La chronique littéraire : L’essentiel et l’accessoire

24/08/2024 mis à jour: 17:00
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Par Ahmed Benzelikha

Est-il, en littérature, des œuvres essentielles et celles accessoires ? Difficile question en ces temps bouleversés, où l’insoutenable légèreté des êtres, dont média et réseaux sociaux sont les caisses de résonances, tirant notre quotidien vers le bas, constitue l’étalon-or du préjugé érigé en jugement.

Comment donc faire la part des choses, des apparences et des artefacts, dans un monde de dupes, auquel la littérature n’échappe point ? La culture, teintée des idéologies qui s’y incrustent, à tort ou à raison, pourrait être un moyen de discernement, tant la connaissance et le savoir permettent le jugement, par voie de perspicacité et de  comparaison.

Mais comparaison ne vaut pas raison, tout comme la critique est aisée et l’art difficile. Discerner l’essentiel de l’accessoire est déjà ardu dans tous les domaines, y compris existentiels, la philosophie, certes, nous y aide mais, de par sa nature même, sans épuiser le sujet, si tant celui-ci serait épuisable, hormis en recourant au tranchement du nœud gordien.

Peut-être même que les termes du questionnement, en instaurant une discrimination entre l’essentiel et l’accessoire, dénaturent la problématique en la posant dans une perspective hiérarchique inappropriée car idéaliste. Pourtant, à la lecture de telle ou telle œuvre, on est subjugué (encore un terme idéaliste !) et comble du «tahafut», en empruntant à Avicenne dans le texte, nombreux à l’être !

Ce qui suppose, raisonnablement, un modèle partagé. Tout comme la lecture de telle ou telle platitude, Dieu nous en garde pour les présentes lignes, ne nous inspire, au mieux, qu’un «peut mieux faire» poli ou sarcastique pour ceux, méchants, dont le cœur a quelque maladie.

En revanche, toute œuvre est respectable, par l’effort qu’elle dénote, la sincérité qu’elle exprime et, certainement, la persévérance qu’elle commande. Là n’est pas la question, elle est en la falsification et l’usurpation dont les maîtres d’œuvre, en ces temps de mondialisation et d’«influencisation», voudraient nous faire passer des vessies pour des lanternes, des ectoplasmes pour des lumières et les poudres de perlimpinpin pour des panacées.

Loin de la remise en cause de la démocratisation de l’écriture littéraire, elle-même résultant de celle de l’édition sous toutes ses formes, y compris en de nouvelles, ce qui retient l’attention et crée le malaise est la promotion de productions qui induisent en erreur non pas le «bon goût», les gardiens du temple ne sont pas de notre bord, mais le bon sens, qui doit demeurer la chose la mieux partagée, malgré les coups de boutoirs de ceux à l’interpellation sélective.

Nous y arrivons ! C’est cette interpellation sélective, ce choix dirigé et souvent inique, qui déconstruit les valeurs universelles, en les faisant celles d’intérêts bien étroits, pour les manifester dans des choix éditoriaux dits littéraires non seulement sectaires mais aussi, qualitativement, sujets à caution.

Car l’essentiel, peut-être, c’est ces valeurs, lorsqu’elles ne sont pas galvaudées, justement illustrées et démontrées par la littérature, tandis que l’accessoire serait de prêcher le faux, non pas pour savoir le vrai mais pour travestir celui-ci par le maelström des discours dominants.

La littérature s’avère, ainsi, un des champs de bataille entre le talent et la médiocrité, l’intelligence et la ruse, l’élévation et le nivellement.

Comment pourrait-il en être autrement dans un monde où la globalisation conduit à l’implication et à l’imbrication, comme l’a récemment démontré, dans un autre domaine que la littérature, le cas de la boxeuse algérienne Imane Khelif injustement et indignement attaquée par une partie de ce que Pierre Levy nomme «la sphère publique numérique».

Reconnaître le bon grain de l’ivraie peut être facile, me diriez-vous, sauf que le bon grain a du mal à s’assurer une visibilité, dans un environnement où le fatras cultivé le dispute à la vacuité promue et où la littérature demeure le parent pauvre, livrée au diktat de la domination économique et idéologique des produits culturels et aux humeurs fantasques d’un public formaté au jugement standardisé et aux lectures orientées, par les médias dominants et la concentration du secteur de l’édition avec un marché oligopolistique.

Il ne s’agit pas de diaboliser quiconque, la réalité n’est pas trop différente sous les cieux de ceux qui jettent la première pierre, il s’agit de porter un regard, possiblement pertinent, sur des mécanismes de plus en plus prégnants, qui permettent, dans le champ littéraire, de promouvoir des travaux et d’en éluder, sinon de minorer, d’autres de bien plus grande qualité.

Et nous en revenons, ici, à la qualité, comment la définir, comment l'évaluer ? Sinon par des critères esthétiques universels reconnus, sans discrimination de sujets, de thèmes, d'origine, d’appartenance et de traitement.

Conformément donc, pour leur assise, aux chartes universelles dont les plus représentatives seraient celles des Nations unies et, à leur tête, la Déclaration universelle des droits de l’homme, consacrant la liberté des convictions et des idées que, justement, la littérature contribue à répandre sans considérations de frontières.

Seule donc la qualité intrinsèque d’une littérature, qui, bien sûr, ne fait pas la promotion, foncièrement  antinomique, du manquement aux valeurs, devrait primer, pour faire la part de l’essentiel et l’accessoire.

L’essentiel pour une littérature est donc dans la qualité et non dans son appartenance à une chapelle, sinon à une bourse de valeurs, permettant de renforcer un même système d’interprétation du monde, selon un mode d’émulation fondé sur le matraquage, la redondance, la vacuité et l’accessoire, soit une littérature, en paraphrasant Guy Debord, de spectacle.

 

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