«Je vote pour l’avenir de nos enfants. Nous, on a vécu notre temps. Nous devons préserver leur futur. Je le fais aussi pour consolider notre Etat», déclare une professionnelle de la santé à la retraite rencontrée dans un centre de vote à Bab El Oued.
C’est le jour J. Celui de l’élection présidentielle. Alger se réveille doucement en ce samedi humide où la chaleur revient incendier la ville après les gros orages du vendredi. Une chape de brume couvre la baie. A La Casbah, la plupart des échoppes sont fermées en ce début de matinée moite. Seuls les cafés connaissent un peu d’animation. Les fanions et les graffitis à la gloire du MCA, le Mouloudia club d’Alger, sont omniprésents.
Le vieux club algérois a remporté tous les suffrages. Les échafaudages qui soutiennent les vieilles pierres témoignent de l’ampleur des travaux qui ne s’arrêtent jamais dans la vénérable cité historique. Décidément, La Casbah est un chantier perpétuel.
Deux gamins se livrent à une partie de jeux en réseau en contrebas de la mosquée Sidi Ramdan. «Aujourd’hui, c’est jour de vote, mais je suis prêt à vous faire visiter les lieux charmants du coin», nous propose gentiment l’un des deux garçons qui n’a pas encore atteint l’âge légal pour choisir son Président. Au bazar à ciel ouvert de Zoudj Ayoune, en face de la bouche de métro, les vendeurs à l’étalage commencent à poser leurs tréteaux.
«On ne veut pas de l’anarchie»
08h35. Centre de vote Malek Bennabi, près du marché de Zoudj Ayoune. C’est l’un des huit centres de vote qui couvrent la commune de La Casbah. Le centre compte 14 bureaux. Il est encore tôt pour les premiers sondages. Un monsieur d’âge mûr émerge d’un bureau de vote après avoir glissé son bulletin dans l’urne. C’est Ammi Saïd, un habitant de La Casbah. «Oui, j’ai voté», dit-il en arborant son index maculé d’une encre mauve.
Ammi Saïd va bientôt fêter ses 70 ans. Il est né exactement le 8 novembre 1954, soit une semaine après le déclenchement de la Guerre de libération. «Je suis né juste après le début de la Révolution», répète-t-il fièrement en nous disant combien cette date fondatrice compte pour lui. «Il faut accomplir son devoir électoral.
C’est important pour le salut de notre pays !» insiste-t-il. «Je ne vais pas vous dire pour qui j’ai voté, cela ne regarde que moi. Le principal c’est de voter. On ne souhaite que lahna (la paix) pour notre pays», ajoute Ammi Saïd.
Ahmed, un autre votant, employé municipal de son état, fulmine en descendant les escaliers d’un autre bloc du même centre de vote. «Ils n’ont pas trouvé mon nom», peste-t-il. «Pourtant, j’ai l’habitude de voter ici-même. J’ai voté au dernier scrutin présidentiel, en 2019.
Jamais je n’ai raté une élection», affirme-t-il. Et de marteler : «Je donne ma voix à celui qui œuvre pour l’intérêt du pays et s’échine à le rendre meilleur. Il faut barrer la route aux partisans du chaos et de la destruction. On ne veut pas de l’anarchie. On ne veut pas que notre pays devienne comme le Yémen. On veut la paix et la stabilité.»
«Il s’agit quand même d’une élection présidentielle»
A quelques encablures de là, le lycée Emir Abdelkader. Contrairement à ce que d’aucuns s’imaginent, ce centre de vote ne relève pas de la commune de Bab El Oued mais de celle de La Casbah. «C’est le principal centre de vote de la commune de La Casbah.
Il compte 27 bureaux de vote et totalise 6319 inscrits», nous dit le chef de centre. Le lycée Emir Abdelkader est un centre mixte, avec 3768 hommes et 2551 femmes. Les électeurs ne se bousculent pas encore au portillon en ce début de journée. Dans l’un des bureaux réservés aux hommes, il était recensé à 9h environ 10 votants sur 310 inscrits.
A un autre bureau, réservé aux femmes celui-là, le premier sondage enregistrait 3 votantes sur 214 électrices durant la première heure. «Vous savez, cela reste un jour de week-end. Les gens vont affluer un peu plus tard au cours de la journée. Les femmes votent généralement l’après-midi», explique le chef d’un bureau de vote. Un homme à la crinière blanche élégante fera remarquer après avoir voté : «L’essentiel c’est qu’il y ait un vote citoyen massif.» «On a assisté à une campagne électorale d’une grande sérénité.
En soi, c’est quelque chose d’exceptionnel», souligne-t-il. Pour cet autre citoyen, cadre administratif dans la quarantaine, la participation reste également un enjeu crucial. «Personnellement, j’ai toujours voté.
C’est très important de participer au scrutin. Il s’agit quand même d’une élection présidentielle.» Selon lui, c’est une opération politique empreinte de gravité. «Le vote est un rempart contre la violence. Par quel moyen voulez-vous produire le changement, sinon. Par la guerre civile ? Il faut toujours revenir vers l’urne. Même en islam, il y a la notion de ''choura'' qui est une consultation populaire.»
