Les Jeux olympiques organisés par la capitale française, pour l’édition 2024, ont été caractérisés par une sérieuse atteinte aux valeurs fondamentales de l’olympisme, que sont la morale et l’éthique. Au plan de la morale sportive, la France, faisant de la laïcité et des droits de l’homme, des exigences immuables, a largement failli sur ce volet, lors de la cérémonie d’ouverture.
Cette dernière a toujours constitué une opportunité, pour le pays organisateur, de rappeler son parcours historique au plan culturel et sportif, les Jeux olympiques représentant une belle occasion de promouvoir le tourisme dans le pays et le rapprochement entre les peuples de la planète, sans discrimination aucune.
Les manifestations, défilées lors de la cérémonie d’ouverture, ont suscité des réactions de désapprobation de la part de l’ensemble des communautés religieuses, y compris celle que les organisateurs français ont voulu exhiber, pour des motifs identitaires, en dépit de l’esprit de laïcité constamment revendiqué. La valeur respect, que l’olympisme ne cesse de rappeler, doit prendre en compte la diversité culturelle et cultuelle des nations participantes et des milliards de spectateurs qui suivent, à travers les chaînes de télévision, l’événement sportif planétaire, que représentent les Jeux olympiques.
Le nudisme étalé lors de la cérémonie d’ouverture est loin de cette valeur de respect prônée par l’olympisme, né en Grèce et organisé pourtant, sur des bases modernes, par un Français, le baron Pierre de Coubertin. Cette attitude, plus proche du comportement animal qu’humain, confirme la dérive des mœurs qui semble constituer une fierté pour la nouvelle génération de la société française. En 1993, l’Assemblée générale des Nations unies adopte, par consensus, une résolution intitulée «pour l’édification d’un monde pacifique et meilleur grâce au sport et à l’idéal olympique» invitant ses Etats membres à respecter la trêve olympique et à chercher, conformément aux buts et principes de la charte des Nations unies, le règlement de tous les différents internationaux, par des moyens pacifiques et diplomatiques.
C’est à ce titre que la Charte olympique invite les nations du monde à observer une trêve des hostilités durant la période des Jeux olympiques. Malheureusement, ce qui se déroule à Ghaza et, à un degré moindre, en Ukraine, ne semble pas répondre aux souhaits de l’olympisme, malgré la promesse du président français, Emmanuel Macron, de «vouloir tout faire pour avoir une trêve olympique durant les Jeux».
En fait, la volonté du chef d’Etat du pays organisateur des JO 2024 est davantage liée au risque d’attentat sur les lieux de déroulement de cet important tournoi sportif, qu’aux supplices subis par les populations bombardées, sans distinction, à Ghaza. La décision du CIO d’imposer le caractère apatride aux athlètes russes et biélorusses durant les Jeux olympiques de Paris, alors que ceux d’Israël n’y sont pas contraints, confirme l’absence de neutralité politique au niveau des dirigeants de l’instance sportive mondiale. Le scandale réside dans le silence complice des présidents de CNO (Comités nationaux olympiques) composant l’assemblée générale du CIO, lesquels semblent plus préoccupés par les privilèges de leurs carrières dans le monde sportif que par la vie de milliers d’innocents, victimes de conflits guerriers.
Au plan éthique, la polémique engendrée par le cas de la boxeuse algérienne, Imane Khelif, mérite que les dirigeants de l’instance sportive mondiale revoient les textes réglementaires relatifs aux conditions physiques et biologiques de participation aux compétitions sportives, particulièrement pour le sport féminin. Imane Khelif avait subi antérieurement une disqualification humiliante, qui aurait pu la pousser à arrêter sa carrière sportive, si elle n’avait pas un mental solide. Le caractère hyperandrogénique (taux de testostérone anormalement élevé) de la boxeuse n’est pas lié à des modifications hormonales d’origine externe, mais provient de la nature même de son organisme.
