Kamel Daoud : Le prix de la trahison

27/11/2024 mis à jour: 14:24
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Lors de la publication du livre de Kamel Daoud Meurseault contre-enquête, nous avons été quelques-unes à penser que l’idée du roman était très originale, voire décoloniale. Dans la mesure où il réhabilitait, humanisait cet étrange Etranger «dessiné» par le célèbre Albert Camus, mais qui nous laissait à nous, mes amies et moi, un goût amer. Une ombre, sans père ni mère, sans filiation, absent de l’histoire singulière et de l’histoire collective. En fait, la lecture, une odeur planait en l’air, notre propre histoire d’indigènes. 

Et voilà que Meurseault contre-enquête fait en quelque sorte œuvre d’historien et nous répare en nous inscrivant dans l’Histoire. Désormais l’Etranger est l’un des nôtres, il a un nom, des amis, il est réhabilité, et en quelque sorte, nous aussi. Après cette lecture et ce qu’elle a réveillé en nous, nous apprendrons que l’auteur a été islamiste. Notre réflexion était : il était jeune et de nombreux jeunes algériens ont été endoctrinés et suivi le sillage du FIS. Mais il a changé. 

Et heureusement que l’être humain peut faire preuve de réflexivité, prendre conscience et changer. Kamel Daoud a changé, il est désormais un homme progressiste qui défend les libertés et qui s’élève contre toutes les oppressions. On adopte. Mais les choses se corsent : on apprendra par la suite qu’il a battu sa femme, qu’il a été condamné pour ces faits. En tant que militantes, nous étions ulcérées, révoltées. Meurseault contre-enquête s’éloigne de plus en plus. Et puis il rejoint le journal français Le Point, journal connu pour ses positions de droite, son parti pris sioniste, son islamophobie. Hallucinant ! Arrive ensuite l’ignominie de Cologne.
 

Rappel 

Durant les célébrations du Nouvel An le 31 décembre 2015, une vague d’agressions sexuelles collectives, de vols, de braquages et au moins deux cas de viol – tous dirigés contre des femmes – est rapportée à travers l’Allemagne, principalement à Cologne. Et ne voilà-t-il pas que notre célèbre écrivain se fend d’un article retentissant, avant même que les autorités allemandes ne désignent le/les coupable(s), lui sait : ce sont des musulmans sexuellement frustrés, sexistes, ils ne pourront jamais, malgré leur intégration dans les pays occidentaux, «se civiliser»,  être délivrés de leurs fantasmes construits par une culture – entendre l’islam – réfractaire à toute notion de liberté. Et voilà notre écrivain sur une rampe de lancement : plateau de télévision pour dire tout le mal des barbares que nous sommes. Plus récemment, avant le prix Goncourt, nous l’avons vu exhibé, parce qu’il a été exhibé, par toutes les chaînes de télévision mainstream, pour défendre le droit d’Israël à se défendre, à dénoncer le hamas de terroriste islamiste. Le génocide, l’urbicide, la famine… Israël doit se défendre.
 

Prix à payer pour obtenir le Goncourt !

Nous ne sommes pas spécialistes en littérature, mais par curiosité, on a lu quelques extraits de Houris. Rien de singulier, style ampoulé, des poncifs… L’une d’entre-nous a dit : «Il est mal écrit, son style laisse à désirer, on peine à le lire…» Mais elle maintenait qu’un auteur est libre d’inventer, de créer les personnages qu’il veut… Mea culpa Saada, je ne connaissais pas ton histoire.

Une fois au fait de l’histoire de Saada, nous nous sommes dit, pour l’histoire de notre pays, pour les femmes victimes de terrorisme, il nous faut en dire quelque chose. Saada fait partie de ces milliers de femmes, blessées, assassinées, violées par les hordes terroristes. Nous avons travaillé avec les survivantes et nous avons côtoyé l’horreur, la terreur. Saada fait partie de ces femmes, elle n’oubliera pas. Le traumatisme s’implante en vous, dans votre corps et votre esprit et ne vous laisse jamais de répit. Il structure votre vie. Ces femmes, les sœurs de Saada, nous les avons rencontrées, écoutées, accompagnées pendant de très longues années. Certaines, des survivantes, sont encore habitées par le traumatisme.

 Elles reviennent nous voir pour trouver un peu de réconfort. Si, elles, les victimes sont toujours marquées par les violences qu’elles ont subies, nous aussi en tant que militantes nous sommes restées marquées à vie par ce que nos sœurs ont vécu. Et ce qui est le plus choquant dans Houris c’est que le thérapeute, sans l’autorisation de la victime, livre le récit de Saada à son mari pour qu’il obtienne le prix Goncourt (nous savons qui délivre ce genre de prix). Ce prix a un prix : les larmes, la douleur et la souffrance de Saada. Car une grave dérive professionnelle a été commisse : l’éthique et la déontologie exigent la stricte confidentialité du professionnel. D’où mari et femme dans le même bain, tous deux acteurs d’une dérive morale en instrumentalisant l’histoire d’une victime du terrorisme. En tant que femmes, nous dénonçons fermement ces comportements indécents, indignes qui portent atteinte à la vie d’une femme. et nous l’assurons de notre soutien total .
 

Et toute notre empathie

L’histoire ne s’arrête pas là. Monsieur Kamel Daoud, de l’autre côté de la Méditerranée, se targue de défendre les droits des femmes algériennes. Mais qui vous a chargé de cette mission Monsieur Kamel Daoud ? Sachez que les femmes algériennes se sont toujours défendues contre le colonialisme, rappelez-vous les moudjahidate. 
Aujourd’hui, des dizaines d’association de femmes existent en Algérie, leur mission : défendre les droits des femmes de leur pays, se tenir aux côtés des plus vulnérables et elles n’ont vraiment pas besoin de vous. Nous savons toutefois qu’en Occident, quand on s’érige en défenseur des droits des femmes, on bénéficie de l’accueil bienveillant des «civilisés».


Taisez-vous Monsieur Kamel Daoud
 

Pas en notre nom 
- Pr Chérifa Bouatta, psychothérapeute
- Chérifa Kheddar, présidente de l’association Djazairouna
- Mériem Belalaa, présidente de l’association SOS femmes en détresse

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