Mes professeurs savent mais mes camarades non» : comme Temuri, 14 ans, au moins une douzaine d’enfants dorment dans un camp de fortune en plein cœur de Strasbourg (est de la France), souvent une étape de plus dans un parcours d’errance.
Le jeune Géorgien est arrivé avec sa famille en France en octobre 2018. Ils ont tour à tour dormi sous une tente au sud de Strasbourg, à l’hôtel, dans un centre d’accueil de demandeurs d’asile et dans leur voiture. Son père montre une vidéo où l’on voit la famille dormir à poings fermés entassée dans le véhicule. «Tous les jours on appelle le 115 et ils nous disent qu’il n’y a pas de place», explique l’adolescent qui campe sur les bords de l’Ill, cet affluent du Rhin qui traverse la capitale alsacienne. Chaque matin, il se rend au collège, à Koenigshoffen, à l’ouest de Strasbourg. «Je suis en troisième, je veux réussir mon brevet et avoir un métier», dit l’adolescent longiligne qui parle couramment français.
Mais sa scolarité n’est pas évidente : «Des fois je ne dors pas assez.» Sa petite sœur Khatia, scolarisée en CM2, a, elle aussi, du mal à trouver le sommeil dans ce campement de près de 40 tentes serrées les unes contre les autres. «Je n’arrive pas à dormir la nuit parce qu’il fait super froid, du coup je suis malade, j’ai mal à la gorge, je tousse», témoigne la petite fille. Sa famille souhaite rester en France. «On attend la régularisation, ça fait presque cinq ans qu’on est ici», explique le père, Tamazi, 33 ans, dont les propos sont traduits par son fils. Mais leur situation précaire engendre «beaucoup de stress».
Stress et fatigue
A quelques pas de là, un petit garçon de quatre ans émerge d’une tente. Assise sur une couverture, sa mère, enceinte de cinq mois, se repose. La jeune femme érythréenne et leurs enfants ont le statut de réfugié, explique le père de famille, Hatfu, 39 ans, papiers à l’appui. «On demande un logement mais c’est en cours... ça prend du temps. C’est difficile.» Non loin, Ibrahim Ahmad Muhiddin montre sa carte de résident et explique qu’il voudrait travailler comme cuisinier. Venu de Somalie qu’il a fui «à cause de la guerre», dit-il en anglais, il a déjà vécu dans un camp place de l’Etoile, à Strasbourg, dont il a été expulsé.
«Les gens vont d’un camp à l’autre, ça dure depuis des mois, et ça va se répéter», peste Tonio Gomez, porte-parole de l’association «D’ailleurs nous sommes d’ici» venu avec une poignée de bénévoles pour distribuer croissants et cafés. «Ici, il y a des personnes malades, des demandeurs d’asile, des gens qui peuvent travailler... Qu’on les mette à l’abri», réclame-t-il, prônant «la réquisition de tous les logements vides».
A Strasbourg, 900 personnes appellent chaque semaine le 115 pour espérer obtenir une place en hébergement d’urgence mais 85% des demandes se soldent par une réponse négative. bAvec cinq autres élus de grandes villes françaises, la maire écologiste Jeanne Barseghian dénonce lundi dans une tribune la «défaillance» de l’Etat en matière d’hébergement d’urgence.
Confrontés à une explosion du nombre de personnes sans domicile fixe, y compris des enfants et des personnes malades, ces six maires expliquent qu’ils recourent à des solutions d’urgence, en ouvrant par exemple des gymnases, mais plaident pour la mise en place de solutions d’hébergement de plus long terme. «On ne souhaite plus travailler au coup par coup, dans l’urgence, on pense qu’il est possible de mettre en place un système digne et pérenne mais ça demande véritablement une volonté politique», argumente Jeanne Barseghian.
De son côté Tonio Gomez regrette que la ville et l’Etat «se renvoient la balle». «Le ping-pong est leur jeu favori mais en attendant on laisse pourrir la situation».