans ce contexte, j’ai lu, il y a quelque temps, un livre qui évoque une belle figure de l’Islam en Algérie, en l’occurrence le regretté Cheikh Abderrahmane Djillali, mais qui au-delà portait un titre qui, au premier chef, avait retenu mon attention : Chroniques d’un Algérien heureux.
Cet ouvrage, au demeurant fort intéressant, libellé en forme d’itinéraire d’un enfant du siècle, signé de Hachemi Larabi, déparaît par son titre sur les rayons de la librairie où je l’avais acquis, tant l’idée de bonheur paraissait, peut-être, incongrue dans notre pays marqué par le colonialisme, la décennie noire, les luttes sociopolitiques et un quotidien fruste pour le plus grand nombre. La curiosité aidant, je me suis mis, un peu à la manière de Proust, à la recherche du bonheur perdu dans la littérature algérienne, en thématique s’entend. Or, il s’est avéré, certainement pour les raisons socio- historiques évoquées plus haut, que rares sont les œuvres algériennes marquées du sceau du bonheur et de la fête.
Bien au contraire, la dénonciation, la quête et le témoignage, qui sont certes nécessaires semblent régner en maître, avec un sens, souvent prégnant, du tragique. Peut-être que nous devrions, selon le mot de Camus, inventer l’espoir là où il n’existe pas et porter le« lire » qui est une fête car plaisir sur des objets de lecture qui sont eux-mêmes en fête. Puissent, alors, les réalités qui inspirent les œuvres, être elles-mêmes en fête !Que tous les Algériens soient heureux ou, du moins disposent des conditions pour l’être, car le bonheur ne se décrète pas. C’est notre vœu le plus cher, en ces jours de fête,de don et de partage. Aidkoum mabrouk.
Par Ahmed Benzelikha