Où est la faute de la personne concernée, pour la sanctionner et la priver de la pratique sportive aussi bien dans la catégorie féminine (biologiquement masculine) que masculine (physiquement féminine) ? Comment agir alors face aux garçons qui présentent des attitudes féminines, probablement liées à des troubles hormonaux, doit-on les disqualifier de la participation masculine ? Doit-on punir sportivement un basketteur, parce que la nature lui a offert une taille qui lui permet de déposer simplement la balle dans le panier ?
Doit-on éliminer des courses, des athlètes qui ont un avantage anatomique au niveau des muscles (plus de fibres lentes ou de fibres rapides) ? Je pense que la logique de participation devrait respecter la nature et juger les athlètes sur leurs simples caractéristiques physiques innées et non issues de transformations volontaires. Les dirigeants de l’instance olympique internationale gagneraient à prendre en considération la nature humaine, afin d’éviter toutes les polémiques humiliantes et discriminatoires.
Bannir toute forme de discrimination
Le sport est la seule activité qui réussit à rassembler des milliers, voire des millions de personnes, sans exclusion d’âge, de sexe, de nationalité, de religion et de couleur. Il peut permettre ainsi de rapprocher les populations à travers le monde et de contribuer à asseoir la paix et la tolérance. L’olympisme, qui a pour bases fondamentales, l’éthique et la morale, doit bannir toute forme de discrimination et promouvoir l’union sacrée des peuples.
Dans ce cadre, l’exigence de la non-politisation du sport, prônée par le CIO, était encourageante et salutaire, offrant même à cette activité l’opportunité d’agir en faveur de l’apaisement des conflits (diplomatie sportive). Les règlements relatifs à la gestion du sport mondial, doivent émaner d’une réflexion sage, tenant compte de la réalité de terrain et des spécificités nationales. C’est à ce titre que j’ai suggéré, à plusieurs reprises, durant mon mandat à la tête du Comité olympique algérien, de remplacer les hymnes nationaux (symboles politiques les plus forts) par l’hymne olympique, afin de ne pas gêner les athlètes représentants des nations en conflits diplomatiques.
On ne peut pas rassembler et rapprocher les populations, en imposant des directives favorables aux uns et défavorables aux autres. Les divergences d’ordre politique, ethnique, religieuse, sont une réalité avec laquelle il faut savoir composer intelligemment, afin d’arriver à une démarche consensuelle qui puisse mettre le sport à l’abri des manipulations malsaines. Les dirigeants du sport mondial, qui ont exigé que la politique reste en marge de cette activité, doivent eux aussi éviter de s’impliquer dans les affaires politiques. La neutralité doit être strictement respectée, afin que les joutes sportives puissent constituer un moment d’union, sans aucune exclusion. Le traitement différencié, par le CIO, des conflits sanglants que traverse le monde actuellement n’est ni en conformité avec la charte olympique, ni acceptable au plan éthique et moral.
La décision d’interdire la participation aux JO-2024 à un pays dont l’armée est en conflit avec celle d’une autre nation, tout en autorisant la participation d’un Etat massacrant des civils désarmés, n’honore pas l’image d’une institution mondiale, censée véhiculer des valeurs de paix et de tolérance.
Les responsables du sport universel doivent revoir leur manière de gérer cette activité, sur la base de ses valeurs fondamentales. Les textes réglementaires ne doivent pas refléter la seule vision occidentale du mode de gouvernance, mais tenir compte des spécificités politique, culturelle et cultuelle des sociétés concernées. Il appartient aux instances mondiales du sport de s’adapter aux caractéristiques particulières des nations engagées et d’élaborer des textes réglementaires qui puissent susciter le consensus. C’est le seul moyen de permettre au sport de jouer efficacement son rôle de véhicule rassembleur et promoteur de la paix et de la tolérance.
Le monde politique occidental a voulu imposer à l’ensemble des Etats planétaires, son modèle de démocratie, il a précipité de nombreux pays dans l’instabilité et les guerres civiles. Les responsables du sport mondial doivent en tirer des leçons, pour préserver la noblesse de cette activité et en faire un solide trait d’union universel.
Par Rachid Hanifi
Professeur de médecine du sport
Ancien président du COA