Malgré un cadre juridique non discriminant, les femmes ne représentent que 7,6% de la population des chefs d’entreprise à travers le pays, selon une étude.
Considéré comme un baromètre déterminant le degré de l’émancipation de la femme et sa participation au développement, l’entrepreneuriat féminin reste très faible en Algérie. Malgré un cadre juridique non discriminant, les femmes ne représentent que 7,6% de la population des chefs d’entreprise à travers le pays, selon une étude réalisée en décembre dernier par les Drs Khalida Bouhara et Sultana Bouzadi sur ce sujet.
En 2018, une association féminine – Savoir et vouloir entreprendre - SEVE – a fait état de 15 000 femmes patronnes à l’échelle nationale. Ce chiffre aurait nettement augmenté depuis, mais il reste loin des standards internationaux. L’Algérie est dépassée dans ce domaine par des pays comme la Tunisie, l’Inde, le Ghana, le Maroc, le Botswana, les Emirats arabes unis, etc. Cela est d’autant plus incompréhensible que le niveau d’instruction a toujours été plus important chez les filles que les garçons.
Outre le manque d’accompagnement et de financement, beaucoup de spécialistes s’accordent à dire que le conservatisme, les préjugés et les difficultés de concilier entre la vie professionnelle et la vie familiale sont les principaux obstacles qui dissuadent les femmes à investir la sphère économique.
Vaincre les préjugés
Baâli Karima (53 ans) est apicultrice depuis 2014. Native de Beni Amrane (Boumerdès), cette mère de 6 enfants est un exemple de persévérance et de réussite. Il y a quelques mois, elle avait plus de 200 ruchers et employait cinq personnes, mais elle a tout perdu suite aux incendies de forêt de juin dernier. Huit mois plus tard, aucune indemnisation. «L’Etat a indemnisé tout le monde : les arboriculteurs, les éleveurs, sauf moi», dit-elle.
Cette femme, devenue célèbre dans sa région pour être chauffeur de camion, avait bénéficié d’un crédit Cnac de près de 300 millions. «J’ai déjà remboursé 80% du crédit. Si la conservation des forêts avait accepté ma demande de terrain, mes ruchers auraient été mieux protégés contre les flammes et je ne serais pas chômeur comme je le suis aujourd’hui», s’indigne cette apicultrice qui vit des jours difficiles après la cessation de son activité.
Samira (43 ans) est couturière à Dellys. Divorcée, elle a 4 enfants à charge. Après des années de tracasseries administratives, elle obtient un crédit Angem puis un local. Mais son statut et les préjugés d’un environnement où le conservatisme reste pesant ont énormément freiné son émancipation.
Son local a fini par lui être retiré par une commission au prétexte qu’elle ne l’ouvre pas tous les jours. «J’ai des charges et des responsabilités. Je ne suis pas censée être tout le temps dans mon local», justifie-t-elle.
Des dizaines d’autres femmes sont dans la même situation et n’ont pas de local où exercer leurs activités. «Les femmes qui disposent de cartes d’artisan n’ont pas droit aux crédits Cnac et Anade (ex-Ansej) et ne peuvent pas obtenir de locaux auprès de l’OPGI ou l’AADL, comme c’est le cas pour les autres porteurs de projets. Auparavant, les femmes au foyer déboursaient 1000 DA pour avoir un certificat de qualification. Ce montant est porté à 8500 DA aujourd’hui», déplore Mohamed Charef, président de la Fédération des artisans de la wilaya de Boumerdès.
Pour Djoher Abderrahmane et Rachida Imekhelaf de l’université d’Oran, «les plus grands défis auxquels font face les femmes désirant créer une entreprise sont la peur de se lancer à cause de l’image négative des femmes entrepreneures dans la société, les faibles moyens financiers et le manque de soutien de l’entourage». «Jusqu’à la fin des années 1980, l’entrepreneuriat était réservé à la gent masculine.
Même si le capital humain que représente la population féminine demeure une richesse insuffisamment exploitée, ce n’est que durant ces deux dernières décennies qu’on constate l’émergence de l’entrepreneuriat féminin», écrivent-elles dans une publication sur l’entrepreneuriat féminin.
Manque d’accompagnement
Malgré les obstacles, il y a bien des femmes qui ont réussi dans le monde des affaires. Bourkaib Nadia (44 ans) est gérante d’une unité de production d’emballage à Réghaïa. Pour elle, le regard de la société envers les femmes actives a beaucoup changé.
Licenciée en commerce, la décision de lancer sa propre entreprise est venue suite aux aléas subis quand elle travaillait chez les autres. Aujourd’hui, son rêve est d’obtenir un terrain, soulignant qu’elle loue à 250 000 DA/mois. «On a déménagé trois fois. Et cela nous a valu la perte de tous les avantages fiscaux dont on devait bénéficier. Si l’Etat nous donne un terrain, je pourrais doubler la production et le nombre d’emplois», confie-t-elle.
Même doléance de Mme Rabhi, gérante d’une entreprise de production de chips employant 35 personnes. Pour elle, ce n’est pas les stéréotypes sociétaux qui justifient la faible présence des femmes dans le monde des affaires, mais plutôt le manque de moyens et d’accompagnement.
Pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin, l’Etat a mis en place plusieurs dispositifs, tels que l’Ansej (devenu Anade), la Cnac, l’Angem, l’Andi, etc. Néanmoins, les femmes ne représentent que 10% des bénéficiaires de l’Ansej et la Cnac.
Les femmes entrepreneures sont plus présentes dans les activités libérales (45,16), l’artisanat (17,11), les services (16,42) et l’industrie (14,29), lit-on dans l’étude de Khalida Bouhara et Sultana Bouzadi. L’Angem, elle, semble très prisée par les femmes, puisqu’elles représentent 62% des bénéficiaires.
Le défaut de ces dispositifs réside dans le fait que le soutien se limite au volet financement. D’où la nécessité, selon de nombreux spécialistes, de créer des réseaux féminins qui puissent inculquer la culture de l’entrepreneuriat aux femmes et les accompagner pour mieux réussir dans leur vie familiale et professionnelle. L’entrepreneuriat féminin ne doit pas être appréhendé comme une question économique uniquement. Sa promotion pourra transformer toute la société.