Durant plus de 30 ans, les mouvements de lutte pour l’égalité ont mené un combat pour les droits des femmes dans des conditions extrêmement difficiles, subissant les attaques violentes des islamistes, des groupes terroristes, des partis conservateurs mais aussi des mentalités rétrogrades.
Durant des décennies, le mouvement de contestation féminin pour la liberté, les droits sociaux, économiques et politiques des femmes a bousculé les mentalités pour arracher, à chaque fois et au prix fort, un peu plus de droits, dans une société patriarcale où la femme a un statut de mineure à vie.
Des avancées considérables ont été réalisées notamment en matière de textes de loi, code de la famille, de la nationalité, code civil, code pénal, grâce aux luttes de nombreuses associations qui, sans relâche, ont montré leur détermination et leur engagement à faire de l’Algérie un pays d’égalité.
Bien que leurs voix ne se soient pas totalement éteintes, ces associations deviennent de moins en moins visibles sur le terrain, en raison de nombreux facteurs liés principalement à une législation de plus en plus restrictive, au manque de moyens, au désintérêt des jeunes et à la démobilisation des moins jeunes.
Beaucoup y voient une menace qui pèse lourdement sur le combat pour les droits des femmes, au moment où les attentes en matière de lutte contre les violences à l’égard des femmes, les féminicides, la prise en charge des victimes de violence, des mères célibataires, les droits en matière d’héritage, d’accès aux postes de responsabilité, etc., sont importantes.
Militante des droits des femmes et présidente du Ciddef (Centre de documentation et d’information sur les droits des enfants et des femmes), Me Nadia Aït Zai trouve que «les associations féminines sont toujours présentes sur le terrain et maintiennent le cap des luttes pour les droits et le respect de la dignité humaine des femmes», ajoutant : «Ce sont des bénévoles, animées d’une bonne volonté, elles se mettent au service des plus démunies et des femmes en situation de vulnérabilité.
Elles ont créé au sein de leur association des services, juridique et psychologique, mis à la disposition de celles qui ont en besoin sans leur demander une contrepartie financière.»
Selon la juriste, «en plus des services mis à la disposition des femmes en difficulté, certaines associations font dans la revendication positive à travers les plaidoyers pour la refonte des textes discriminatoires, tels que le code de la famille, et surtout pour corriger les inégalités de genre pointées du doigt à travers les documents élaborés dans ce sens».
«Désintérêt regrettable»
L’avocate regrette cependant que ces plaidoyers ne soient pas pris en compte. Elle explique : «Femmes en chiffres que le Ciddef produit à partir des chiffres officiels permet aux pouvoirs publics concernés, s’ils ont en envie, de corriger les inégalités hommes-femmes dans les secteurs concernés.
Hélas, il y a peu d’écoute et d’intérêt de nos institutions pour le travail de ces associations, qui ont compris qu’il fallait allier l’action à la réflexion pour mieux étayer la demande.» Me Aït Zai qualifie ce «désintérêt affiché par certaines institutions pour le travail des associations féminines de regrettable», car, explique-t-elle, «il a été souvent rappelé que le travail du mouvement associatif était complémentaire de celui des pouvoirs publics.
Le travail fourni par les associations se fait dans le cadre des politiques publiques quand elles existent. Hélas depuis un certain temps, il y a une coupure nette entre les associations féminines et les pouvoirs publics». Me Aït Zai plaide pour «une amélioration du climat du travail que les associations entreprennent», et précise : «Le doute s’installe aussi lorsque les associations constatent un recul de leurs droits.
La loi sur le quota a été abrogée. De 147 femmes députés nous passons, à la faveur de la parité, si louable soit ce concept, à 30 femmes députés. C’est dommage. Il semble que nous n’avons pas compris comment rendre effective l’égalité. C’est pourquoi, il nous faut une politique publique de l’égalité.
