Le gendarme européen de la concurrence va examiner l’investissement de Microsoft dans le pionnier de l’Intelligence artificielle générative, OpenAI, signe d’une inquiétude grandissante sur la domination de ce marché crucial par une poignée de géants américains.
La Commission européenne «vérifie si l’investissement de Microsoft dans OpenAI», le créateur de ChatGPT, «peut faire l’objet d’un examen au titre du règlement de l’UE sur les concentrations», a-t-elle déclaré mardi. Le géant des logiciels a investi environ 13 milliards de dollars dans la start-up californienne fondée en 2015. Microsoft a annoncé fin novembre qu’un représentant du groupe rejoindrait le conseil d’administration d’OpenAI en qualité d’observateur.
La commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, est attendue en Californie jeudi et vendredi où elle doit participer à une conférence sur l’antitrust dans le secteur des technologies à Palo Alto et rencontrer plusieurs grands patrons. Elle s’entretiendra avec les dirigeants d’Apple, Tim Cook et de Google, Sundar Pichai, ainsi qu’avec deux responsables d’OpenAI : la directrice de la technologie, Mira Murati, et le directeur de la stratégie, Jason Kwon. Bruxelles «examine certains des accords qui ont été conclus entre les grands acteurs du marché numérique et les développeurs d’intelligence artificielle (IA) générative et en particulier étudie l’impact de ces partenariats sur la dynamique du marché», selon le communiqué de la Commission.
Croissance exponentielle
L’IA générative permet de créer en quelques secondes des textes, des photos, des sons ou des vidéos, en réponse à une requête d’un utilisateur, pour un large éventail d’utilisations.
La technologie, dont la croissance devrait être exponentielle, va révolutionner le travail de certaines professions, avec une augmentation de la productivité et un gros impact attendu sur la compétitivité des entreprises. Les investissements en capital-risque dans l’IA au sein de l’UE sont estimés à plus de 7,2 milliards d’euros en 2023.
L’Europe espère disposer de futurs champions comme Aleph Alpha en Allemagne et Mistral AI en France. Mais, compte tenu des moyens financiers gigantesques déployés pour les développer, les autorités de la concurrence s’inquiètent du risque de capture de ces innovations par un petit nombre de géants du numérique comme Microsoft, mais aussi Alphabet, Meta ou encore le chinois Baidu.
L’Union européenne s’est accordée début décembre sur une régulation de l’IA inédite au niveau mondial. Elle doit permettre d’éviter certaines dérives tout en favorisant l’essor du marché. L’UE s’est aussi dotée d’un règlement des marchés numériques (DMA) qui s’appliquera début mars pour mieux lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des mastodontes du secteur.
«Des raisons d’être inquiets»
«L’intelligence artificielle a le potentiel de devenir le musée des horreurs de l’antitrust si on ne fait rien», avait déclaré fin novembre Benoit Coeuré, le président de l’Autorité française de la concurrence, lors d’une table ronde à Paris. «Il y a des raisons d’être inquiets.
On risque de voir dans ce domaine tout le catalogue des pratiques anticoncurrentielles (...) c’est-à-dire la vente liée, la vente groupée, les obstacles à l’accès aux données, les effets congloméraux et l’auto-préférence», avait-il expliqué. Le gendarme britannique de la concurrence (CMA) a d’ailleurs annoncé début décembre qu’il examinait le partenariat entre Microsoft et OpenAI. La CMA a ainsi lancé un appel à commentaires «aux parties et aux tiers intéressés». La Commission européenne a initié une démarche similaire, annonçant mardi qu’elle lançait «deux appels à contributions sur la concurrence», l’un concernant «l’intelligence artificielle générative» et l’autre «les mondes virtuels».
Les mondes virtuels sont des environnements immersifs, basés sur des technologies de 3D et de réalité étendue, utilisés notamment pour des tâches de conception ou de simulations. La Commission précise avoir envoyé «des demandes d’information à plusieurs grands acteurs du numérique». Elle indique vouloir recueillir des avis «sur la manière dont le droit de la concurrence peut contribuer à garantir que ces nouveaux marchés restent concurrentiels».
A l’issue de cet examen, la Commission annonce qu’elle pourrait organiser «un atelier» au cours du deuxième trimestre de 2024 «afin de rassembler les différentes perspectives émergeant des contributions et poursuivre cette réflexion».