Trois bateaux transportant plus de 500 réfugiés rohingyas sont arrivés hier sur les côtes indonésiennes, a indiqué une agence de l’ONU, ce qui porte à plus de 800 le nombre de réfugiés en moins d’une semaine dans la province d’Aceh (nord).
Une première embarcation, refoulée jeudi par des habitants de la région avec à son bord 256 personnes, dont 110 femmes et 60 enfants, est arrivée dans le district de Bireuen, dans la province d’Aceh. «Ils ont été localisés dans différents endroits», a indiqué Faisal Rahmah, qui collabore avec l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), confirmant qu’il s’agit du même bateau repoussé jeudi en mer. «C’est confirmé, car beaucoup de gens avaient été identifiés par des responsables de la sécurité.» L’embarcation de fortune a été refoulée par des habitants en colère qui ont renvoyé les passagers à leur errance maritime.
Leur bateau délabré et surchargé est arrivé jeudi au large de la province d’Aceh, mais des villageois avaient refusé de le laisser accoster. Deux autres bateaux transportant respectivement 239 et 36 réfugiés ont accosté hier dans la région de Pidie et dans l’est d’Aceh, a précisé l’agence.
Des milliers de Rohingyas risquent leur vie chaque année lors de longs et coûteux voyages en mer, souvent à bord de bateaux délabrés, pour tenter d’atteindre la Malaisie ou l’Indonésie. Au total, ce sont plus de 800 réfugiés qui sont arrivés en moins d’une semaine dans cette région d’Aceh, avec un premier décompte de 196 personnes mardi et un autre de 147 le lendemain, selon des responsables locaux. Selon le HCR, plus de 2000 Rohingyas, dont beaucoup sont réfugiés au Bangladesh, ont tenté en 2022 la difficile traversée vers l’Indonésie ou la Malaisie et 200 sont morts ou ont été portés disparus.
Le Bangladesh abrite environ un million de membres de cette minorité musulmane apatride, dont quelque 750 000 ont fui la Birmanie voisine en 2017. En 2018, l’Onu a accusé dans un rapport les militaires birmans de «crimes contre l’humanité» et de «crimes de guerre» en référence à la répression menée contre les musulmans rohingyas. En 2019, ils sont classés par l’Onu comme «la minorité la plus persécutée au monde».
L’instauration en 1962 de la dictature militaire complique la situation pour les nombreuses minorités ethniques du pays, dont les droits sont niés par le pouvoir central. En 1978 puis en 1991-1992, une campagne de répression de l’armée pousse quelque 250 000 Rohingyas à se réfugier au Bangladesh. Certains parmi eux sont revenus, sous la contrainte de Dacca.
Discrimination
La loi birmane sur la nationalité de 1982 a laissé les Rohingyas apatrides. Estimant qu’ils ne pouvaient fournir la preuve de leur présence sur le territoire avant 1823 (soit avant la première guerre anglo-birmane), la nationalité birmane leur a été retirée. Aussi, la libre circulation dans le pays, l’accès à des services publics, comme l’éducation, et les droits élémentaires, tels que le mariage ou le vote, leur sont notamment refusés.
Les bouddhistes de la région les appellent «métèques». Le pouvoir birman, quant à lui, les appelle «Bengalis» pour mieux les considérer comme des étrangers venus «des Indes».L’autodissolution de la junte en 2011 marque une nouvelle phase avec une montée du bouddhisme extrémiste, porté notamment par un groupe de moines. Ces tensions aboutissent en 2012 à de violents affrontements intercommunautaires dans le pays.
Le 5 septembre 2017, la cheffe du gouvernement civil, Aung San Suu Kyi, a déclaré que la situation en Arakan est noyée sous un «iceberg de désinformations». Propos qui ne cadrent pas avec son statut des années 1990 et 2000, qui fait d’elle le symbole de la lutte contre le régime militaire. Ce qui lui a valu d’être retenue en résidence surveillée durant près de 15 ans. Elle a nommé en août 2016 une commission d’enquête sur les Rohingyas, présidée par Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU.
Celle-ci a recommandé dans son rapport la révision de la législation de 1982 sur la citoyenneté. Pays du Sud-Est asiatique, ancienne colonie britannique, occupée par le Japon de 1942 à 1944, la Birmanie a proclamé son indépendance en 1948. La même année, Sao Shwe Thaik est élu premier président de la Birmanie indépendante. Il aura deux successeurs, en 1952 et 1957.
En 1962, le général Ne Win, commandant en chef de l’armée, prend le pouvoir par un coup d’Etat. En 1992, le général Saw Maung est renversé par un putsch du général Than Shwe. La junte est officiellement dissoute en 2011. Le 1er février 2021, l’armée birmane destitue Aung San Suu Kyi. Elle est arrêtée avec le président de la République, Win Myint, et le gouvernement démis.
L’armée juge le coup d’Etat nécessaire pour préserver la «stabilité» de l’Etat et promet de nouvelles élections «libres et équitables», une fois l’état d’urgence d’un an levé. Elle a accusé la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi, d’irrégularités électorales «énormes», après sa victoire au mois de novembre 2020. Les militaires dénoncent, déjà depuis plusieurs semaines, des millions de cas de fraudes et font planer le spectre d’un coup d’Etat.
En fait, l’élimination de la cheffe du gouvernement obéit à une raison liée à l’avenir de l’armée dans le pays. Les militaires se sentent menacés par la défaite en novembre du Parti de la solidarité et du développement de l’union (PSDU), formation qui sert les intérêts de l’armée. La LND y a obtenu 396 des 476 sièges du Parlement, soit 82% des députés, tandis que le PSDU a dû se contenter de 33 élus en plus des 25% de sièges attribués à l’armée par la Constitution birmane de 2008.
Les résultats du scrutin sont validés par la commission électorale. Avec sa grande majorité, Mme Suu Kyi compte modifier la Constitution. Intention manifestée en 2019. La Constitution de 2008 interdit à toute personne ayant des enfants étrangers d’accéder à la présidence de la République, c’est le cas d’Aung San Suu Kyi, dont les deux fils sont de nationalité britannique.
Le texte garantit à l’armée un quart des sièges au Parlement ainsi que trois ministères stratégiques (l’Intérieur, la Défense et les Frontières). En plus, l’armée ne dépend pas du gouvernement, mais directement du commandant en chef des forces armées. Un projet de modification de la Constitution a généré des tensions entre les pouvoirs civil et militaire. Des propositions en question sont issues d’un comité de 45 parlementaires que le gouvernement d’Aung San Suu Kyi a fait adopter au Parlement en janvier 2019.
Une des principales propositions des députés de la LND serait de réduire le quota des 25% de sièges alloués aux militaires en plusieurs phases. Ce qui peut permettre à Mme Suu Kyi de devenir enfin présidente, de réduire le pouvoir des généraux et d’œuvrer à l’élimination définitive de l’armée de l’échiquier politique birman.
Un sort que l’armée ne peut admettre.