Insularités, roman de Nadir Yacine : Dénuder le temps

18/07/2023 mis à jour: 22:05
2010
Nadir Yacine lors de sa participation au Festival du livre de Paris.

Le titre annonce déjà un texte, avec pour ainsi dire, quelques particularités. Du moins cet «esprit insulaire», c’est-à-dire de la solitude et des personnages au caractère bien trempé ; un caractère forgé par une existence recluse à l’instar de tous les habitants des îles. L’auteur, architecte de formation, ne nous offre pourtant pas à lire un roman avec une ossature classique. 

C’est désormais en porte-à-faux ou, pour le dire autrement, hors des aplombs traditionnels, qu’il faut chercher «les appuis». Les personnages, eux, tous jeunes, impriment le ton des histoires racontées, lesquelles sont tissées avec une forme de mélange d’intelligence et de distraction. Mourad, Khaled, Salah, Kenza… s’animent pour quelques péripéties. 

Tous viennent néanmoins pour défaire la structure romanesque classique, pour casser la continuité chronologique. Chacun prend corps avec sa propre histoire, impose une autre trajectoire. Les textes, diversifiés, trouvent l’unité d’écriture dans le désenchantement et la désillusion. Le lecteur pénètre dans l’intimité de chaque sujet au gré des descriptions, des cris spécifiques à chaque lieu, des villes ou villages qui impriment leurs tampons. 

Puis des personnages prennent corps comme des cibles de l’outrage du temps ; tous néanmoins tentent par des gestes, souvent banals, à trouver un dénouement à leur tragique existence. Entrevoir une lueur d’espoir est déjà une victoire en soi. En attendant, chacun est en partance vers quelque part. Harragas, aéroport, port, taxi, chacun veut échapper aux pesanteurs de son monde.  Travail, voyage, jeu, oisiveté…la lecture est une plongée dans la vie ordinaire. 

 Ici, l’Histoire, la grande, dévore ses propres enfants. Pourtant, des enfants héritiers d’un passé justement où le parangon n’était que la gloire. L’écriture prend des allures ludiques, dans les descriptions, dans les histoires racontées. Les personnages dictent leurs lois et les images s’égrènent par éléments hétéroclites, langage du moment, de l’endroit, comme un ballet qui s’accompagne du décor de chaque lieu visité. La langue tente de s’adapter à chaque espace. Elle décrit naturellement, du futile à l’émouvant. Le mouvement ne définit pas forcément l’itinéraire car il est toujours en rupture avec le temps et l’espace dans l’histoire suivante. Les mots, comme les histoires de ce livre, semblent intermittents, en perpétuels transformation comme l’est le monde d’aujourd’hui. 

Des scènes connues, des films vus, se déploient également de temps en temps par petites ailes pour ainsi dire. Ces passages nous montrent qu’ils habitent toujours les lieux abstraits de nos mémoires. 

Cris nous renvoyant à nos propres images, à nos propres reconstitutions avec le puzzle de nos souvenirs. Territoire qui va suivant la mise en scène des personnages, des événements, de petites observations, des restes de la mémoire. Un roman scellé par le caractère désillusionné des personnages et leur constant mouvement comme des abeilles qui volent de fleur en fleur mais ici pour butiner le temps. 
Un livre à lire.
 

Correspondance particulière de Lounès Ghezali 
 

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