A la pointe de la Botte italienne, un procès historique met un coup dur à la féroce ‘Ndrangheta. Mais son ombre pèse encore sur le quotidien des Calabrais.
Sur une plage de la mer Ionienne, le Lido Paradise n’a plus rien d’un paradis. De cet établissement balnéaire confisqué à la mafia, il ne reste que des murs, un escalier, des cendres. Les attaques se multiplient, indique Maria Teresa Fragomeni, la toute nouvelle maire de Siderno, commune de la Locride située sous la semelle de la Botte italienne et berceau de la ‘Ndrangheta, la puissante mafia calabraise.
Dans la cité, qui sort de trois ans de tutelle judiciaire pour infiltrations mafieuses, Maria Teresa Fragomeni a été accueillie, peu après son élection en octobre, par un «avertissement» : des véhicules municipaux brûlés et une cartouche d’arme posée sur le rebord d’une fenêtre de la mairie.
Une preuve que la Pieuvre continue de vouloir affirmer son emprise sur son nid calabrais, malgré le coup dur du procès d’ampleur qui s’est ouvert en janvier 2021 à Lamezia, dans le centre de la région, pour au moins deux ans. Un premier verdict historique a condamné, le 6 novembre, 70 des 355 accusés. «On ne se laissera pas intimider, nous devons reprendre en main notre avenir», a promis l’édile de Siderno.
Un tracteur calciné
L’intimidation, Pino Trimboli n’y a jamais cédé. Sur les hauteurs de la Locride, les mafiosi ont disparu de son restaurant depuis deux ans. Une paix gagnée après avoir brisé l’omerta et porté plainte pour menaces de mort. «Si je ne payais pas ce qu’ils me demandaient, ils me brûleraient moi, mes enfants, mon restaurant», raconte le cuisinier en tablier.
Malgré l’azur de la mer et le camaïeu vert des monts, en Calabre c’est tout noir ou tout blanc, tu ne peux pas rester neutre. Lui a pris le risque de choisir la légalité .
Tout comme cette ferme, à quelques kilomètres de là, préservée depuis 2015 par une série de «fêtes» pour mobiliser l’opinion publique après chaque attaque. A son entrée, trône encore un tracteur calciné, dernière trace de 7 ans d’agressions mafieuses.
Visibilité et effet de groupe protègent ces résistants, affirme Vincenzo Linarello, président de la coopérative antimafia Goel. Ce groupe de 350 agriculteurs, entrepreneurs et citoyens s’est donné pour mission de combattre la plus puissante des mafias (le chiffre d’affaires de son trafic international de cocaïne est estimé à 50 milliards d’euros par an).
Ici, le paysage est altéré par des palazzi inhabités et des constructions inachevées, symptômes d’un abandon de l’extrême Sud italien. Dans la Locride, 60 à 70% des jeunes sont au chômage.
Plus la ‘Ndrangheta s’enrichit, plus la Calabre s’appauvrit, se révolte l’insoumis quinquagénaire. A défaut de pouvoir se battre à armes égales contre la ‘Ndrangheta, tel David contre Goliath, Goel puise ses forces ailleurs : la revalorisation du territoire et la relance de l’économie de façon «éthique».