La créature desséchée a les yeux creux, la bouche entrouverte hérissée de dents et les mains rapprochées du visage comme dans une expression d’effroi. Et le reste de son corps, d’une trentaine de centimètres de long, ne fait qu’intensifier son étrangeté : son torse est prolongé par une queue recouverte d’écailles semblable à celle d’un poisson.
Cette «momie de sirène» a été retrouvée dans une boîte au sein d’un temple de la préfecture d’Okayama au Japon, selon The Asahi Shimbun. En mars 2022, elle faisait déjà l’objet d’une étude menée par des scientifiques dans le but de percer son secret. Hiroshi Kinoshita, membre de l’Okayama Folklore Society, est l’un d’entre eux. Il a découvert l’existence de cet intrigant spécimen en consultant des documents rédigés par Kioaki Sato, un naturaliste du bourg de Satosho, situé au sud-ouest de la préfecture. Ce dernier est supposé avoir écrit la première encyclopédie japonaise sur les yokai, goules et autres créatures surnaturelles du folklore nippon. Après être tombé sur la photo de la «momie de sirène», Hiroshi Kinoshita a mené des recherches et appris qu’elle se trouvait au temple d’Enjuin à Asakuchi, où elle avait été exposée dans une vitrine pendant quarante ans afin que les visiteurs puissent prier. Avant d’être placée et conservée dans un coffre coupe-feu pour ne pas qu’elle se détériore davantage.
Une momie au scanner
Intrigué, Kinoshita a convaincu les responsables du temple et des scientifiques de mener une étude pour en savoir plus sur la dépouille. Des recherches qui ont démarré le mois dernier à la Kurashiki University of Science and the Arts. Le 2 février, la momie a été sortie de son coffret pour être passée au scanner, relate The Asahi Shimbun. En 2022, les scientifiques projetaient également de réaliser des prélèvements pour mener des analyses ADN. A partir des images et des données récoltées, ils espéraient pouvoir percer le secret de la momie et déterminer notamment comment elle a été fabriquée. Car le spécimen n’aurait rien d’authentique malgré les indications qui l’accompagnaient. Le coffret contenait en effet une note datée de 1903 précisant que la créature aurait été capturée dans un filet de pêche sur la côte de la province de Tosa – l’actuelle préfecture de Kochi – entre 1736 et 1741. Elle aurait ensuite été achetée par une certaine famille Kojima avant d’être transmise à d’autres propriétaires au début de l’ère Meiji, qui a démarré en 1868.
Comment la momie est-elle arrivée dans le temple d’Enjuin ? Mystère. Mais elle ne serait pas la seule connue. Selon Hiroshi Kinoshita, d’autres spécimens similaires auraient servi d’objets de culte dans les temples du mont Koya, dans la préfecture de Wakayama, et sur l’île Amami O-shima, dans la préfecture de Kagoshima.
Des sirènes et des légendes
«Il existe une légende d’immortalité autour des sirènes japonaises», a expliqué Hiroshi Kinoshita, repris par le site britannique Metro. «Elle dit que si vous mangez de la chair de sirène, vous ne mourrez jamais. Il existe ainsi une légende racontant qu’une femme a accidentellement mangé de la chair de sirène et a vécu pendant 800 ans». «Cette légende ‘‘Yao-Bikuni’’ est également préservée à proximité du temple où la momie de sirène a été trouvée», a-t-il précisé. Et «j’ai entendu que certaines personnes, croyant en cette légende, mangeaient les écailles des momies de sirène». Une autre croyance suggère que ces créatures pourraient aussi prévenir les maladies infectieuses. «Nous l’avons honorée, en espérant que cela pourrait aider à atténuer la pandémie de coronavirus ne serait-ce qu’un peu», a confirmé Kozen Kuida, grand prêtre du temple d’Enjuin à The Asahi Shimbun. Hiroshi Kinoshita est lui plus pragmatique et pense que le spécimen pourrait être constitué des corps de deux animaux attachés. Une telle fabrication ne serait pas sans précédent. L’exemple le plus connu est celui de la sirène des Fidji, un spécimen présenté dans les années 1840 par l’Américain Phineas Taylor Barnum dans son musée de New York. Long d’environ 90 centimètres, celui-ci avait soi-disant été capturé au large des îles Fidji et acheté par la suite par des marins japonais.
Un torse de singe attaché à la queue d’un poisson ?
Il s’agissait en réalité d’un montage constitué de la tête et du torse d’un jeune singe attachés au bas du corps d’un poisson. Il pourrait donc en être de même pour la sirène d’Enjuin. Takafumi Kato, professeur spécialisé en paléontologie de l’université de Kurashiki, sera chargé d’étudier la partie supérieure du corps et le traitement de la momie. C’est un professeur spécialisé en ichtyologie – science qui étudie les poissons –, qui a planché sur la partie inférieure tandis qu’un autre, spécialisé en biologie moléculaire, a mené l’analyse ADN. Hiroshi Kinoshita s’est, quant à lui, concentré sur les liens entre la relique et le folklore nippon. «J’espère que le projet de recherche pourra livrer des données (scientifiques) pour les futures générations», indiquait en 2022 Kozen Kuida.
Aucune trace de vie dans la momie
Une nouvelle étude, décrite par Arkeonews, révèle finalement toute la banalité de cette momie. Malheureusement, la science a tranché : non, aucune créature organique n’est à l’intérieur. Pour le savoir, des chercheurs de l’université Kurashiki ont réalisé un scanner de la statuette et ont découvert qu’elle était faite de papier, de coton et de tissu. Il y a tout de même des traces d’animaux : des morceaux de poisson pour faire la queue et les dents, un mammifère pour le visage. Mais tout cela a été ajouté par la personne qui a fabriqué l’objet.
Des analyses de datation ont révélé qu’elle avait été fabriquée plus tard que ce que suggéraient les précédentes analyses : vers la fin du XIXe siècle. Une période pendant laquelle le Japon était frappé par des épidémies, comme la variole. Cette statuette aurait sans doute servi de porte-bonheur pour se protéger des maladies.