La chronique littéraire / La ville magique !

01/02/2025 mis à jour: 09:23
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Quand je veux partir en voyage pour cette ville sud-américaine, que j’aime tant, je ne prends ni l’avion, ni le bateau, ni encore moins la voiture, elle est si proche. J’aime, en cette ville, son atmosphère exotique, ses petites maisons colorées et ses paysages tropicaux verdoyants, où les bananiers sont omniprésents. Jaune et vert y sont les couleurs dominantes, avec, peut-être, les toits rouges, à l’instar de celui de la petite gare de la ville, là où arrivent la plupart des voyageurs. Et ces derniers sont si nombreux à visiter ces lieux, qui sont moins une destination qu’un état d’esprit.  

Car la ville offre un complet dépaysement et une formidable évasion, pour celles et ceux qui sont à la recherche, non pas tant d’autre chose que d’eux-mêmes, mais plus que la ville, c’est ses habitants qui retiennent l’attention et donnent vie et consistance au temps qu’on y passe. Un temps particulier, cyclique, où cent années peuvent correspondre au séjour qu’on y effectue, tant les rencontres qu’on y fait sont intenses. En effet, les habitants de cette ville sont tous porteurs d’histoires et d’expériences extraordinaires, presque magiques, où se mêlent leurs ancêtres, leurs mythes, leurs peurs et leurs espoirs, leurs victoires et leurs défaites. Bref, tout un monde de vies entremêlées. 

En une seule cité, le visiteur voyage dans l’histoire, la géographie, la politique, l’économie, la sociologie et la psychologie mais aussi dans la mythologie, le fantastique, l’allégorique et dans ces petits poissons en or qui sont, avec la solitude, la spécialité de la ville. 

Sur sept générations, le visiteur de la ville peut découvrir l’éternel humain, l’improbable quête et l’absurde destin de familles entières et de nations singulières, traversées par les passions et les guerres, l’économie bananière (dans les deux acceptions) et la métaphysique religieuse. 

Malgré cette multitude de découvertes, la ville reste simple et constitue un havre de paix pour celui dont la quiétude intérieure se nourrit de la compréhension des êtres et des choses. Arrivé à destination, le visiteur voit s’étaler, devant lui, la rue principale, bordée de demeures coloniales aux nombreux portales, avec, au fond, l’emblématique église, surmontée d’un clocher et aux murs passés à la chaux, avec, de part et d’autre, les ruelles populaires où marchands de fruits exotiques, de mochilas, de chapeaux, de ponchos et de paniers exposent leurs produits.  

Un peu plus loin, en été, il verra, l’après-midi, de nombreux hamacs où, nonchalamment étendus, de nombreux habitants de la ville font leur sieste et il n’est pas rare d’apercevoir des toucans de passage, venus de la forêt tropicale, toute proche de la ville. Le visiteur est alors happé et emporté, non pas tant par la couleur locale, mais par l’âme de la ville qui le change des si nombreuses âmes viles, que la réalité inflige. Le visiteur se demandera, alors, de quelle réalité il relève.  

De celle, facile, où l’a installé la matérialité ou de celle, sublime, où l’emmène son voyage sans monture ou, plutôt, sur le Bouraq des Fitzcarraldo de la lecture, car le visiteur est un lecteur, voyageur impénitent et juge-pénitent, il lit et découvre la ville, dans ses méandres, ses marécages et sa forêt. Il va et vient, de génération en génération, de passions en prophétie, d’amour en malédiction pour s’asseoir, au soir d’un livre, sur le rebord de ce que nous sommes, un bateau ivre, où il y a beaucoup de bruit pour rien, que de faux-semblants et du désenchantement, comme dans la pièce de Shakespeare, le poème de Rimbaud, le récit de Camus ou le roman de Gabriel Garcia Marquez.

 Le vrai monde est autre, c’est celui finalement de cette ville, où un gitan, dit-on, aurait écrit, prédit et marqué la vie de tous ses habitants, présents et à venir, mnésiques et amnésiques. Un peu comme tous ceux qui séjournent dans l’agglomération, même s’ils ne s’appellent pas Buendia, porteurs de leur propre histoire, qui est celle de toute l’humanité, depuis sa création, le déluge et les parchemins prophétiques, jusqu’au train, le télégraphe, le cinéma et aux nouvelles technologies, internet, l’intelligence artificielle et… Netflix, qui vient de lui consacrer, le mois passé, une série à succès où notre ville est dépeinte plus vrai que nature ! 

Et quelle ville que celle-ci ! Consacrée de roman en roman, même sous nos cieux avec Les 1001 années de la nostalgie de Rachid Boudjedra, où la cité se transfigure en celle de Manama, marquant les esprits et les discours, l’histoire et les histoires, malgré son inscription matérielle récente, puisqu’elle ne fut «fondée» qu’en 1967, même si elle remonte, dans sa portée mythique, aux limbes de l’imaginaire. C’est pourquoi le voyage à Macondo, c’est le nom de la ville, est un beau voyage, car heureux, comme l’illustre et ingénieux voyageur de l’Odyssée, est celui qui le fait. 

C’est toujours un bonheur de lire, de partager, de vivre et de comprendre que nous ne sommes, tous, que les voyageurs solitaires du temps qui nous est imparti. Un temps que Macondo distend, fait tourbillonner dans ses rues, originellement et à terme, inéluctablement, poussiéreuses. Ville imaginaire, Macondo est pourtant à visiter, en ses moindres coins et recoins, dans chacune des pages et des lignes, des vingt chapitres des Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, ce chef-d’œuvre du réalisme magique. Bon voyage !

Par Ahmed Benzelikha , linguiste spécialiste en communication, économiste et journaliste 

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