Au milieu des dunes de sable, ils ont planté leurs tentes avant de se réchauffer autour d’un feu de camp l Dans le désert d’Irak, camping et randonnées tout-terrain attirent de plus en plus d’amateurs, fuyant la pollution et le fracas des villes.
On publie nos photos et les gens n’en reviennent pas qu’il y ait de tels endroits en Irak», s’amuse Ghadanfar Abdallah. «Mes amis demandent ‘’Est-ce que c’est à Dubaï ?’’». Le temps d’un week-end dans le sud de l’Irak, cet employé du secteur pétrolier troquera les tracas du quotidien dans sa métropole de Bassora pour la plénitude du désert de Samawa. Pour y arriver, près de 200 kilomètres de route. Ici, pas de réseau téléphonique.
Longtemps, le passe-temps était réservé à quelques rares initiés qui n’avaient pas froid aux yeux. Aujourd’hui, leur nombre augmente, grâce aux réseaux sociaux et au semblant de stabilité qu’a retrouvé le pays, après des décennies de guerre. «C’est quelque chose que j’aime depuis que je suis tout petit. Mais je pratique ces excursions depuis 2018 ou 2019, avec des amis», confie Ghadanfar, 35 ans.
Enveloppée dans un nuage de sable, la caravane de véhicules tout-terrain slalome entre les dunes s’étalant à perte de vue, chauffées par le soleil hivernal, sous le regard impassible de dromadaires gardés par leur pâtre. A l’arrivée, la vingtaine de campeurs - que des hommes - plantent des tentes de couchage et d’autres plus spacieuses. Plusieurs poissons sont évidés pour les faire cuire au feu de bois façon «masgouf», un incontournable des pique-niques irakiens. Le dîner englouti, les parties de dominos et de backgammon s’enchaînent, les joueurs sirotant les tasses de thé et fumant le narguilé.
Sérénité
Malgré tout, Ghadanfar reconnaît que pour certains la peur subsiste. «Comment aller dans le désert, dans un endroit sans eau et sans réseau ? S’il arrive quelque chose comment donner l’alerte ?», admet-il. «C’est une aventure, mais les gens commencent à réaliser que c’est sûr».Ces expéditions se limitent à l’hiver : l’été les températures dépassent allègrement les 50 degrés à l’ombre. Le coût d’un week-end varie entre 75 et 100 dollars par personne - repas, transport et matériel de couchage inclus.Hussein Al-Jazaïri, 34 ans, a quitté son emploi dans les hydrocarbures pour la création de contenu digital. L’influenceur vit sa première expérience de camping dans les dunes. «La ville, c’est la poussière, le bruit, les soucis quotidiens.
Quand l’individu vient ici, c’est très calme, l’air est pur, c’est la sérénité», dit-il.Pour lui qui ne lâche jamais son portable, le désert est synonyme de détox digitale. «Les réseaux sociaux, c’est mon travail, je reçois sans cesse des notifications. A la fin de la journée, j’ai passé énormément de temps sur mon téléphone», reconnaît-il. «Ici, il n’y a pas de réseau, ça fait deux jours et ma batterie est toujours à 70%». Prudence toutefois. «Il ne faut pas y aller seul, surtout si c’est la première fois. Nous sommes venus avec des spécialistes qui connaissent les lieux».
«Aucun danger»
Le désert d’Irak a longtemps été une attraction prisée des chasseurs, certains venant des pays voisins du Golfe. Mais ces excursions ont aussi souffert des décennies de conflit, de l’instabilité post-2003 inaugurée par l’invasion américaine contre Saddam Hussein, puis de la guerre contre le groupe Etat islamique (EI). Avec la mise en déroute des jihadistes en 2017, le pays a renoué avec un semblant de normalité. Même si les régions reculées demeurent sensibles. Certaines zones frontalières sont truffées de mines.
D’autres, aux frontières avec l’Arabie Saoudite, l’Iran et la Syrie, sont empruntées par les trafiquants de drogues ou des jihadistes. «Nous n’organisons aucune activité sans avoir identifié le lieu de couchage», confirme Mourad al-Bahadli, 38 ans. Ses excursions organisées en amateur rassemblent généralement entre dix à 30 personnes. «Nous travaillons avec beaucoup de précision sur ces questions, pour éviter tout problème de sécurité», souligne-t-il.
Dans une société encore largement patriarcale et conservatrice, ses excursions concernent essentiellement les hommes. Installé à Bassora depuis bientôt six ans, Ravshan Mokhtarov est originaire d’Ouzbékistan. Avec des amis, c’est sa première fois dans le désert irakien. «Cet endroit est unique, il n’y a personne, pas de bruit, l’air est pur», se réjouit le jeune homme, saluant l’hospitalité irakienne. «C’est vraiment sûr, je ne ressens aucun danger. Tout le monde est très poli».