La santé au-devant de la scène publique dans le monde entier. Nous n’avons pas vu depuis très longtemps une pression aussi importante exercée par une seule maladie transmissible sur toutes les politiques et systèmes de santé dans le monde.
Ses conséquences énormes sur l’économie mondiale ont largement démontré, s’il en est encore besoin, le rôle et la place de la santé dans le développement. Les choix des stratégies de développement dans tous les secteurs deviennent des enjeux d’une importance capitale dans la recherche des meilleures voies et moyens d’atténuation ou de sortie de «crise».
Mais croire que la pandémie a été le seul déterminant dans la survenue de la crise mondiale actuelle dans toutes ses dimensions et ses composantes relèverait d’une simplification et occulterait le poids d’un système économique et politique mondial dominant flétrissant. Désormais beaucoup de voix s’élèvent pour dire que la pandémie n’a été qu’un révélateur de l’essoufflement de ce système libéral mondial vieillissant et toujours néfaste. Dans le domaine sanitaire, cette pandémie a remis en cause les politiques et systèmes de santé dans leur fondement dans le monde entier et non pas uniquement dans leur organisation, financement ou autre volets constitutifs.
A l’instar des autres pays, l’Algérie a subi aussi les effets de cette crise. Le secteur de la santé publique a été mis à rude épreuve durant cette pandémie. Au décours d’une certaine décrue de celle-ci, l’heure dans le monde et chez nous est au bilan et à l’analyse. Comment, à l’avenir, mieux répondre et éviter de telles catastrophes ? Quels changements apportés aux politiques et systèmes de santé voire au delà pour parvenir à ces résultats? Tels sont entre autres les principales préoccupations qui dominent actuellement dans le monde.
Dans ce nouveau contexte et à la lumière de ces constats, nous nous proposons d’essayer d’introduire une réflexion profonde sur la politique de santé en Algérie.
Cette réflexion est d’actualité dans notre pays dans la mesure où une opportunité de l’engager s’est offerte, en début d’année, avec la rencontre nationale de «relance du système de santé». Rencontre malheureusement terminée en queue de poisson en l’absence d’une part, de presque tous les acteurs organisés du secteur public et, d’autre part de vision et d’objectifs clairement définis. Les tergiversations et les hésitations enregistrées sur la nature et les objectifs de cette rencontre passant en quelques semaines à peine d’ «Assises nationales» à «Rencontre sur la modernisation du système de santé» puis « Rencontre pour le renouvellement du système de santé» et finir par une «Rencontre nationale sur la relance du système de santé», attestent à elles seules de son insuffisance de clarté et de ses déboires.
Ces «rencontres» nationales sur la santé son devenues un «rite» que la plupart des nouveaux chefs du département ministériel observent, malgré un turn over important de ce poste accordant pourtant peu de temps à leur organisation. La plupart des ministres de ces dernières décennies qui arrivent à la tête du secteur pensent et ou déclarent que les échecs durant les débuts de leur mandat sont dus à l’héritage reçu. Si ces avis se tiennent au vu de la performance du secteur durant ces dernières décennies, par contre aucune solution n’a été apportée par ces responsables pour permettre à leur successeur de ne pas faire le même constat. Selon toute apparence le problème est plus complexe, structurel et pas uniquement sectoriel.
Une dizaine de syndicats du secteur public ont refusé de participer à cette «Rencontre nationale sur la relance du système de santé» dont l’objectif est de conclure les rencontres régionales qui l’ont précédée et d’adopter les textes définitifs qui devraient gérer la santé durant les années à venir. Outre des problèmes liés entre autres à des insuffisances de dialogue que revendiquent, à juste titre, certains «partenaires sociaux», l’une des principales raisons de refus de participation à cette rencontre nationale avancée est le fait «qu’au lieu d’aller vers ces rencontres nationales, il faut plutôt «l’application de la loi sanitaire de 2018, de la carte sanitaire validée en 2015 et de la Réforme hospitalière adoptée en Conseil des ministres en juin 2021».
Et c’est plusieurs problèmes de fond qui sont soulevés à travers cette déclaration dont l’un des plus importants est celui de la place et du rôle des textes de loi dans les réformes. Si ce refus de participation à l’élaboration de nouveaux textes est plutôt inédit, sa principale raison invoquée, la non application de textes antérieurs, est loin d’être nouvelle dans l’histoire.
Des spécialistes de sciences sociales, entre autres, se sont déjà penchés sur cette question de fond il y a des décennies. Pour ces juristes et sociologues dans des pays comparables à l’Algérie «la loi est en avance sur la société, on se bat plus pour faire appliquer la loi que pour la transformer...» (Bouderballa, Pascon). Cependant si cet avis a le mérite de poser un problème de fond global est récurrent, il reste à un niveau de constat qui n’éclaire pas beaucoup sur ses déterminants.
