Le succès des accords de paix de 1998 en Irlande du Nord peut se mesurer par les milliers de vies sauvées, juge l'ancien Premier ministre irlandais Bertie Ahern dans un entretien à l'AFP à l'approche du 25e anniversaire de cet accord historique. L'ex-dirigeant, âgé aujourd'hui de 71 ans, a joué un rôle capital dans les négociations et l'application de l'accord du Vendredi Saint, en tant que Premier ministre de 1997 à 2008. "Ces 25 dernières années, heureusement, nous avons connus des problèmes, mais de petits problèmes", a-t-il estimé, affirmant "espérer que cela continue comme cela". "Je pense que la chose qui me rend le plus fier... c'est que des milliers de personnes sont toujours en vie", a-il ajouté. L'accord du Vendredi Saint a mis fin à trois décennies de violences qui ont fait 3.500 morts, entre unionistes attachés à l'appartenance au Royaume-Uni, surtout protestants, et républicains en majorité catholiques, avec l'implication de l'armée britannique. Les négociations entre les différentes parties impliquées pour mettre fin à ce conflit, pudiquement appelé "troubles", se sont achevées par trois semaines de discussions "effrénées", durant "nuits et jours", se souvient Bertie Ahern. Dans le cadre de cet accord, dont les Etats-Unis sont le garant, les deux camps ont accepté de déposer les armes, de supprimer la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, et également de mettre en place un système de partage du pouvoir entre républicains et unionistes dans la province. Vingt-cinq ans plus tard, même si les murs et les miradors sur l'ancienne frontière ont été détruits et que les troupes britanniques sont parties, l'autorité sur la province reste disputée, désormais essentiellement de manière pacifique, entre les nationalistes irlandais et les unionistes.
"Montagnes russes" du Brexit
Le Brexit et l'émergence d'une majorité pro-irlandaise menée par le parti républicain Sinn Fein ont relancé les inquiétudes sur l'avenir de la province, qui n'a jamais semblé plus incertain depuis 1998. "Depuis le Brexit, ce sont les montagnes russes", juge Bertie Ahern, qui se dit "totalement frustré et déçu par l'ancien gouvernement de Boris Johnson", Premier ministre britannique de juillet 2019 à septembre 2022, tenant d'une ligne dure dans les discussions avec l'Union européenne. "Nous sommes passés par de longues périodes sans aucun dialogue ou presque entre l'Union européenne et le Royaume-Uni", regrette-t-il. Depuis près d'un an, le gouvernement nord-irlandais est paralysé par le boycott du Parti démocratique unioniste (DUP), pro-Royaume-Uni, qui s'oppose aux règles de commerce avec l'UE mises en place depuis le Brexit pour éviter la reconstitution d'une frontière physique entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Mais Bertie Ahern espère que le récent accord conclu début mars entre Londres et Bruxelles pour ajuster ces règles suffira à convaincre le DUP. "Les principaux problèmes ont été réglés", estime l'ancien Premier ministre, qui salue "l'énergie" mise par l'actuel Premier ministre britannique, Rishi Sunak, dans les discussions avec l'UE. "Maintenant, je pense qu'elle estime avoir un vrai partenaire", ajoute-t-il. La tentative d'assassinat sur l'agent de police nord-irlandais John Caldwell en mars, pour laquelle la police soupçonne un groupe dissident de l'IRA, a toutefois agi comme une piqûre de rappel de ce que fut la violence quotidienne de la période des "Troubles" en Irlande du Nord. "Il y aura toujours, je pense, des personnes des deux côtés qui sont contre l'accord. Je pense que le mieux que nous pouvons faire est d'essayer de les emmener à s'y opposer d'une manière plus pacifique", estime Bertie Ahern. "Il y a encore du travail à faire sur ce sujet. Les chiffres sont faibles, mais chaque incident est un problème", insiste l'ancien dirigeant qui depuis 2008 a mis son expérience dans la résolution des conflits dans des pays comme la Colombie ou la Birmanie. Son retour en février au sein de son ancien parti politique Fianna Fail, duquel il avait démissionné en 2012 sur fond de scandale financier, a entraîné des spéculations sur sa volonté de se présenter à la présidentielle irlandaise. Pour Bertie Ahern, l'accord, qui avait été approuvé par une majorité écrasante à la fois en Irlande du Nord et en Irlande tiendra dans la durée "parce que c'est la volonté du peuple", au nord comme au sud.