«Je vote pour mon pays»
Une dame pleine de verve, pédiatre à la retraite, à qui nous demandons ce que représentait pour elle ce moment électoral, répond instinctivement : «Je vote pour mon pays. J’aime mon pays et je souhaite le meilleur pour nos enfants.» Elle nous confie dans la foulée avoir longtemps vécu en France. «Je suis rentrée en 2000 et je ne le regrette pas», dit-elle.
Nous traversons Bab El Oued jusqu’à Triolet, avant de nous engager sur le boulevard Saïd Touati. Incursion au lycée Saïd Touati qui abrite l’un des plus grands centres de vote de Bab El Oued, voire le plus important. Après vérification de notre badge établi par l’ANIE et nos documents de presse, on consent à nous révéler les derniers sondages. L’un des responsables nous déclare que le centre compte 15 bureaux de vote couvrant 7000 électeurs hommes et femmes. A 10h, le centre a enregistré 123 votants.
«Le citoyen doit remplir son rôle»
Tout en haut de l’avenue Colonel Lotfi, à proximité du Groupe Taine, se trouve un petit centre de vote au sein de l’école Akid Lotfi. Un portrait du vaillant martyr est accroché à l’entrée de l’établissement. L’école compte 4 bureaux de vote, avec 1498 inscrits des deux sexes.
A 10h, le décompte était de 40 votants. Rania, 23 ans, étudiante en comptabilité et gestion, assure avoir voté avec conviction. «C’est la deuxième fois de ma vie que je vote. La première c’était aux dernières élections municipales. Pour moi, le vote, c’est à la fois un droit et un devoir citoyen. J’ai une préférence parmi les candidats, mais je n’en dirai pas plus.
Le citoyen doit remplir son rôle, ensuite, il appartient à l’Etat de faire ce qu’il doit faire.» Une professionnelle de la santé à la retraite, rencontrée dans le même centre de vote, indique pour sa part : «Je vote pour l’avenir de nos enfants. Nous, on a vécu notre temps. Nous devons préserver leur futur.» Elle dit voter aussi «pour consolider notre Etat». «Nous avons besoin de quelqu’un de sage à la tête du pays. Quelqu’un qui a de l’expérience, du vécu. Le pays va déjà bien et on voudrait qu’il soit encore meilleur», espère-t-elle.
«On veut la stabilité»
Un peu plus bas se profile un autre centre de vote, au niveau de l’établissement Mohamed Boudiaf. Celui-ci compte 8 bureaux de vote pour quelque 2800 inscrits. A 11h, il y a été recensé 122 votants. Djaffar, 68 ans, ancien professeur d’histoire-géo, estime que «les élections représentent une très bonne chose». «Et je pense, poursuit-il, qu’elles sont organisées de façon démocratique.
Nous avons le choix entre trois candidats qui représentent différents courants, et ça, en soi, est un gage de démocratie. Nous souhaitons davantage de prospérité pour l’Algérie qui, aujourd’hui, se porte très bien et a une voix qui compte sur la scène diplomatique. Cette élection va contribuer à apporter plus de stabilité à notre pays. Nous souhaitons un grand succès à notre Président. Puisse son action connaître plus de réussite dans tous les domaines.»
Prochaine escale : le centre de vote du CEM Pasteur, à Alger-centre. Le collège héberge 18 bureaux de vote pour un total de 4200 électeurs hommes et femmes, précise le chef de centre. Il ne lui a pas été possible, en revanche, de nous communiquer le dernier sondage.
«J’hésite entre Tebboune et Aouchiche»
Un jeune homme s’affaire à ranger sa carte de vote dans son portefeuille à sa sortie de l’isoloir. Il est un peu intimidé lorsque nous nous enquerrons de son sentiment vis-à-vis de cette élection. C’est la première fois qu’il vote, nous apprend-il.
Il a tout juste 19 ans et il est étudiant en mathématiques et informatique à l’université de Bab Ezzouar. Ce scrutin représente donc tout d’abord pour lui sa toute première expérience électorale. Il résume son geste civique d’un laconique : «N’voti bech tetssaguem lebled.» (J’ai choisi de voter pour que le pays aille mieux). Un autre électeur, Toufik, 58 ans, cadre gestionnaire, explique que «c’est un acte citoyen» et «un moyen de changement pacifique».
Amir, 28 ans, officier de marine marchande, a tenu lui aussi à faire usage de sa carte d’électeur sous une chaleur accablante et un taux d’humidité suffocant. Il vit, glisse-t-il, entre l’Algérie et l’Angleterre. «Chaque fois que je suis à Alger, je vote. En 2019, j’ai voté Benflis. Cette fois, j’hésite entre Tebboune et Aouchiche», confie-t-il. «Le vote, c’est crucial. Chaque voix dans l’urne compte. C’est l’expression de notre souveraineté en tant que citoyens» plaide le jeune navigateur.