Celle-ci est nécessaire dans la prochaine gouvernance.» Me Aït Zai rappelle que les associations travaillent en fonction des politiques publiques mises en place de ce fait, souligne-t-elle, «nous continuons à travailler sur les violences faites aux femmes avec la stratégie nationale de lutte contre les violences mise en place pour les années 2008-2014.
Si les violences contre les femmes ont été incriminées en 2015, si un fonds de garantie de la pension alimentaire a été approuvé, il reste à mettre en place un guichet unique pouvant aider les femmes dans leurs démarches judiciaires sans encombre. Il est tout de même urgent de mettre à niveau la stratégie de lutte contre les violences.
Un travail a été fait. Le document existe. Il suffit d’y revenir, de le retravailler, s’il ne convient pas, et de l’adopter». Me Aït Zai estime que les associations «sont des intermédiaires entre la société et les institutions. Les femmes viennent spontanément vers nous pour témoigner de leurs souffrances quand elles sont victimes de violences.
Nous les conseillons, assurons un accompagnement au tribunal quand elles ont franchi le pas de la peur et ou lorsqu’elles sont rassurées parce que suivies par les psychologues. Dans l’impossibilité pour certaines de revenir ou retourner à la maison, nous mettons en branle notre réseau informel pour les placer dans un centre d’accueil ou les éloigner du domicile dans lequel la violence s’est exercée».
«Les mariages coutumiers sont pratiqués à grande échelle»
Elle ajoute : «Nous recevons des femmes qui ont des problèmes d’héritage, des veuves sans enfant qui se retrouvent à la rue après que les héritiers décident de vendre le logement. Elles ne connaissent pas leurs droits et souvent, on leur dit : ‘‘Vous n’avez pas droit à une part de l’héritage de l’époux décédé.’’
C’est pourquoi, il est urgent de revenir sur le code de la famille, le modifier en protégeant ces femmes en leur accordant l’usufruit de cet appartement.» Me Aït Zai cite aussi les problèmes de la déchéance de la garde à la mère qui se remarie, qui sont pour elle récurrents.
«Ils nous viennent après que la maman se soit remariée, que l’ex-époux le découvre dans l’année, et décide de l’embêter, en faisant valoir auprès des tribunaux l’article 66 al. 1, qui lui permet de récupérer la garde de l’enfant. Nous sommes alors obligées de procéder à un divorce pour qu’elle puisse garder son ou ses enfants.
Nous traitons aussi des cas de harcèlements dans la rue et du harcèlement, en milieu du travail. Pour ce dernier, les femmes qui se présentent ont des problèmes psychologiques lourds nécessitant des soins. Les mariages avec la Fatiha ou dits coutumiers sont encore pratiqués à grande échelle, nous aidons les femmes à régulariser leur situation par la validation judiciaire de cette union et à la légitimation des enfants. Il arrive que la validation se fasse post-mortem.
Il faut peut-être songer à non pas faire disparaître cette pratique mais à mentionner dans la loi que le mariage civil est le seul qui doit être valable dans notre droit.» L’avocate affirme, en outre, que les problèmes vécus par les femmes qui sollicitent son association «sont en majorité ceux qui découlent de l’application des dispositions du code de la famille.
C’est pourquoi il est urgent de se pencher à nouveau sur ce texte pour l’adapter à la réalité et aux changements sociaux intervenus». Elle insiste sur le manque de moyens financiers qui «freine» les activités des associations. «Beaucoup ne bénéficient pas de subventions et il est difficile de trouver des financements aux projets qu’elles développent.
C’est pourquoi il est important de réfléchir et de procéder à l’habilitation selon leur objet des associations qui accepteraient ce procédé. Ce serait un moyen d’établir des relations avec les ministères concernés.»
Abondant dans le même sens, Meriem Bellala, présidente de l’association SOS Femmes en détresse, évoque elle aussi les difficultés rencontrées depuis quelques années dans la prise en charge des femmes victimes de violences.