L’identification et la réflexion de ces derniers devient nécessaire si l’on veut aller de l’avant. Sans en faire un état exhaustif de ces déterminants, nous nous proposons d’en citer au moins cinq qui nous paraissent les plus importants. Les trois premiers, de poids relativement modeste, sont plutôt d’ordre «méthodologique» : c’est primo, l’absence d’étude de faisabilité des décisions prises, deuxio, l’absence d’élaboration et d›analyse des conditions de mise en œuvre de ces textes et tertio, l’insuffisance voir aussi l’absence d’une analyse objective de la situation avant la rédaction de ces textes.
Le quatrième, plutôt utopique dans le contexte actuel, est d’ordre politique: l’absence de mise en place d’un comité autonome de suivi de l’application des textes adoptés. Le dernier, de loin le plus important, est d’ordre historique et réside dans le fait que les textes n’ont jamais changé radicalement la société ou le politique, encore moins quand ils sont conçus dans un cadre fortement «sélectionné» et un tantinet corporatiste. Au contraire, ce sont les transformations sociales qui finiront par s’incruster et se fixer dans les textes de loi. Seuls ces derniers textes trouvent la voie de mise en œuvre et ont un impact et un sens dans l’histoire. Ceci explique pourquoi nos nombreux textes sont peu applicables. Certains sont même souvent en décalage voire en contradiction avec la réalité.
Les «partenaires sociaux» demandent une application des textes de loi qui datent de plus de 5 ans. En fait, ils auraient pu tout aussi bien demander l’application des textes qui datent de plus de 30 ans comme la loi sanitaire du 16 février 1985. Un simple regard sur ces deux textes de loi séparés de 37 ans révèle très vite une similitude presque parfaite de leurs «principes fondamentaux» essentiels : le droit à la santé, l’égalité devant les soins, un secteur public fort et dominant pour ne citer que ceux-là. Où en sommes-nous aujourd’hui par rapport à ces nobles valeurs?
Une dégradation continue du secteur public où, en particulier, une détérioration des conditions socio-économiques et des conditions de travail de la corporation médicale a atteint un degré tel qu’elle a poussé cette corporation à une certaine démobilisation et à tourner le dos au secteur public au profit de la pratique libérale curative, lucrative, inflationniste, non remboursée et incontrôlable. Cette détérioration a également contribué à pousser une autre partie de cette corporation à l’émigration.
C’est une énorme frustration pour le praticien et un grand préjudice financier pour le malade. Ces départs massifs d’une corporation naguère presqu’entièrement attachée au secteur public réduit sensiblement l’accessibilité aux soins d’une grande partie de la population. Le secteur privé en grande expansion est devenu dominant dans la très grande majorité des activités de soins, aggravant de facto les inégalités devant ces derniers.
L’Algérie a choisi consciemment ou inconsciemment cette voie libérale dans la santé qui a pourtant montré ses limites et ses injustices scandaleuses à l’occasion de la pandémie Covid-19.
C’est actuellement la seule réforme en cours depuis des décennies. Et ce n’est ni la nomination d’un ministre délégué chargé de la réforme hospitalière ni les nombreuses «rencontres» sur la santé qui ont en changé ce cours. Alors que faire? Avant d’apporter des éléments de réponse à cette question fondamentale, il nous a paru d’abord nécessaire de dire ce qu’il ne faut pas faire. Il ne nous semble pas pertinent d’avancer de nouvelles propositions ou mesures sanitaires aussi intéressantes soient elles car, en l’absence des conditions matérielles nécessaires à leurs concrétisations, elles ne pourraient que grossir la série des textes non appliqués sans influencer radicalement la politique et la situation sanitaire.
Alors que faire? Dans la cohérence de notre analyse, la réponse est d’abord et avant tout dans les changements au sein de la société. Il revient en premier à la société organisée de juger des enjeux politiques majeurs actuels au sein du secteur mais au sein des autres secteurs et de mettre en place en conséquence, des programmes qui visent à transformer et à mobiliser la société dans sa majorité.
C’est aux partis politiques notamment de l’«opposition», aux «syndicats» et autres mouvements «associatifs» d’essayer de transcender la réalité actuelle marquée depuis la fin du hirak par une léthargie politique sans pareille et d’introduire une dynamique contradictoire vitale et capitale pour le progrès, la justice et le développement dans le pays. Quant à l’Etat, dont le devoir est d’œuvrer «à la concrétisation du droit à la santé comme droit fondamental de l’être humain» (Loi sanitaire 2018), il devrait probablement réviser sa feuille de route pour inverser la tendance politique actuelle et aller dans le sens de la concrétisation de cet objectif.
Par le Dr Abdelhak Bendib