Elle reste l’une des rares associations, nées à la fin des années 1980 et au début de 1990, à avoir survécu à tous les événements que le pays a connus. «Nous avons travaillé avec de nombreuses femmes victimes de violence, d’inceste, de terrorisme, accueillies dans le centre. Nous sommes une association humanitaire qui milite pour les droits des femmes. Nous avons un rôle humanitaire mais aussi social, juridique et psychologique.
D’un point de vue humanitaire, nous intervenons dans les régions du Sud pour aider les femmes démunies à être autonomes financièrement à travers de nombreux projets. Nous avons travaillé avec des femmes atteintes de maladies invalidantes, comme le VIH ou le cancer. Elles sont accueillies dans le centre pour leur permettre une prise en charge médicale.»
«Nous avons besoin d’une reconnaissance»
Cependant, ajoute Mme Bellala, ces activités «demandent une logistique importante qui nécessite de gros moyens. Nous avons la chance de travailler avec des personnes à l’écoute, des médecins, infirmiers, psychologues privés et publics qui nous aident dans la prise en charge de ces femmes malades, mais aussi des avocats qui s’occupent des procédures à l’intérieur du pays.
Nous sommes toujours à l’affût de sponsors pour répondre à tous ces besoins». Mme Bellala évoque aussi les actions de formation des volontaires sur les violences, les agressions sexuelles, ainsi que la prise en charge des mères célibataires, puis précise : «Nous avons toujours travaillé avec les pouvoirs publics de manière à coordonner nos efforts.
Le travail consiste à trouver les moyens par les plaidoyers ou par la sensibilisation et l’information, sur une citoyenneté pleine et entière. Malheureusement, le centre a des frais. Il faut payer l’électricité, le gaz, l’eau, la nourriture, les médicaments, les frais des cours de soutien scolaire des enfants, etc.
Malgré les entraves, notre travail est un acquis considérable. 97% des enfants pris en charge au centre ont réussi leur scolarité grâce à la solidarité.» Notre interlocutrice affirme, par ailleurs, que le centre qu’elle dirige accueille des femmes de plusieurs nationalités. «Nous essayons d’assurer une prise en charge adéquate, en dépit des difficultés.
Le plus important est qu’il y ait cette prise de conscience sur le fait que nul n’est à l’abri, quel que soit le pays où il est. Les nombreuses personnes qui ont sollicité l’association ont bénéficié de ses services.
Chaque année, au moins une cinquantaine de familles bénéficient toujours du couffin du Ramadhan», déclare Mme Bellala, qui regrette cependant la «non-reconnaissance» de SOS Femmes en détresse, dit-elle, «par les pouvoirs publics, comme une association à utilité publique».
Elle déclare : «Il est nécessaire de prendre en considération le travail des bénévoles.» Mme Bellala parle des entraves : «Nous galérons pour obtenir les papiers d’une rescapée d’un féminicide ou pour aider les victimes de violences conjugales. Elles arrivent sans papiers. Il faut rechercher quelqu’un qui puisse leur faire une résidence. Il faut l’adresse où réside la victime.
Des personnes mais aussi des associations, qui ne sont pas du domaine humanitaire, font des choses extraordinaires pour nous aider. Il faut qu’il y ait une reconnaissance et un dialogue. Lorsque des personnes sont sur le terrain depuis des années, la moindre des choses est de prendre en considération leur engagement et leur sacrifice.
Il faut collaborer pour trouver la stratégie nécessaire et travailler pour les autres. En tant qu’association doyenne, nous avons le droit à un autre regard. Personne ne sait ce que font les bénévoles sur le terrain. Il y a comme une volonté d’exclure ceux qui luttent pour les exclus.»
Me Aït Zai et Mme Bellala résument les grandes difficultés auxquelles le mouvement associatif féminin fait face et ce qui, aujourd’hui, le rend invisible alors qu’ils sont très nombreux, ces militants, qui poursuivent leurs luttes pour les droits des femmes, loin des lumières, en supportant tout le poids de la pression, de la peur et surtout de la bureaucratie et des mentalités.